La Lune de Carl Orff

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Carl Orff

Chaque jeudi, Opéravenir propose une œuvre à découvrir par temps de confinement.

Pour ce deuxième rendez-vous voilà un Voyage dans la Lune de Carl Orff et des frères Grimm, pour petits et grands.

Adepte du théâtre musical, qui lui permet de toucher un large public, Carl Orff (1895-1982), bien connu pour Carmina Burana, décide de mettre en musique un conte fantastique des frères Grimm, La Lune.

L’histoire de cette lune volée puis découpée en quartiers, qui sème la zizanie aux enfers avant d’être rapatriée au ciel par Saint-Pierre, stimule l’imagination du compositeur. Achevée juste avant la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre est une critique à peine voilée des égoïstes qui font passer leur intérêt en premier. Ce « petit théâtre du monde en un acte » est créé le 5 février 1939, à Munich, sous la direction musicale de Clemens Krauss et dans la mise en scène de Rudolf Hartmann. Fusionnant musique, paroles et dramaturgie, La Lune est d’une grande modernité rythmique et vocale.*

Un Conte  des frères Grimm en 1823
« Il était une fois un pays où les nuits étaient sombres, et le ciel couvrait cette contrée comme un drap noir. La lune n’y sortait jamais, pas une seule étoile ne scintillait dans l’obscurité.

Les ténèbres y régnaient comme à la création du monde.

Quatre jeunes garçons de ce pays firent un jour une fugue et arrivèrent dans un autre royaume où tous les soirs, lorsque le soleil se couchait derrière la montagne, s’allumait dans les cimes d’un chêne un disque étincelant qui répandait au loin une douce lumière. Cela permettait aux gens d’y voir dans la nuit, même si la lumière n’était pas aussi forte et éclatante que celle du soleil. »

La Lune capturée
« Les jeunes fugueurs s’arrêtèrent et, abasourdis, demandèrent au paysan qui passait par là avec son chariot quelle était cette lumière.

– C’est la lune, répondit le paysan. Notre roi l’a achetée pour trois écus et l’a attachée au sommet du chêne. Tous les jours il doit y rajouter de l’huile et bien la nettoyer pour qu’elle brille comme il faut. Nous lui payons ce service un écu chacun.

Le paysan partit en cahotant, et l’un des enfants siffla puis dit :
– Une telle lampe nous serait bien utile chez nous ! Nous avons un chêne aussi grand que celui-ci, nous pourrions l’y accrocher. Quel plaisir de ne plus marcher en tâtonnant dans le noir !

– Savez-vous ce que nous allons faire, lança le deuxième. Nous irons chercher un cheval et une charrette et nous emporterons la lune avec nous. Ils n’auront qu’à s’en acheter une autre.

– Je sais bien grimper, dit le troisième, je la décrocherai. Le quatrième trouva un cheval et une charrette et le troisième grimpa sur l’arbre. Il fit un trou dans le disque lumineux, passa une corde à travers le trou et fit descendre la lune. Dès que la lune étincelante fut dans la charrette, ils la cachèrent avec une couverture pour que personne ne s’aperçoive du vol.

Ils transportèrent la lune sans encombre jusque dans leur pays et l’accrochèrent sur le chêne le plus grand. »

La fête de la lune
« Et tout le monde se réjouit, les jeunes et les vieux, de cette nouvelle lampe dont la lumière pâle se répandait dans les champs et dans les prés, et jusque dans les cuisines et les chambrettes.

Alors, de toutes les grottes de la montagne sortirent des lutins et des petits génies en petits manteaux rouges et tous se mirent à danser la ronde dans les prés.

Les quatre enfants s’occupaient de la lune. Ils ajoutaient de l’huile, nettoyaient la mèche et percevaient pour leur travail un écu par semaine ».

La fin de la lune
« Mais le temps passa et ils devinrent vieux et grisonnants, et lorsque l’un d’eux tomba malade et sentit que ses jours étaient comptés, il exigea qu’on mette dans son cercueil un quart de la lune en tant que sa propriété.

Après sa mort, on grimpa dans l’arbre, découpa un quart de la lune avec des ciseaux de jardinier et on le mit dans le cercueil du défunt. La lune perdit un peu de son éclat, mais pour le moment cela ne se voyait pas trop.

Quelque temps après, le deuxième décéda on l’enterra avec le deuxième quart de la lune, et la lumière baissa un peu plus. Et elle faiblit encore lorsque le troisième mourut et emporta, lui aussi, son quart de lune avec lui. Et dès qu’ils enterrèrent le quatrième, l’obscurité totale d’autrefois envahit à nouveau tout le pays. Et chaque fois que les gens sortaient de chez eux sans leur lanterne, ils se cognaient les uns aux autres. Les ténèbres étaient revenues. »

La lune chez les morts
« Or, les quatre quarts de la lune se rejoignirent sous la terre, dans le royaume des morts, là où, depuis toujours régnait l’obscurité.

Les morts, très étonnés d’y voir de nouveau, se réveillèrent. La lumière de la lune était suffisante car leurs yeux avaient perdu l’habitude et n’auraient pu supporter l’éclat du soleil.

Ils se levèrent, les uns après les autres, et tous se mirent à faire la fête de nouveau, comme ils en avaient l’habitude autrefois lorsqu’ils étaient vivants.

Les uns jouèrent aux cartes, d’autres allèrent danser et d’autres encore partirent à l’auberge, commandèrent du vin, se saoulèrent, se donnèrent du bon temps, puis se disputèrent et finirent par attraper des bâtons. Et ce fut la bagarre. Et quelle bagarre et quel tapage! Le vacarme était tel qu’il parvint jusqu’au ciel. »

L’intervention de Saint-Pierre
« Saint Pierre, qui surveillait la porte d’entrée du paradis, pensa qu’une révolte avait éclaté aux enfers, au pays des morts. Il appela l’armée céleste pour repousser la révolte des morts.

Mais personne ne voulait descendre chez les morts en révolte.

Alors, Saint Pierre lui-même passant par la porte céleste, descendit tout droit aux enfers.

Il ramena le calme en promettant aux morts de vivre une mort joyeuse pour l’éternité, à condition qu’ils rendent la lune. C’est pourquoi les morts sont toujours plus heureux que les vivants. Il emporta la lune avec lui et l’accrocha dans le ciel mais il décida que la lune serait désormais partagée entre les vivants et les morts. C’est pour cela que la lune passe par différentes phases, disparait puis renait progressivement à tout jamais. »

Une musique pulsante
La musique est constituée de modèles tirés des exercices pédagogiques de la méthode d’Orff (Orff-Schulwerk) : pour caractériser la lune il utilise des sons semblables à ceux d’In Taberna des Carmina Burana ; pour les enfers, des refrains populaires ; de la musique de danse pour illustrer la vie des gens simples. Il utilise pour tout cela un important effectif orchestral de type romantique avec une forte nomenclature de percussions. L’ensemble produit une impression poétique, mélodique et répétitive. Le final de l’œuvre est particulièrement éthéré et sidéral.

*« Cette histoire, que j’ai trouvée dans les ‘Contes de l’enfance et du foyer’ collectés et publiés par les frères Wilhelm et Jakob Grimm, m’a servi de sujet dans une pièce qui se présente comme une parabole permettant de méditer sur la vanité des efforts faits par les hommes pour troubler intentionnellement l’ordre du monde, et en même temps comme une parabole sur la délivrance, précisément dans cet ordre du monde. »– Carl Orff.

Jean-François Principiano

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