Gilets jaunes : Les leçons objectives de l’Histoire

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Les événements de rues qui se déroulent sous nos yeux appellent une réflexion historique plus globale.

Chaque fois que la rue se manifeste il y a d’abord un climat de sidération de la part des élites du pouvoir en place. Mais à la fin, le pouvoir retombe sur ses pattes (ou sur d’autres pattes). Et cela depuis la plus haute antiquité. Car en fait ces mouvements de protestations ne sont pas si rares. Au contraire. L’Histoire compte bien plus d’instabilités de foules que de périodes de stabilité. Ce l’on appelait révoltes, jacqueries, émotions, émeutes, soulèvements populaires sont le tissu même qui constitue l’histoire selon Marc Bloch (1886-1944) qui les a bien étudiés dans un petit livre « Apologie pour l’Histoire. »

Dressons la liste non exhaustive de quelques principaux mouvements populaires spontanés :

En Asie
1351 les turbans rouges
1358 révolte Zu Yuangshang
1428 révolte de Kyoto
1851 révolte des Taïping
1868 révolte des Chichi bu
1873 révolte de Fukuoka
1918 révolte du riz

En Europe
1358 jacqueries paysannes
1367 grande Jacquerie à Caen
1402 révolte populaire en Europe centrale
1374 révoltes populaires à Florence, Venise
1423 révolte populaire à Lyon
1517 révolte paysanne en Allemagne
1775 révolte en Amérique britannique
1781 révolte parisienne
1789 jacquerie des Sans Culottes à Paris
1810 révolte des juntes de Caracas
1830-1848 insurrections populaires à Berlin, Vienne et Paris
1848 révolte à Milan et Naples
1870 la révolte des communards à Paris

La période contemporaine
1917 révolte en Russie
1927 première révolution chinoise
1929 révolte mexicaine
1945 révolte du peuple vietnamien
1959 révolte cubaine
1963 révolte en Irak
1966 Révolution culturelle chinoise
1975 révolte des Khmers
1979 révolte iranienne
1987-2000 Intifada palestinienne
1991 révolte des noirs d’Afrique du sud
2003 révolte zapatiste
2005 révolte urbaine en France
2011 Les printemps arabes
2018 révolte des Gilets jaunes

Ouvrons maintenant le livre de Marc Bloch. Objectivement que dit l’Histoire ?
Tous ces mouvements populaires plus ou moins spontanés ont été tous écrasés, récupérés ou instrumentalisés par diverses formes de pouvoir (empire, gouvernement fort, dictature, nouvelles dynasties, régimes politiques etc.)

Selon Marc Bloch nous devons comprendre l’histoire d’un pays comme l’évolution d’une structure qui demeure fondamentalement identique, même si elle subit quelques transformations. Son évolution est déterminée par la façon dont elle s’est constituée. Il faut ainsi voir, selon lui, dans la Révolution française l’acte fondateur de la République actuelle.

La structure étatique reste la même. La permanence de certains aspects (pas tous cependant voir vidéo) nous autorise donc à imaginer l’avenir, du moins en partie. Si la Révolution française est passée, de la conquête de l’égalité en droit, à celle du désir d’égalité sociale tentée sous Robespierre c’est par la violence de la rue et des Sans-Culottes.

Si les Gilets Jaunes peuvent espérer être plus ou moins « entendus » c’est à cause des violences que, malgré eux ils suscitent. Les casseurs des beaux (ou moins beaux) commerces des Champs Elysées, quelles que soient leurs motivations que l’on peut condamner en soi, sont les mêmes jeunes hommes qui ont participé aux violences des enragés de 1794.

Et Marc Bloch citant Antonio Gramsci ajoute dans son livre (lui qui est mort pour fait de résistance contre l’occupant allemand). « La violence des pauvres et des humiliés est le moteur de l’Histoire. »

Il constate cependant que ces mouvements divers de révolte, dans leur ensemble, obéissent tous, au-delà des violences, à une « trajectoire de  progrés rationnel » vers une meilleure conscience du bonheur collectif. Même s’ils n’en sont pas directement les bénéficiaires. « Car leur réussite n’est pas dans l’aboutissement de leurs revendications mais dans l’ébranlement de l’ancien ordre établi. » Par contre ce qui résulte de cet ébranlement est incertain dans le temps-court de l’histoire évènementielle.

Ainsi les nombreuses révoltes des serfs du Moyen Âge en Europe n’ont pas abouti à leur libération mais à l’affaiblissement de la noblesse féodale au profit de la bourgeoisie naissante qui les a encore plus exploités. En un mot il ne faudrait pas que les gilets jaunes, en se brunissant trop, servent de tremplin à un populisme anti-démocratique plus dangereux que le macronisme.

Jean François Principiano

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