Il fallait être fou ou être André Neyton

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Ce livre intitulé « Il fallait être fou »  édité par les cahiers de l’Égaré est très précieux pour comprendre une vie consacrée au Théâtre, à l’Occitan et a un lieu, le  Comedia qui est un peu l’âme du Mourillon et donc aussi  un peu l’âme de Toulon.

André Neyton l’a écrit pendant le confinement, au moment où les menaces sur  son travail d’artiste  étaient de plus en plus précises et où des personnes bien intentionnées le poussaient gentiment  à la porte avant l’heure. Petite histoire d’un parcours résistant.

Il fallait être fou est  à la fois une autobiographie déguisée et un témoignage poignant qui aidera le lecteur à  mieux comprendre l’évolution de la vie culturelle varoise et  nationale. Ce n’est pas un règlement de compte même si certaines pages (les plus belles) sont vibrantes de passion et de colère rentrée. Ce n’est pas non plus une œuvre idéologique défendant un point de vue esthétique et sociologique précis. C’est avant tout un travail de mémoire sur l’aventure d’un lieu et d’un homme, mais aussi sur la tentative d’ancrer la culture occitane à Toulon.

La qualité du style
Si ce livre tombait entre des mains insolites, par hasard, ne connaissant ni l’auteur, ni le lieu, le lecteur  serait d’abord  séduit par le style. La clarté de ce style narratif tel un diamant décryptant un roman d’aventure. Grand défenseur de l’occitan, Neyton n’en écrit pas moins dans un français nerveux, vif, limpide et percutant. Par exemple à la page  69, lors de la rencontre avec un gabelou espagnol inspectant sa voiture pleine de vidéos compromettantes en catalan  on peut lire : « Penché sur les appareils pendant que je tente de lui expliquer le but de ce transport, il marmonne en espagnol, de plus en plus  irrité, puis se redresse brusquement et vient heurter violemment de la tête la partie interne du hayon juste sur le pêne saillant de la serrure. Portant sa main à l’endroit du choc il jette dans un cri « Vale,Vale ! » accompagné d’un geste de tout le bras nous intimant l’ordre de foutre le camp. »

Le mémorialiste
Le livre évoque sur un ton épique non sans humour, les différentes épopées du « temps des emmerdes » l’effondrement du théâtre sous chapiteau, les péripéties des représentations du Venin du théâtre, l’exposition de Marialba Russo, le soutien du  maire de Brignoles Jacques Cestor et la défection de la DRAC. André Neyton mentionne avec un réel talent de mémorialiste les mille et une démarches qu’il dut faire pour sauver son idée d’un théâtre régional de qualité.

Le rebond s’annonce avec la reprise du Comedia, ce vieux cinéma de quartier qui était en voie de démolition. Désormais le 11 mars 1991, après une vente aux enchères  rocambolesque, Neyton et son équipe familiale investissent le lieu. Un des officiels déclare peu  après l’inauguration : « Finalement ce qu’il fait Neyton c’est pas mal, dommage qu’il soit de gauche ! » Au fond tout le problème est là. Neyton est un homme de gauche qui a été, seulement en partie, soutenu par la droite locale tout en n’étant que partiellement reconnu par les petits marquis des instances culturelles de la décentralisation. C’est dommage comme il le dit lui-même car il a consacré cinquante ans de sa vie a un théâtre qui avait une parole à faire entendre.

Les années heureuses
À partir de la page 73 il évoque ces belles années lorsqu’il crée les Rencontres méditerranéennes du théâtre vivant ou se bousculent toutes les forces vives des régions linguistiques minoritaires Corses, Catalans, Napolitains, Piémontais, Sardes, Grecs…  Et tout ça grâce au financements de l’Europe. Ecriture, mise en scène, création, interprétation, il devient l’homme de théâtre universel, de l’étoffe des Jean Vilar, des Jack Lang ou des Giorgio Strehler. Et nous  savons bien tout ce que nous lui devons ici à Toulon.

À l’épreuve du FN
En 1995 coup de tonnerre sur la rade, la victoire du Front National. André Neyton donne sa vision de l’événement avec finesse d’analyse. Un point de son livre est particulièrement éclairant sur le climat de l’époque lorsque la culture est prise en otage.  Page 143 il écrit concernant le créateur de Châteauvallon Gérard Paquet qui avait pris la tête de la croisade anti FN : « Des critiques s’élèvent sur la gestion de Gérard Paquet et sur ses choix artistiques élitistes. Pour le grand plaisir du maire Jean-Marie Le Chevallier qui finira par avoir sa tête avec l’aide – oh combien complaisante du préfet Marchiani. On le fera tomber  sur une faute professionnelle anodine : avoir négligé d’obtenir la signature de l’administrateur judiciaire pour l’impression du programme. Celui-ci ayant été aussi chargé du Théâtre de la Méditerranée quelques années auparavant – et moi-même ayant commis ce manquement à plusieurs reprises sans aucune conséquence de sa part – j’aurai l’occasion de lui demander, entre quatre yeux, une explication sur ces différences de traitement. La réponse sera sans ambiguïté : – Il n’y avait, pour vous, à l’époque, aucune raison politique d’avoir votre peau. » Elles vont venir les raisons…

Les nuages s’amoncellent.
Dans la dernière partie du livre, Neyton décrit parfaitement toutes les menaces qui ont pesées sur son théâtre, depuis la fausse affaire de l’URSSAF, les fausses accusations, les trahisons, les fausses promesses, jusqu’aux intimidations physiques et morales. Rien n’a pu l’abattre.

Lors du retour à la normale Hubert Falco, nouveau maire de Toulon soutient  encore le Comedia. Mais les temps changent. Neyton constate : « L’époque des grosses machines est en marche. On applique à la culture le modèle libéral qui voit le petit commerce chassé par les mammouths de la consommation. Les petits théâtres souvent nés de projets  culturels indépendants en prise sur la population, voient leur avenir s’obscurcir. Quant au cultures régionales, on ne sait même plus que ça existe. Adieu Lang ! » Au cours des ans l’esprit de ce théâtre gène les « politiques » autant à Paris qu’à Toulon. Il tient toujours grâce à la qualité de son travail.

Per joia recomençar
Lors de l’inauguration du Théâtre Liberté le 17 septembre 2011 il souligne le geste élégant d’Hubert Falco qui vient le chercher  dans la file d’attente pour le conduire auprès des frères Berling.

Sans se décourager, on le voit dans son récit poursuivre son chemin de vie. Il écrit et crée toujours (33 créations entre 1961 et 2017) s’inspirant de la terre de Provence, et de quelques personnages emblématiques, la Belle Cadiére, Barras, la Guerre de 14, l’Affaire Dominici, Maurin des Maures, Gaspard de Besse…et bien d’autres textes encore. Il salue au passage ses  compagnons de route, Guy Martin, Henri Giordan, André Abbe et tous ceux qui font et feront vivre encore cette  expérience théâtrale atypique, avant la dernière pirouette … Ce livre attachant est constitué des souvenirs et des événements qui ont façonné un homme d’estrambord*. Il fallait être vraiment fou ou s’appeler André Neyton.

Jean-François Principiano

*Estrambord : débordement d’action et d’enthousiasme

« Ansin, bèl estrambord qu’as empura ma vido,
Pousquèsses, quand sara ma lengo enregouïdo,
Sus li nible faurèu longo-mai dardaia ! » Frédéric Mistral

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