Ils sont tombés sur la tête !

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L’automobile individuelle explique l’urbanisation, les déplacements domicile-travail, les centres commerciaux, les vies familiales, les dispersions des lieux de rassemblements sociaux, les mobilités périodiques… Supprimons-la et notre univers s’effondre. Les activités économiques liées sont énormes, l’industrie avec ses milliers de sous-traitants, la réparation et la maintenance, l’alimentation des recharges en carburant… C’est l’épine dorsale d’une civilisation dont on peut contester le bien fondé mais dont on ne peut ignorer la réalité. Or, nous nous sommes engagés dans une mutation sans en mesurer les conséquences et les coûts.

Depuis quelques années nous assistons à un déferlement de mesures visant le véhicule à propulsion thermique, c’est-à dire diesel ou essence d’origine fossile. Aux détracteurs des pollutions engendrées par les moteurs sont venus s’ajouter les défenseurs du climat et de l’urgence climatique, les maires, les parlementaires nationaux et européens, les gouvernements et la Commission européenne. La conséquence immédiate est une révolution dans la construction automobile en Europe, un saccage d’une industrie florissante, des centaines de milliers d’emplois et de compétences sacrifiés, un attentisme des consommateurs désorientés, une impréparation des infrastructures… une marche inexorable vers un chaos qu’aucun professionnel ne peut arrêter.

L’observateur industriel qui a vu disparaître les mines de charbon et les mines de fer en France, qui a connu les grandes mutations dans le téléphone, l’informatique, l’automatisme, la robotique, et qui vit aujourd’hui le numérique, les objets connectés et l’intelligence artificielle ne peut pas rester indifférent à cette phase de transformation d’un objet qui définit à la fois un mode de vie et une étape de notre civilisation, c’est-à-dire le véhicule individuel à moteur thermique. Les progrès techniques qui tendent à imaginer une circulation de véhicules individuels sans conducteurs sont dans toutes les têtes et des industriels imaginatifs et talentueux nous y préparent. Il arrive que les précurseurs aient raison, on sait qu’ils peuvent aussi avoir tort… l’avenir n’est jamais écrit.

Dans notre Europe, et même désormais au-delà, l’automobile individuelle est structurante d’une utilisation de l’espace, elle explique l’urbanisation, les déplacements domicile-travail, les centres commerciaux, les vies familiales, les dispersions des lieux de rassemblements sociaux, les mobilités périodiques… supprimons-la et notre univers s’effondre. Les activités économiques liées sont énormes, l’industrie avec ses milliers de sous-traitants, la réparation et la maintenance, l’alimentation des recharges en carburant… et si on y rajoute l’activité de poids lourds, de tracteurs et de matériels divers on ne doit pas être loin d’un tiers de la population active d’un pays comme la France. La mutation envisagée n’est donc pas anodine, c’est bien plus que l’introduction du smartphone, c’est l’épine dorsale d’une civilisation dont on peut contester le bien fondé mais dont on n’a pas le droit d’ignorer l’importance. Pour engager une mutation de cette nature les responsables et leurs populations se doivent à la fois de justifier les raisons d’une accélération des transformations et d’anticiper leurs conséquences pour amoindrir les destructions massives, les dérèglements majeurs et les risques d’explosions économiques et sociales. Les apprentis sorciers qui nous gouvernent ici et ailleurs n’ont rien fait de tout cela, malgré les avertissements ils nous conduisent à la catastrophe : il faut l’éviter, il est encore temps.

Tout d’abord cette mutation conduisant à la prohibition de la construction puis de la circulation de véhicules individuels à moteurs thermiques est-elle justifiée ? Si l’on prend le critère de la pollution de l’air, en évitant toutefois les délires des 48 000 morts par an de certains discours, il est clair que des véhicules électriques ou à hydrogène seraient préférables. Mais le maximum de la pollution provient des véhicules de services, poids lourds, utilitaires, flottes diverses, et tous les spécialistes des villes nous demandent depuis trente ans d’agir en ce sens avec des engins ne dépassant jamais 50 km/heure. On aurait pu commencer par-là, et pour l’approvisionnement des villes le problème n’est pas simple puisque le poids des véhicules électriques est aujourd’hui supérieur de centaines de kilos à ceux des véhicules thermiques, par conséquent ils peuvent moins transporter ou plus défoncer les chaussées et ainsi polluer plus que les véhicules thermiques !

En tous les cas l’interdiction de véhicules thermiques individuels dans les villes au programme de beaucoup de mairies n’aura qu’une influence faible sur la pollution de l’air, comme cela a été le cas lors des mesures anti-diesel puisque ce moteur consomme 25 % de moins que celui à essence. Cette mesure est par contre anti-automobiliste à faibles revenus, et donc fortement anti-sociale puisque les jeunes et les moins fortunés achètent des véhicules d’occasion (5,6 millions par an) et non des véhicules neufs (2 millions par an) réservés aux classes moyennes et hautes. Les mesures engagées ne conduisent pas dans un délai de cinq ans à un changement important de la pollution des villes, elles portent par contre en germe une explosion sociale ! La cohabitation électrique/hydrogène/ thermique va durer, quelles que soient les décisions prises, une dizaine d’années sinon des dizaines.

L’urgence climatique a été la deuxième  justification, elle reste à démontrer. En effet, si c’est le bilan carbone qui est en cause il doit prendre en compte l’ensemble du cycle des composants des véhicules électrique ou à hydrogène et, sans rentrer dans des détails, aucune démonstration n’a pu être faite de l’impact de la transformation envisagée sur les émissions globales de CO2. Depuis l’extraction des minerais, la fabrication des composants et des véhicules jusqu’à leur déclassement et éventuel recyclage il n’y a aucun avantage évident. On peut rappeler que tout changement d’état conduit aussi à une perte de rendement et que ce que l’on appelle le stockage électrique n’est pas un stockage d’électrons en mouvement mais leur transformation puis la restitution et que les pertes de rendement ne s’additionnent pas mais se multiplient.

Aussi bien en ce qui concerne la pollution des villes que pour le climat la mutation proposée est donc illusoire, d’autant que dans les grands pays pollueurs l’électricité provient majoritairement du charbon et d’autres fossiles et que l’hydrogène le moins cher ne peut provenir pour les cent ans à venir que du gaz naturel ! Toutes les données actuelles engageraient les décideurs à la plus grande prudence et aux expérimentations d’envergure avec des programmes de recherche sur les performances des batteries ou piles à combustible pour améliorer les rendements, diminuer leur poids et s’assurer de leurs sécurité/maintenance/distribution/ recyclage.

En ce qui concerne les conséquences industrielles des mutations forcées contre l’avis des professionnels par les autorités politiques, le désastre et le carnage sont énormes et non anticipés. Ainsi, les édiles locaux et nationaux, après avoir pris des mesures castratrices, vont défiler avec les travailleurs des fonderies (fonte, aluminium) pour dénoncer les affreux industriels qui n’ont rien préparé et veulent fermer les usines en mettant tout le matériel à la casse. C’est à pleurer car ceux qui dénoncent les conséquences sont leurs promoteurs et les drames humains des fonderies du Poitou, de Caudan ou de Saint-Claude ne sont que les prémisses d’un véritable tsunami qui va dévaster la France et l’Europe tout entière tandis que les constructeurs et sous-traitants les plus puissants fuient ce Continent fou pour s’installer partout ailleurs pour à la fois continuer à produire des véhicules thermiques et construire aussi des véhicules électriques, bien persuadés que la cohabitation va durer très longtemps puisque l’électrification de la plupart des pays va moins vite que la démographie !

Tant que l’électricité n’est pas abondante et bon marché, elle ne sera que marginale pour les mobilités, et c’est le cas général dans la plupart des pays du monde ! Pour nos pays européens, il faudra produire plus d’électricité, étudier l’équilibrage des réseaux lors des recharges rapides et créer une infrastructure de bornes… Les énergies solaire et éolienne qui sont l’objet des faveurs actuelles et des subventions ne seront là qu’en appoint. L’expérience de la cohabitation effectuée en Norvège pourrait inspirer la politique à suivre. Le processus engagé dans le secteur automobile en Europe est donc injustifié et suicidaire, il émane d’une philosophie totalitaire, dogmatique, idéologique à la fois anti-science et anti-industrie. Les décisions sont prises sous le coup des émotions à partir de poussées médiatiques prolongées par les réseaux sociaux. Incapables désormais de distinguer entre les vérités et les mensonges, nos populations sont désorientées et la Covid a accéléré grandement cette tendance. Le possesseur d’une voiture diesel se sent coupable et se cache. Le garagiste fait prendre des cours d’électricité à ses enfants et les collectionneurs viennent caresser en cachette leurs véhicules d’antan. Vouloir changer de monde contre le désir et la volonté du peuple est toujours un danger. Avoir le courage de s’opposer à ce qui est présenté comme un progrès peut tenir du donquichottisme, les transformations non anticipées et volontaristes peuvent être compréhensibles en temps de guerre, mais en l’absence de conflits, elles mènent aux désordres économiques et sociaux puis aux périls de l’autoritarisme : nous y sommes !

Loïk Le Floch-Prigent

 

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