La Fille de Madame Angot de Charles Lecocq

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C’n’était pas la peine de changer de gouvernement !

Changeons complétement de genre et d’esthétique avec cette proposition virtuelle souriante. Découvrons une partition soignée et inspirée.

Un souvenir !

Dans ma jeunesse nous écoutions le dimanche matin une émission de radio intitulée « Les Grands musiciens » animée par le compositeur et musicologue Jean Witold 1913-1966. Entre des œuvres imposantes et reconnues comme les opéras de Mozart ou les oratorios baroques, Jean Witold consacra une de ces émissions à la Fille de Madame Angot de Charles Lecocq. Quelle surprise !

Découvrir ce petit bijou de l’esprit français si bien analysé par un fin musicologue qui ne cherchait pas à pontifier. Aujourd’hui, je suis heureux de partager avec tous nos amis d’Opéravenir ce souvenir ému d’un passé révolu.

Charles Lecocq, l’élégante légèreté française
Né dans une famille pauvre à Paris le 3 juin 1832 et mort à Paris le 24 octobre 1918, il souffrait dès son enfance d’une infirmité provoquée par la tuberculose osseuse qui l’obligea à porter des béquilles toute sa vie. Est-ce pour compenser cet handicap qu’il se consacra à écrire des œuvres souriantes et toujours optimistes ?

Il étudia au Conservatoire de Paris, en même temps que Georges Bizet, auprès d’Halévy et de François Bazin. Il aborda le genre de l’opérette à l’occasion d’un concours organisé en 1856 par Offenbach, sur le livret du Docteur Miracle dont il remporta le 1er prix ex æquo avec Bizet. Ce succès inattendu détermina sa carrière qu’il consacra dès lors à ce genre léger et divertissant alors très à la mode. Bizet on le sait prit une autre direction…

Lecoq obtint son plus grand succès en 1872 avec La Fille de Mme Angot qui reste aujourd’hui une des œuvres les plus représentées du répertoire lyrique.

Des personnages historiques…
En 1872, ce digne héritier d’Offenbach situa l’action de sa Fille de Madame Angot sous le Directoire, juste après la Terreur, époque où une frénésie s’empare de la société française. On a alors soif de chanter et de danser pour oublier.

Le musicien s’inspire du personnage légendaire de Madame Angot, une marchande des Halles ayant fait fortune, pour évoquer avec brio et truculence le Paris de l’époque. Pleine de fraîcheur et de finesse, cette partition très vivante est considérée à juste titre comme le chef-d’œuvre du musicien. D’ailleurs lors de sa création, elle ne connut pas moins de 411 représentations consécutives. On y rit, on y pleure, on y danse… Mais comme disait Saint-Saëns « C’est beaucoup plus sérieux que vous ne croyez ».

…et une légende populaire parisienne
Ce patronyme de Madame Angot a été attribué, on ne sait trop pourquoi, au personnage de la femme du peuple parisien des Halles subitement enrichie et évoluant dans le beau monde avec ses manières et son langage populaire. Les Halles étaient le quartier d’approvisionnement qui nourrissait Paris. Il y vivait un monde d’ouvriers et d’employés qui avaient leur langage, leur vocabulaire et leur code d’honneur.

Par certains côtés, le Directoire était le règne de la folie, des spéculateurs et du marché noir, du désir de jouir à tout prix après les excès de la Révolution. C’est à ce moment que le personnage de Madame Angot fit son apparition sur les planches où une bonne dizaine de pièces racontèrent ses aventures imaginaires. Des romanciers s’intéressèrent au personnage à qui ils attribuèrent mari, fille, bonne fortune et d’étranges aventures chez les Turcs ou les lointaines Indes.

Le souvenir de Madame Angot ne serait peut-être pas parvenu jusqu’à nous sans Lecocq et ses librettistes, qui lui permirent de connaître une renommée mondiale. Si Madame Angot, et Clairette Angot sont des personnages légendaires du petit peuple parisien, Mademoiselle Lange et Ange Pitou ont, eux, réellement existé.

Mlle Anne Lange est née en 1772. Actrice à la Comédie Française, elle fut arrêtée en 1793 avec ses camarades pour avoir joué une pièce révolutionnaire. Ses relations lui permirent de recouvrer la liberté. Elle entra au Théâtre Feydeau et mena grand train sous le Directoire. Il est probable qu’elle ait eu une liaison avec Barras, membre influent du « nouveau régime ». En 1798, Jean Simons, un riche carrossier Bruxellois l’épouse. Elle abandonne le théâtre et meurt à Florence en 1826.

Ange Pitou est né à Châteaudun en 1767. Ancien séminariste, devenu journaliste et chansonnier royaliste, il fut plusieurs fois arrêté sous la Terreur, mais échappa à chaque fois à la guillotine. Le Directoire le déporta à Cayenne. Il fut gracié par le Premier Consul Bonaparte, pensionné par les Bourbons après la Restauration. Il est mort dans la misère en 1842.

C’est Eugène Humbert, le directeur des Fantaisies-Parisiennes de Bruxelles (surnommé l’Alcazar Royal), qui suggéra aux librettistes et à Lecocq de situer l’intrigue de l’ouvrage qu’ils préparaient pour son théâtre, sous le Directoire. L’idée était originale car jamais cette époque n’avait été traitée en opéra-comique. Deux personnages historiques, Mademoiselle Lange et Ange Pitou entouraient les héros imaginaires parmi lesquels la légendaire Madame Angot et sa fille Clairette.

Une première « belge » éclatante…
Ce délicieux Opéra-comique en 3 actes de Louis Clairville, Victor Koning et Paul Siraudin, sur la musique de Charles Lecocq fut donc créé à Bruxelles au théâtre des Fantaisies-Parisiennes, le 4 décembre 1872 et à Paris au théâtre des Folies Dramatiques, le 21 février 1873.

À Bruxelles comme à Paris quelques semaines plus tard, La Fille de Madame Angot reçut un accueil triomphal, un succès qui rappelait celui des grandes opérettes d’Offenbach.

Dès l’année de sa création parisienne l’ouvrage était chanté dans 103 villes de province. L’étranger ne tarda pas à l’inscrire dans ses programmations. L’année suivante, l’ouvrage fut officiellement inscrit au répertoire de la salle Favart. Après la guerre, l’Opéra-Comique le reprit à plusieurs reprises. La Fille de Madame Angot s’est longtemps maintenue au répertoire avant d’être éclipsée par la vague déferlante des Comédies musicales. En 1935 un film célèbre lui redonna une certaine jeunesse avec André Baugé, le baryton gazé. A Toulon l’œuvre a été régulièrement programmée, parfois avec des distributions remarquables, comme sous la direction Ferdinand Aymé-Lucien Revest avec Mady Mesplé, Christiane Stutzmann, Bernard Sinclair, Charles Burles, Michèle Herbé, Michel Trempont (qui vient de nous quitter).  Le Palazzetto Bru Zane annonce pour le 30 juin prochain une reprise au Théâtre des Champs-Elysées avec Anne-Catherine Gillet, Véronique Gens et Mathias Vidal.

Acte I : Un coin du carreau de la halle.
Sous le Directoire, la France respire à nouveau, après les massacres à la guillotine de la Terreur. Clairette Angot, orpheline de la célèbre mère Angot, des Halles de Paris, a été élevée dans un pensionnat chic, aux frais des marchands des Halles. On lui a trouvé un mari, le perruquier Pomponnet, mais elle préférerait de beaucoup le chanteur des rues Ange Pitou, un royaliste qui fait des chansons contre la République. Pour empêcher son mariage, Clairette chante une chanson défendue, et obtient ainsi d’être envoyée en prison.

Acte II : Un salon chez Mademoiselle Lange
La chanson était dirigée contre Mlle Lange, une actrice qui est à la fois la favorite de Barras et la bonne amie du banquier Larivaudière. Cela ne l’empêche pas de conspirer, elle aussi, et de protéger secrètement Ange Pitou, sans qu’il s’en doute. Elle fait venir Clairette, pour savoir qui chante contre elle. À leur grand plaisir, les deux femmes se reconnaissent : elles étaient amies de pension. Lange convoque aussi Ange Pitou, qu’elle aime, sans savoir qu’il est en fait l’amoureux de Clairette. Elle flirte avec lui. Le soir, les conspirateurs se réunissent chez Lange, mais de soupçonneux soldats républicains encerclent l’hôtel. Il ne reste plus à Lange qu’à simuler un bal de noces, avec Pitou et Clairette en fiancés. Mais Clairette découvre le double jeu de Pitou.

Acte III : Le jardin d’un cabaret de Belleville
Pour se venger, elle fait venir toute la Halle dans un bal populaire, où elle convoque Lange et Pitou en leur écrivant une fausse lettre. Le pot aux roses se découvre, Pitou et Lange sont démasqués : fureur de Larivaudière, embarras de Lange et de Pitou. Mais les choses s’arrangent car Larivaudière doit ménager Barras. Clairette, entre le volage Pitou et le brave Pomponnet, se décide en faveur de ce dernier. Mais Pitou espère bien qu’un jour « elle fera comme sa mère ». Tout s’achève dans un chœur célébrant le bonheur, l’amour et la fille de Madame Angot.

Le sens de l’œuvre
Il s’agit d’une partition d’inspiration légère mais bien écrite tant pour le livret que pour la musique. Le texte de Clairville utilise la contraction argotique des quartiers populaires parisiens, ce qui ajoute aux répliques qui ne sont jamais vulgaires ou appuyées. Elles s’inspirent de la gouaille teintée de cynisme des premiers chansonniers.

La musique de Charles Lecocq fait preuve d’un grand raffinement mélodique et orchestral. C’est une mine de mélodies impertinentes et de trouvailles rythmiques.

Au premier Acte par exemple, le Chœur d’entrée « Bras dessus, bras dessous », les couplets « Aujourd’hui prenons bien garde » (Pomponnet) et l’Entrée de la mariée « Beauté, grâce et décence » sont d’une facture classique encore dans le style dix-huitième siècle très proche de François-Esprit Auber.

En revanche la Romance « Je vous dois tout » (Clairette), la Légende « Marchande de marée » (Amaranthe, chœurs) et le Rondeau « Certainement j’aimais Clairette » (Pitou) sont déjà romantiques. Les deux Duos « Pour être fort on se rassemble » (Pitou et Clairette) et le duo bouffe « Eh quoi ! c’est Larivaudière » (Pitou et Larivaudière) semblent imiter l’opéra classique français. Cependant le Chœur « Tu l’as promis », et la chanson politique « Jadis les rois, race proscrite » (Clairette) dénotent un pessimisme souriant, toujours d’actualité sous tous les régimes et toutes les gouvernances, que vient à peine atténuer le Final.

Jadis les rois, race proscrite,
Enrichissaient leurs partisans ;
Ils avaient maintes favorites,
Cent flatteurs, mille courtisans.
Sous le Directoire tout change,
Pourtant ne vous y fiez pas,
On dit Mademoiselle Lange,
La favorite de Barras.
Barras est roi, Lange est sa reine
C’n’était pas la peine, c’n’était pas la peine
Non pas la peine assurément
De changer le gouvernement 
Pour épuiser la France entière
Les rois avaient des financiers
Et Barras a Larivaudière
qui paye tous ses créanciers.
Seulement ce qu’on ne dit guère
C’est qu’en dépit des tribunaux,
Barras paye Larivaudière
avec les biens nationaux.*
Voilà comment cela se mène
C’n’était pas la peine, c’n’était pas la peine
Non pas la peine assurément
de changer le gouvernement

Des favorites infidèles,
on sait quelles étaient les mœurs
Les rois étaient trompés par elles
Aujourd’hui sommes-nous meilleurs ?
Non, car l’amour est hypocrite
Et Larivaudière est chéri
À prix d’or de la favorite
il est dit-on le favori.
Il chiffonne la souveraine
C’n’était pas la peine, c’n’était pas la peine
Non pas la peine assurément
de changer le gouvernement.

*biens nationaux : biens confisqués aux nobles et au clergé et revendus à bon prix à la bourgeoisie.

Le deuxième acte est musicalement le plus beau. Entracte (orchestre) ; chœur des Merveilleuses « Non, personne ne voudra croire » ; Couplets « Les soldats d’Augereau » (Lange, chœur) ; Romance « Elle est tellement innocente » (Pomponnet), une des plus jolies mélodies française selon Camille Saint-Saëns (voir bonus) ; Duo « Jours fortunés de notre enfance » ( Clairette, Lange) splendide  échange mélodique digne de Berlioz (selon Jean Witold.) ; le Duettino « Voyons, Monsieur, raisonnons politique » (Lange, Pitou) ; Quintette « Hein ! quoi ! oui je vous le dis » (Clairette, Lange, Pitou, Larivaudière, Louchard) ; Final II : Chœur des conspirateurs « Quand on conspire », scène « Ah ! je te trouve », valse « Tournez, tournez » (tous)

Le troisième acte débute par un Entracte-fricassée pour orchestre qui reprend les principaux thèmes ; Chœur « Place sur mon passage » (Amaranthe, Cadet) ; Couplets : « Vous aviez fait de la dépense » (Clairette) ; Divertissement-ballet : allegro vivo, gavotte, pantomime, ensemble d’un grand raffinement; Duo des deux Forts « Prenez donc garde » (Pomponnet, Larivaudière) ; Trio « Je trouve mon futur charmant » (Clairette, Pomponnet, Larivaudière) ; Final de l’Opéra-comique en trois parties enchainées : Duo des lettres « Cher ennemi que je devrais haïr » (Lange, Pitou), Couplets de la dispute « Ah ! c’est donc toi, Madam’ Barras) (Clairette, Lange) et final (tous). L’œuvre s’achève sur une impression musicale à la fois romantique et souriante dans un galop d’ensemble digne du meilleur Offenbach.

Pour découvrir au mieux cette œuvre qui en dit plus long que ce qu’elle laisse paraître nous vous proposons la belle version de l’Opéra de Lausanne en deux parties. Cette représentation, à notre avis, évite le double écueil de la vulgarité et de la facilité, redonnant à l’œuvre son ton exact et son rythme juste. On notera l’effort de diction des chanteurs bien respectueux de la prosodie française et des intonations de notre langue.

Jean-François Principiano

Première partie

Deuxième partie

et un bonus inattendu une jolie perle de la mélodie française pour ténor  : « Elle est tellement innocente »

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