Le Coq d’Or de Nikolaï Rimski-Korsakov

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Comment vivre sans être gouverné ?
Cette nouvelle rencontre virtuelle d’Opéravenir est consacrée à une œuvre rare qui a rencontré un succès récent sur de nombreuses scènes lyriques internationales, le Coq d’or du compositeur russe Rimski-Korsakov créée à titre posthume en 1909 dans une Russie où fermentait déjà l’esprit révolutionnaire. Elle pose la question du choix de gouvernance pour une société nouvelle. Une interrogation toujours d’actualité.

Emprunté a un recueil de contes russes de Pouchkine (1799-1837), cet opéra à grand spectacle offre un mélange de fable philosophique et de satire politique sur la tyrannie du pouvoir et la passivité du peuple manipulé. La partition orchestrale est rutilante et l’opéra regorge de mélodies séduisantes.

Un roi (tsar), un astrologue-mage, un coq en or, une princesse mystérieuse sont les principaux personnages de cette fable lyrique en forme d’énigme enrichie de chœurs et de ballets omniprésents. Mystère, pessimisme et traditions russes…

Rimski-Korsakov (1844-1908) est un des plus grands compositeurs russes même si son œuvre, en particulier ses opéras, demeure largement méconnue du grand public en dehors de la Russie. Membre du « Groupe des Cinq » aux côtés de Balakirev, Borodine, César Cui et Moussorgski, mais aussi professeur d’Igor Stravinsky (1882-1971), Rimski-Korsakov joua pourtant un rôle déterminant dans la vie musicale russe.

De Pouchkine à Rimski-Korsakov

Nikolai Rimsky-Korsakov

Avec Le Coq d’Or, Alexandre Pouchkine s’empare de la tradition populaire du conte slave pour inventer une forme poétique brève, alerte et malicieuse. Un astrologue-mage donne à un Roi un coq magique pour protéger les frontières de son royaume et ne demande pour prix que la promesse de réaliser un vœu qu’il formulera plus tard…

À chaque fois qu’une armée ennemie se présente, le coq chante pour avertir de l’attaque et grâce à lui le royaume connait deux années de paix. Un jour le coq chante pour signaler l’arrivée de la princesse Chemakha dont tombe éperdument amoureux le Roi. C’est alors que le mage réclame son dû : la princesse elle-même…

Rimski-Korsakov et son librettiste Vladimir Bielski (1866-1946) accentuent encore la charge satirique du petit conte en vers de Pouchkine dont ils se sont inspirés. Les deux hommes avaient été bouleversés par les événements politiques de l’année 1905 marquée par l’épouvantable massacre connue sous le nom de « Dimanche rouge » qui avait réprimé une manifestation pacifique à Saint Pétersbourg réclamant des réformes sociales. La répression avait coûté la vie à 2100 ouvriers. C’étaient les prémisses de la Révolution d’octobre. C’est bien le Tsar Nicolas II qu’on devine sous le ridicule portrait du roi Dodon, désireux de gouverner en dormant…

Une vieille légende russe
Le roi Dodon aimerait bien se reposer mais pour cela il lui faudrait trouver le moyen de se prémunir efficacement contre ses ennemis. L’Astrologue-Mage lui propose la solution. Il présente à Dodon un coq en or doté de pouvoirs magiques. Ce merveilleux animal donnera l’alerte dès qu’une menace se fera sentir. Dodon est conquis mais il est finalement contraint de reprendre les armes – pour finir par les déposer avec son royaume aux pieds de l’ensorcelante Princesse de Chemakha qui le mène par le bout du nez.

Dodon s’apprête à épouser la dangereuse séductrice, lorsque l’Astrologue-Mage la réclame pour prix du coq enchanté. Furieux, Dodon frappe mortellement l’Astrologue. La Princesse maudit alors le meurtrier et le Coq exécute la sentence : il tue Dodon d’un coup de bec. Comment vivre sans être gouverné ? se lamente le peuple totalement désemparé.

Une féérie vocale et orchestrale
Prologue Devant le rideau
L’astrologue-mage annonce au public que des masques drolatiques d’une fable ancienne prendront vie dans un conte trompeur mais riche d’enseignement.

Acte 1 Gouverner en dormant.
Dans son riche palais le vieux roi Dodon fait part à ses fils et à son proche entourage de son aspiration à profiter d’une paisible retraite. Comment éviter de devoir guerroyer contre des voisins belliqueux ? Arrive un vieillard tout décrépit qui fait apparaitre un petit coq magique.

Il promet à Dodon que ce merveilleux animal, placé au sommet d’une flèche, l’avertira de toute tentative d’incursion dans son royaume. Dodon est conquis en pensant que désormais il peut, « les bras croisés, régner du fond de son lit » ! En échange du Coq, l’Astrologue ne demande qu’une attestation certifiant que le tsar tient ses promesses. A quoi Dodon répond : « La loi ? Que veut dire ce mot ? Le caprice et ma fantaisie sont les seules lois que je connaisse ».
Soudain le Coq donne l’alerte. Les deux fils de Dodon partent au combat tandis que Dodon peut se rendormir en rêvant à une très belle femme. Mais le Coq le réveille à nouveau et il doit partir à la guerre lui aussi.

Acte 2 La Princesse Chemakha
Dodon découvre en pénétrant dans leur campement que ses deux fils sont morts. Quand le jour se lève, apparaît une tente somptueuse d’où sort une merveilleuse jeune femme, la Princesse de Chemakha qui chante « Salut à toi soleil de flammes ! ». C’est le célèbre Hymne au Soleil sur des vers de Pouchkine.

« Salut à toi, soleil de flammes !
Nous reviens-tu de l’Orient,
Du doux pays cher à mon âme,
de ses paysages souriants ?
Ah !  Parle-moi des fraîches roses
Et des buissons ardents des lys ;
Des beaux oiseaux qui se reposent
Auprès des lacs bordés d’iris !
Dis-moi : le soir près des fontaines,
Quand chaque belle entonne un chant
D’extase ou d’amoureuse peine
Qui monte au rouge firmament
Voit-on toujours, sous leurs grands voiles
Leurs yeux sourirent aux beaux galants,
Qui dans la nuit semée d’étoiles,
Viendra d’un pas furtif et lent ?
Vient-on l’attendre à la fenêtre,
L’œil attentif, le cœur tremblant ?
À peine l’a-t-on vu paraître
Sait-on charmer l’heureux amant ?
À peine l’a-t-on vu paraître,
Le cœur en flamme, sait-on charmer, charmer
Charmer l’amant, l’heureux amant ? »

Elle ensorcelle littéralement Dodon qui se plie à tous ses caprices en se couvrant de ridicule. Le pitoyable pantin finit par lui proposer de l’épouser et de lui donner la moitié de son royaume. Les esclaves de la princesse se moquent cruellement de Dodon qu’ils jugent sans complaisance « Il est roi par le rang et par l’habit mais il a le corps et l’âme d’un esclave ».

Acte 3 La Servitude volontaire
Le peuple s’apprête à accueillir le roi et sa nouvelle fiancée. De sombres nuages s’amoncellent à l’horizon et chacun commence à s’inquiéter. L’intendante de Dodon, Amelfa, se lance dans des explications extravagantes en encourageant le peuple à fêter le curieux cortège nuptial qui s’avance à sa rencontre : il est composé d’êtres monstrueux ou fantastiques qui semblent tout droit sortis d’un conte. Passé le premier étonnement, le peuple finit par acclamer Dodon.
Mais soudain l’Astrologue réapparaît et réclame la princesse de Chemakha en échange du Coq. Indigné par une telle exigence, Dodon tue l’Astrologue-mage. La princesse de Chemakha choisit ce moment pour dévoiler ses véritables sentiments : « Disparais, vieux laideron, toi et ton peuple imbécile ! » dit-elle en s’adressant au tsar incrédule.
Le Coq chante pour annoncer la mort de Dodon qu’il tue aussitôt en le piquant au front. La princesse disparaît comme si elle n’avait jamais existé… Le peuple en larmes se prosterne, inconsolable : comment vivre sans le tsar ?

Épilogue : Ce n’était qu’un rêve
L’Astrologue revient sur scène devant le rideau pour rassurer le public en affirmant que seule la princesse et lui-même étaient « vivants » tandis que les autres personnages n’étaient que de « pâles fantômes ».

Le sens de l’œuvre : Comment réveiller un peuple ?
Dernier ouvrage lyrique du compositeur, Le Coq d’or est une redoutable charge sur le pouvoir et surtout sur l’acceptation du pouvoir par le peuple manipulé. La Servitude volontaire comme dirait La Boétie. (L’ami de Montaigne).

Le Coq d’or mêle la féérie et la poésie du conte traditionnel à l’ironie mordante de la satire politique.
La censure impériale retarda constamment la création d’un ouvrage qui remettait en cause le régime tsariste. Mais Rimski-Korsakov se refusa toujours de son vivant à envisager des modifications, ce qui explique que Le Coq d’or ne fut créé qu’en 1909, un an après sa mort, avec un texte édulcoré.

Un sombre pessimisme imprègne cet opéra qui exprime un égal mépris pour le roi-tsar Dodon et pour le peuple chez lequel on ne perçoit aucune velléité de révolte.

Avec Le Coq d’or Rimski-Korsakov signe sa partition la plus novatrice, (rythmes, couleurs de l’orchestre, harmonies, utilisation originale des danses folkloriques et des chœurs, cellules rythmiques répétitives) annonçant la musique à venir notamment celle de son dernier élève, Stravinsky.

L’utilisation habituelle des « leitmotiv » caractérisant les personnages, qui réapparaissent en se transformant et la virtuosité de l’écriture vocale sont deux traits caractéristiques de cette œuvre. Le rôle de l’Astrologue-Mage a été écrit pour une voix de haute-contre, et la princesse Chemakha, soprano colorature, apparaît comme une sorte de « reine de la nuit » russe. Ses airs sont remarquables, en particulier son célèbre « Hymne au soleil » de l’Acte II où s’exprime toute sa sensualité de femme fatale dont les caprices gouvernent le lâche et ridicule Dodon.

Pour apprécier cette œuvre c’est la belle version en trois actes du Bolchoï de 1989 dirigée par Evgueny Svetlanov, magnifiquement enregistrée sur YouTube que nous proposons aux mélomanes russophiles. Il n’y a pas de sous-titre mais la beauté évidente du conte parle d’elle-même.

On peut suivre le livret en français à partir de ce lien émanant de l’Opéra de Lorraine :

https://www.tous-a-lopera.fr/TOUS-A-LOPERA/digitalCollection/DigitalCollectionInlineDownloadHandler.ashx?parentDocumentId=30336&documentId=30606&_cb=20191120154515

Bien sûr personne ne verra dans ce conte lyrique d’allusions aux grands qui gouvernent le monde de nos jours… Et pourtant !

Jean-François Principiano

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