L’Art de confiner !

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Les vertus (anciennes) de l’isolement et de la surveillance des populations en cas d’épidémies.

Certains se sont demandé si le confinement était le bon choix. Confiner ou ne pas confiner telle était la question ! Lorsqu’on fera l’histoire future de cette pandémie la question se posera encore. Mais au fait comment est apparue cette idée du confinement thérapeutique ?

Francois Guichardin

On peut  remonter jusqu’à un exemple peu connu de l’histoire européenne. Il nous est rapporté par un des pères de l’Histoire analytique Francesco Guicciardini 1483-1540 dans sa monumentale Storia d’Italia.

Après des études de droit, le Florentin François Guichardin devient en 1514 un des Otto di Guardia e Balia (magistrats chargés de la police et de la justice criminelle). L’année suivante, il entre au gouvernement de la République de Florence. Grâce à ses services rendus aux Médicis, il devient avocat consistorial et gouverneur de Modène en 1516, après  l’élection au siège pontifical de Jean de Médicis, sous le nom de Léon X (1513-1521), dont il fut le conseiller. Entre diplomatie et pouvoir il a mis vingt ans à écrire sa monumentale  œuvre historique qui fait de lui un des pères de l’Histoire moderne.

Entre mille  et mille digressions il raconte les intrigues des cours italiennes à l’époque de la  Renaissance tardive. Dans ce court récit il explique comment la commune de Modène vint à bout d’une épidémie de fièvre au début du seizième siècle (probablement la fièvre typhoïde).

« En février 1502 une épidémie de fièvre frappa la commune libre de Modène qui était sous l’administration du Podestat  Ser Arnaldo Bentivoglio. L’épidémie s’était répandue dans toute la vallée. Toute la ville était touchée. On ne savait comment l’enrayer. Sur la Piazza Grande Arnaldo Bentivoglio annonçait lui-même l’évolution de la maladie.  Les citoyens  de tous âges se massaient devant les barrières tous les jours  pour apprendre le nombre des malheureux morts. Leurs visages reflétaient l’effroi à l’énoncé des noms des  familles touchées. Cela ne cessait d’augmenter de jour en jour. Le Podestat se  décida à faire appel à un groupe de médecins et ingénieurs venus de tous les horizons d’Italie,  pour le conseiller.

Au bout d’un mois  les trois personnalités convoquées par le conseil de la commune  vinrent expliquer au peuple les causes de la maladie. Leur conclusion générale portait sur l’eau. Il fallait surveiller l’eau des puits car l’été avait été particulièrement chaud. Ils proposèrent une série de mesures   désespérées. Le premier dit : À partir de demain on devrait  interdire de nourrir les chats qui pullulent dans les rue de la vieille ville. En effet, trop bien nourris les chats ne chassent plus les rats dont la surpopulation est la cause de la fièvre épidémique car  les rats meurent dans l’eau des ruisseaux ou ils pourrissent… Le deuxième  proposa d’interdire tous les rassemblements autour des malades qui devraient être séparés des  autres citoyens.

Le troisième demanda un temps de réflexion avant de se prononcer. Il présenta  enfin les résultats  de sa recherche devant le conseil. Il s’appelait Leonardo da Vinci.

Deux rivières bordent la Ville de Modène, la Secchia et le Panaro.
Il observa que la maladie se diffusait  surtout à partir des foyers situés sur les bords de la Secchia alors que les rives du Panaro étaient  relativement épargnées.

Il conseilla à Bentivoglio de contrôler les habitudes des habitants et pour cela de limiter leur liberté de mouvement. On sait combien il est délicat de  froisser le sentiment de la liberté des citoyens des communes libres. Mais, malgré leurs protestations la municipalité alla dans ce sens. On placarda sur les murs de la ville la liste des interdits et notamment tous ceux concernant les populations qui vivaient au bord des deux rivières.

Leonardo fit  construire une barque sur la Secchia et une  autre sur le Panaro  à trente lieux du premier pont et il fit surveiller les habitants jours et nuits par les gardes-armés. Il interdit   tout déplacement des familles, sans exception, ni pour le travail aux champs, ni pour  tout commerce en ville, sous peine  d’emprisonnement.

La population de Modène retint son souffle. Au bout de  vingt jours le nombre des malades ne diminuait  toujours pas mais, bien au contraire,  il augmentait.

Ne se décourageant pas, Bentivoglio et Leonardo interdirent  alors de venir puiser l’eau aux bords des deux rivières la Secchia et le Panaro. Au bout de vingt jours le nombre des malades diminua au bord de la Secchia. Trente-trois jours plus tard il n’y avait plus aucun malade ni sur les bords de la Secchia ni sur ceux du Panaro.

Après longue réflexion Arnaldo et Leonardo dépêchèrent sur les lieux des enquêteurs qui parcoururent les bords de la Secchia. Pourquoi cette différence entre les deux populations ? Les enquêteurs s’aperçurent que les bords  de la Secchia, au-delà du lieudit la Casuellina,  abritaient trois grandes tanneries de peaux qui fabriquaient du cuir pour les selles des chevaux. La puanteur à proximité était intenable. Il  s’avéra que c’était les  déchets  des peaux qui séchaient sous le soleil   qui avaient infecté les eaux de la Secchia et provoqué l’épidémie de fièvre.

On en conclut que l’isolement des populations des bords de la Secchia avait permis de vaincre l’épidémie. Leonardo fut porté en triomphe jusqu’aux portes de la ville de Modène. Il repartit  vers Florence auréolé de gloire et de gratitude… »

On voit donc  que l’idée n’est pas si récente et qu’elle est le fruit d’une observation logique. On n’en attendait pas moins du génial  artiste. Dommage que l’on ne puisse plus faire appel  au père de la Joconde à la veille du déconfinement…Il serait de bon conseil !

Jean-François Principiano

Sources : François Guichardin Histoire d’Italie, Robert Laffont, coll. « Bouquins » (réimpression. novembre 1996), 1290 pages.

 

 

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