Ce grand baryton français nous a quittés le 13 mai à l’âge de 95 ans dans sa propriété normande. C’était le doyen des chanteurs lyriques. Heureusement il nous reste une centaine d’enregistrements qui font de lui un des meilleurs représentants de l’école de chant nationale. Depuis Béziers où il est né en 1924 jusqu’au bout du monde il s’est produit dans tous les plus grands opéras. Il a défendu l’art lyrique français avec panache et sensibilité.
Rencontre
Le 29 décembre 1990 à l’opéra de Marseille il chantait Don Pedro de la Perichole d’Offenbach dans une nouvelle production de Paule Goltier en compagnie de Pierre Catala, sous la direction du chef Jean Yves Ossonce. Jacques Karpo était alors directeur général de la maison lyrique marseillaise. Ecrivant comme critique musical dans le quotidien Var Matin République j’ai eu le plaisir de le rencontrer après la représentation au bar du théâtre pour le féliciter pour sa diction et son jeu.
Chanter comme l’on parle
Je me souviens de sa réponse à la question comment faut-il chanter le français ? Il dit avec son accent ensoleillé :
« Le secret c’est la diction à travers le souci de l’articulation. Il faut chanter comme l’on parle, naturellement en faisant passer la compréhension du texte mot par mot. La projection du son doit être naturelle et la prosodie très claire. Il ne faut pas chercher à faire des notes mais à exprimer des sentiments en articulant. »
Une belle leçon pour tous ceux (et parmi des grandes voix) qu’on n’arrive pas à comprendre lorsqu’ils chantent. Lui, il n’avait pas besoin du surtritrage. On comprenait tout (voir vidéo).
Durant sa longue carrière, qui, pour l’essentiel s’est déroulée après-guerre, il a excellé dans les rôles du répertoire italien (Donizetti, Bellini, Verdi) et français (Bizet, Offenbach, Massenet, Gounod, Thomas, Berlioz).
Il n’a pas négligé les œuvres contemporaines de son temps en créant des opéras de Daniel-Lesur, Francis Poulenc, Honegger ou Jean Michel Damase. Il était doué autant pour le drame que pour l’opérette qu’il a souvent chanté après son accident cardiaque à 70 ans, ainsi que pour la mélodie et même la chanson populaire. Un véritable artiste protée !
Une riche discographie.
Il a été découvert par Gabriel Dussurget, le fondateur du Festival d’Aix en Provence qui lui donne le rôle-titre de Don Giovanni en 1960 (télévisé en eurovision). Pour cela il travaille la partition avec la chef de chant légendaire Iréne Aïtoff. Sa carrière prit un tournant international lors de sa rencontre avec Joan Sutherland, la soprano australienne qui faisait la pluie et le beau temps dans la firme éditrice des disques Decca avec son mari le chef d’orchestre Richard Bonynge de 1970 à 1980. C’est de cette période que datent ses plus beaux enregistrements (la Favorite de Donizetti, Cosi fan tutte de Mozart, Guillaume Tell de Rossini, les Puritains de Bellini, Lucia de Larmermoor de Donizetti et une mythique Tosca de Puccini avec Renata Tebaldi.
Défenseur du chant français
Enfin il fut un solide et fidèle défenseur de l’art du chant français. « Nos jeunes chanteurs issus de nos conservatoires doivent connaître ce patrimoine ; on ne peut pas demander aux tchèques, aux russes, ou aux américains de défendre la diction française… ».
Il déplorait, dans ce sens, la disparition des « troupes » attachées aux théâtres qui permettaient d’offrir des rôles aux chanteurs professionnels débutants sans passer par la star system qu’il voyait s’installer, non sans inquiétude, dans le paysage lyrique français. Le soleil du lyrique a perdu un de ses plus beaux rayons mais sa voix nous réchauffera encore.
Jean François Principiano