Hélas et Plaidoyer pour une civilisation nouvelle.

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Les hasards de la programmation ont mis récemment en parallèle deux expériences théâtrales  qui se répondent en miroir : Hélas de Nicole Genovese et Plaidoyer pour une civilisation nouvelle de Jean-Baptiste Sastre. Deux  spectacles mis en perspectives à Châteauvallon et au Liberté. Compte rendu.

Hélas de Nicole Genovese, un théâtre radical
La pièce de Nicole Genovese, Hélas (à Châteauvallon mardi 8 octobre) est une satire familiale aux accents désespérés. Elle raconte la déshumanisation des protagonistes lors d’un repas de famille dans un monde d’artefacts. Une mise en scène pulsante de Claude Vanessa, glacée comme une lame de rasoir qui a pris le public de Châteauvallon à la pulpe lui présentant un miroir insupportable de son univers contemporain : l’homme détruit par la désertification des sentiments. Plusieurs fois la même scène avec les même mots d’une pauvreté recherchée  est interrompue par une télé inepte scandant l’abrutissement d’une famille qui ira jusqu’au meurtre. Les personnages sont vidés de l’intérieur par la médiocrité de la vie quotidienne. Ils  deviennent des pantins désarticulés, des handicapés, au langage convulsif. Le spectacle a tellement irrité que la moitié de la salle a pris la fuite. C’était pourtant splendide, nouveau et d’une facture aboutie. Mais le public n’aime pas qu’on lui montre ce qu’il est. Tout sauf ça ! C’est insupportable. Que Nicole Genovese ne se décourage pourtant  pas. Elle honore le bon théâtre. Celui qui ne fait passer le message que par la sublimation du réel, sans rhétorique ostentatoire.

Hommage à Simone Weill par Jean-Baptiste Sastre
Trois jours après ce choc, au Liberté, nous avons retrouvé Jean-Baptiste Sastre et son « Plaidoyer pour une civilisation nouvelle » sur des beaux textes engagés extraits de la correspondance de la philosophe Simone Weill, qui, pour mieux connaître et dénoncer la condition ouvrière des années trente s’était employée en usine.   Là aussi c’est un projet théâtral abouti et une expérience courageuse. À côté d’une comédienne professionnelle de haut lignage Hiam Abbas, Sastre s’est entouré d’un groupe d’amateurs locaux soutenus par la diaconie de Toulon, des personnes en vulnérabilité, et des handicapés. La réussite est  tout aussi impressionnante. Une belle occupation de l’espace, un rythme soutenu, une intention généreuse, des choix de textes éclairants. Sans doute cette expérience laissera des traces dans les cœurs de la soixantaine de protagonistes et du public. Le message est bien passé, rejoignant celui de Genovese : le monde moderne déshumanise. Là la classe moyenne, ici la classe ouvrière. Les deux spectacles  dégagent un même sentiment pessimiste toujours d’actualité.

Par contre  le travail de Sastre (issu d’une résidence) contrairement à celui de Genovese, a suscité une réaction enthousiaste de la part du public.

Nous ferons cependant une petite réserve ici qui n’entache en rien son aspect émouvant. Lorsque Nicole Genovese dénonce sur scène la réification des hommes, la mise en scène  prend ses distances avec le jeu des comédiens, ce qui favorise une sublimation contrôlée. Dans Hélas les comédiens professionnels interprètent des personnages lourdement handicapés jusqu’à la  désarticulation du langage.

Par contre lorsque Sastre dénonce à son tour, lui, il utilise la vulnérabilité de personnes fragiles, allant jusqu’à les tenir par la main, leur soufflant le texte, les aidant à bouger sur scène, les encourageant en permanence,  main sur l’épaule, aux yeux de tout le monde. « Voyez comme je suis bon ! ». Cette compassion touchante, théâtralisée, trop appuyée, devant le public, est choquante et même douteuse car, en vérité, lorsque le metteur en scène ira ailleurs porter sa bonne parole, les handicapés d’ici resteront, eux, dans leur situation d’origine (certes reconnaissons-le avec un bon souvenir valorisant en plus). Mais quand même !

Lorsque Nicole Génovese  fait du théâtre elle choque ;  lorsque Jean-Baptiste Sastre fait des bons sentiments, il soulève la salle. L’une  a fait fuir une partie du  public par sa radicalité  distanciée, l’autre l’a enthousiasmé par son  empathie compassionnelle  évidente. A chacun sa vérité !

« Plaidoyer pour une civilisation nouvelle » dimanche 13 oct. à 18h et mardi 15 oct. à 20h salle Fanny Ardant. Production Théâtre Liberté Toulon.

Jean-François Principiano

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