La Souterraine, GM S, un échec collectif

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La Souterraine, GM S, un échec collectif !

Si l’on parle beaucoup du sort de l’équipementier automobile de la Creuse, c’est parce que cette société symbolise notre échec collectif à trouver des solutions lorsque les sinistres industriels arrivent dans nos régions. Le département de la Creuse était considéré dans mon enfance comme un des plus déshérités, et y faire de l’industrie pouvait apparaitre comme une anomalie ! Il y a eu des techniciens qui ont néanmoins relevé ce défi et qui y ont installé des ateliers qui ont servi le projet industriel du pays avec des produits de qualité. Pendant les dernières vingt-cinq années la désindustrialisation de la France s’est accélérée et l’on ne compte plus les friches industrielles qui ont remplacé les usines sur l’ensemble de nos territoires tandis que les édiles locaux et les organisations syndicales manifestaient dans les rues pour demander à l’Etat de « sauver les emplois » ! Ainsi « soutenus », les pauvres gens partaient à la retraite un par un après avoir connu des périodes de chômage et les permanences au pôle emploi. La formule est simple, on cherche un « repreneur », celui-ci est prêt sous certaines conditions à conserver la moitié des salariés, puis après avoir valorisé au mieux les actifs prononce la disparition de l’entreprise après liquidation définitive. Aucune région de France n’a été épargnée et le pays a vu disparaitre pendant ces vingt dernières années environ la moitié de son patrimoine industriel, ce qui explique en grande partie le chômage de masse et les dérives de son économie.

Comme j’ai eu déjà l’occasion de l’écrire, le dossier « La Souterraine » n’est pas une découverte récente pour les gens qui s’intéressent à l’industrie, le problème a été posé il y a quinze ans et les repreneurs n’ont pas arrêté de venir au chevet de l’usine en recevant des aides diverses et en faisant des promesses non tenues. Incriminer les derniers entrants de la situation actuelle est donc particulièrement injuste, politiciens, syndicalistes et chefs d’entreprises ont donc d’abord à balayer devant leurs portes avant de pousser des cris d’orfraie et je reste ébahi devant la mauvaise foi de nombre de tribuns indignés .

Maintenant il faut savoir ce que l’on fait et les vieilles recettes n’auront aucun effet, reprendre 120 salariés (lesquels ?) et tenter de poursuivre avec une activité réduite c’est la démarche « mort lente » que tout le monde connait surtout si des commandes « forcées » des clients sont mises dans la corbeille. Ces vieux remèdes sont synonymes d’échecs nous le savons tous.

Il faut donc revenir à l’essentiel, 277 salariés travaillent dans une entreprise qui a vu son chiffre d’affaires diminuer de moitié dans les dernières années. Quelles sont leurs compétences ? Combien sont prêts à envisager une reconversion ? Il est clair que pour l’industrie automobile ce site industriel n’est plus nécessaire et que ce qui y est réalisé peut l’être ailleurs ! Mais il y a là des vrais travailleurs de l’industrie dont la combativité montre qu’ils ont du caractère et que le pays manque de ces hommes de production motivés durs au travail et habitués à bien faire, des hommes et des femmes fiers de leur usine et de ses produits. Il faut que nous réapprenions à élaborer des solutions à partir des hommes et des femmes qui travaillent et pas seulement en égrenant des chiffres. Je suis scandalisé qu’après tout ce qui est arrivé à l’industrie de notre pays on en reste en 2017 au diagnostic : » il y a 277 employés, le repreneur se propose d’en conserver 120… cela vaut mieux que de fermer ! »

J’ai passé une grande partie de ma vie d’industriel à envisager les reconversions, en particulier avec le département sinistré du textile chez Rhône-Poulenc, c’est un travail ingrat, politiciens, syndicalistes et journalistes vous tirent dessus nuit et jour, mais c’est ainsi qu’il faut envisager le sauvetage de la production sur nos territoires où la main d’oeuvre industrielle existe, et c’est ainsi que nous pouvons espérer un redémarrage de notre appareil productif national. L’industrie se fait avec des gens, que les machines soient automatiques, que les robots se multiplient, que le numérique transforme ou non, il y a toujours des hommes et des femmes et lorsqu’ils connaissent l’industrie c’est beaucoup mieux que s’ils n’ont eu qu’une vie de bureau . Cette richesse collective nous la possédons et elle existe à La Souterraine comme ailleurs. Notre travail collectif est d’empêcher qu’elle disparaisse et pour cela il faut toujours envisager le maintien d’une activité , d’une implantation, à partir des compétences des travailleurs et de leur reconversion possible avec de la formation permanente. Le travail du métal va de plus en plus nécessiter des automatismes poussés, et la reconversion au numérique de tous les ateliers va s’accélérer, il est possible que dans le métier actuel les investissements à réaliser soient profondément révolutionnaires puisque les imprimantes 3 D permettent de réaliser certaines pièces en optimisant l’utilisation des matériaux, mais on peut aussi imaginer des marchés différents, des horizons géographiques nouveaux…

La révolte actuelle des salariés peut se voir de deux façons, celle d’une explosion dissuasive avec des méthodes contestables ou celle d’une motivation exceptionnelle de travailleurs. J’ai peur qu’à trop tarder et à poursuivre les pieux mensonges, en partant de la seconde interprétation on ait à regretter que ce soit la première qui s’impose. Pour ma part je considère que le plus souvent le désespoir accompagne un engagement personnel très fort et que c’est de celui-là qu’il faut se servir. Il faut donc revenir aux 277 salariés de l’entreprise, à leurs compétences et à leurs motivations puis leur expliquer les raisons de la situation actuelle et la manière dont on peut s’en sortir sur le long terme. Les vraies recettes sont toujours les mêmes : diagnostic partagé de l’entreprise, arrivée d’un vrai industriel issu du terrain qui va écouter les propositions de tous et de chacun, élaboration d’une stratégie de poursuite ou de reconversion et explication de cette stratégie par celui qui va prendre les rênes . Entre les entreprises automobiles Peugeot et Renault, les équipementiers tels Faurecia, Valeo, Plastic Omnium, mais aussi des dirigeants de PME moins connus, il existe de ces industriels qui savent ce qu’est le métal et son traitement, il suffit de trouver le bon candidat !

Les initiatives prises par BPI France de fédérer des dirigeants performants de PME et d’ETI et surtout celle, récente, de « French Fab », de rendre ainsi plus visible ce que savent faire les industriels français, tout en favorisant la solidarité entre entreprises vont dans la bonne direction. Si, il y a dix ans, on avait eu ce type d’initiatives nous ne serions pas aujourd’hui dans l’équipement automobile devant cette impasse GM S-La Souterraine ! Evitons donc de poursuivre une politique stupide qui mène au désastre et essayons de promouvoir des initiatives prometteuses. En attendant pour redonner de l’espoir dans la Creuse il faut faire un vrai diagnostic des salariés et retrouver le gout de la reconversion avec des directeurs de sites industriels compétents et motivés.

Je ne le répèterai jamais assez, l’industrie se fait avec des industriels, la principale demande des salariés est d’obtenir de leurs dirigeants une stratégie claire basée sur des compétences reconnues, et pour cela il faut un peu d’humilité pour écouter la compétence des gens du terrain.

Loïk Le Floch-Prigent

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