« Glyphosate : pourquoi et comment faire sans ? « 

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Symbole majeur de l’industrialisation de l’agriculture le glyphosate a obtenu, ce lundi 27 novembre, un sursis conséquent au niveau européen. Renouvelée pour 5 ans la substance peut continuer à inonder les plus de 150 millions d’hectares agricoles européens.

Nous, paysan.ne.s de la Confédération paysanne, condamnons cette décision qui sort la fin de cet herbicide de l’agenda politique et qui signifie aux populations européennes que leur protection n’est pas une priorité pour nos représentants politiques.

Revendiquer la fin de cet herbicide constitue de notre point de vue tout l’inverse d’une posture dogmatique. Nous réclamons sa fin pour de multiples raisons liées à notre métier et notre projet qu’est la généralisation de l’agriculture paysanne. Nous demandons son retrait du marché, accompagné des mesures financières et commerciales indispensables pour que ce progrès collectif ne repose pas sur les seuls paysan.ne.s.

Un scandale sanitaire et environnemental
Paysan.ne.s, nous travaillons avec la nature. Or, l’usage massif des pesticides a isolé la parcelle agricole de son environnement et l’a largement contaminé. Ceci alors que les processus naturels entre la parcelle, les plantes cultivées et leur milieu sont multiples et créent des interactions bénéfiques qui favorisent la durabilité des systèmes agricoles. Mais le glyphosate lui-même interagit avec ce milieu complexe. Il contamine l’air, l’eau et les sols, la faune et la flore. Il participe à la diminution de la biodiversité pourtant si nécessaire à la vie sur terre. Il crée des résistances chez certaines plantes et affectent la capacité à résister d’autres. Cet herbicide, comme beaucoup, est au cœur d’un cercle vicieux qui encourage l’usage toujours plus important de substances chimiques.

Ceci au détriment évident de notre propre santé. L’impact sanitaire de ces pesticides en général, et du glyphosate en particulier n’est plus à prouver. Le CIRC l’a classé cancérogène probable et des études font le lien entre cette substance et des lymphomes non hodgkiniens ou des myélomes multiples. Au-delà de la question scientifique, de nombreux témoignages, reportages, investigations ont montré des individus victimes de cette substance. Nier ces apports scientifiques et ces informations serait nous rendre collectivement coupables de ne pas avoir pris en charge ce qui s’avère être un scandale sanitaire majeur de notre histoire industrielle.

Mettre un terme à ce scandale sanitaire et environnemental requiert la construction d’un réel projet de sortie des pesticides, au-delà d’une gestion au coup-par-coup au gré de l’actualité. Pour cela, nous demandons à nos collègues, aux organisations mobilisées sur la problématique des pesticides et aux pouvoirs publics de regarder de plus près ce de quoi procède l’usage du glyphosate et des pesticides en général dans le monde agricole.

Le libre-échange induit des stratégies de survie dans le monde paysan
Trop souvent l’usage de ces substances chimiques se réduit pour certains consommateurs et environnementalistes à un choix individuel de paysan.ne.s « mal informés » ou « irresponsables », qui souhaiteraient accéder à un certain « confort » au détriment des autres. Si certes ce sont bien les paysan.ne.s qui actionnent leurs pulvérisateurs, on ne peut pas comprendre l’envahissement de l’agriculture par les pesticides sans considérer l’évolution du contexte économique dans lequel nous exerçons notre métier. La généralisation de la logique de compétition a imposé des stratégies de survie dans le monde paysan. Les pesticides font partie de ces stratégies. Et s’il existe de nombreux exemples de paysans et paysannes qui pratiquent une agriculture sans pesticides, c’est le plus souvent parce qu’ils ont accompagné ce choix de démarches commerciales qui les protègent de la guerre des prix (label AB, vente directe…).

Ces exemples nous montrent toutefois que les alternatives techniques sont là, d’ores et déjà. Nous savons tou.te.s qu’il est possible de produire sans substances chimiques. Ne serait-ce parce que l’agriculture a une histoire bien plus longue que celle de l’industrie chimique. Ce qu’il nous faut donc regarder aujourd’hui c’est pourquoi ces pratiques sans produit chimique ne sont pas massivement déployées dans nos territoires. Dans un contexte où, en France, en 2016, 30 % des agriculteurs ont un revenu inférieur à 350 euros (données MSA), comment ne pas faire appel à ce qui nous coûtera le moins cher pour produire, c’est à dire des substances chimique contre du travail humain ? Quitte à construire psychiquement le déni de notre propre empoisonnement pour pouvoir continuer à pratiquer notre métier.

Nous partageons la proposition d’Emmanuel Macron de retirer le glyphosate du marché sous trois ans. C’est un choix cohérent avec la position défendue par la France auprès des partenaires Européens. Qualifier cette décision de « nationaliste » comme on l’a entendu ces jours-ci est ridicule. La France a récemment montré, à l’occasion de l’interdiction du Diméthoate sur notre territoire, que de telles initiatives unilatérales pouvaient constituer une impulsion vertueuse au niveau européen : cet insecticide a presque disparu d’Europe dans les mois qui ont suivi. Mais il a fallu pour cela protéger ce choix, au moyen d’un accompagnement économique des paysans bien sûr, mais aussi en interdisant l’entrée de cerises en provenance des pays qui autorisaient encore ce produit afin d’empêcher une distorsion de concurrence. Souhaitons qu’Emmanuel Macron mesure bien que le glyphosate est un outil de la compétition économique et que l’interdire sans pénaliser les paysans implique des mesures qui restreignent cette compétition

Au même titre qu’il ne suffira pas d’ « éduquer » des « consommateurs » qui n’ont pas dans leurs pratiques alimentaires l’achat de produits sans pesticides, il ne suffira donc pas de transmettre du « savoir » sur les alternatives aux « producteur.rice.s ». Non, pour tou.te.s, il s’agira de mutualiser nos efforts pour combattre le libre-échange qui nous met en compétition les uns les autres, au détriment de nos métiers, de nos savoir-faire et d’une alimentation de qualité accessible à toutes et tous. Il s’agira de défendre des politiques publiques de soutien économique à l’agriculture afin d’encourager les paysan.ne.s à opter pour des pratiques sans produits chimiques. Il s’agira de donner les moyens économiques aux citoyen.ne.s d’accéder à des produits de qualité. Il s’agira de faire reconnaître que la dérégulation acharnée qui nous est imposée est responsable des scandales sanitaires et environnementaux et qu’il n’y a pas de gestion aboutie de ces crises autrement qu’en assumant une évidence : l’agriculture est faite pour nourrir nos concitoyen.ne.s d’une alimentation saine, nutritive et savoureuse et nous refusons d’y renoncer plus longtemps.

La Confédération Paysanne, syndicat pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs, a été fondé en 1987 et revendique des valeurs de solidarité et de partage.

Nina Lejeune, animatrice syndicale

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