Entretien d’embauche : une autre conception de la démocratie

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Décidément cette campagne Présidentielle nous aura étonné jusqu’au bout, comme aucun autre avant elle et, sans doute, est-ce la dernière dans son genre.

Une chaine d’information intitule son examen des candidats et de leurs programmes « entretien d’embauche » et cela ne surprend ni n’interroge personne ! Pourtant cette plaisanterie est significative d’une période de notre vie institutionnelle, on n’élit pas un Président demain, on « l’embauche » et il va falloir qu’il réponde aux questions de l’examinateur qui va faire immédiatement rapport à son patron : le peuple ! Ainsi un homme soit autodésigné soit recruté lui-même selon des critères qu’il s’empressera de nous communiquer, bien sûr, va interroger le postulant, tout seul, puis sélectionner (comment ?) quelques questions du peuple roi pour tester l’aptitude à la fonction ! On peut mesurer le succès de la formule et imaginer la délectation du public : « enfin on en tient un et il va répondre à nos légitimes questions ! »  On peut, aussi, comprendre le désarroi des candidats à l’élection, ceux qui n’ont aucune chance gagnent en notoriété, pour les autres se prêter au jeu est forcément dégradant pour exercer plus tard leur mandat. On a déjà vu ce qu’était un Président « normal », mais on peut imaginer ce que serait un Président « embauché « à partir de démocratie directe radio-télévisuelle !

Ce nouveau jeu est mortifère pour la démocratie, mais personne n’a le droit de s’élever contre Rigoletto sous peine de se voir balayer par tous les Rigolettos !

Les chefs d’entreprises savent combien sont importantes les taches d’embauche, ils les délèguent à des collaborateurs compétents et essaient de définir avec eux les critères fondamentaux qui permettent de préparer l’avenir de l’entreprise dont ils ont la charge. Ils imaginent des plans de carrière à l’intérieur de leurs structures et essaient de se faire une opinion sur le caractère et la compétence de leur prochain employé. Les méthodes varient d’une société à l’autre, les critères de choix aussi, mais l’on cherche la meilleure qualité, le meilleur profil et on essaie de mesurer les risques.

Lorsqu’il s’agit de recruter à l’extérieur le futur patron de l’entreprise, la situation est plus complexe, on fait appel à un cabinet spécialisé et on scrute au niveau du Conseil d’Administration les avantages et inconvénients d’une promotion interne ou d’un apport extérieur ! Un candidat interne dont la personnalité est faible aura du mal à s’imposer, une personnalité extérieure peut avoir du mal à comprendre la situation réelle de l’entreprise derrière les chiffres et donc mettre en péril rapide l’activité. Les « embaucheurs » finissent par prendre le risque et, en moyenne, se trompent le plus souvent car il est rare qu’une personnalité non décelée auparavant « explose » avec l’exercice de la fonction ! Autrement dit, à part la désignation par le chef d’entreprise charismatique de son successeur, il est rare d’avoir de bonnes surprises avec « l’embauche » de patrons par les systèmes convenus de la gestion des entreprises dits de « bonne gouvernance » . En d’autres termes l’embauche ce n’est pas si simple, et je ne pense pas que Rigoletto ait eu l’ambition jamais de sélectionner le successeur du Duc de Mantoue, il lui suffisait de le ridiculiser, lui et ses courtisans.

Nous sommes désormais, nous le sentons tous, à un tournant de nos démocraties, c’est pourquoi beaucoup s’attachent à la conception de » République » pour essayer d’éviter la dérive vers une confiscation par quelques-uns de la parole populaire, du peuple souverain, pour prendre des mesures dictatoriales.

Non, et non, personne n’est en charge au nom du peuple de réaliser des entretiens d’embauche du nouveau Président de la République ! Libres à ceux qui veulent se faire voir d’y aller, libres à eux d’estimer ensuite avoir fait un « tabac » et d’espérer le succès du vote populaire, mais dans un débat sans débats où la démocratie a été une caricature, où le peuple est tétanisé par l’enjeu et la difficulté de choisir, la dérision est sans doute nécessaire et loin de moi l’idée de la mettre à mal ! Mais il me semble qu’il est utile de recentrer ce qui nous attend sur l’essentiel : il s’agit pour le peuple de choisir un chef d’Etat pour mener une politique qui permette le redressement du pays, il ne s’agit pas de « recruter » sur entretien télévisuel d’une heure avec un interrogateur censé représenter les interrogations du peuple selon des critères incertains et non définis un professionnel quelconque.

Je ris à la publicité sur l’entretien d’embauche, bien trouvé, mais je pleure en même temps devant le succès de la plaisanterie pour ce qu’elle indique sur l’état de notre démocratie !

Aurions-nous pu depuis deux mois avoir la possibilité d’avoir un véritable diagnostic sur la situation de notre appareil industriel, sur sa disparition progressive depuis 25 ans, sur ses conséquences en termes d’emplois et de désertification de nos territoires, sur la nécessité de redresser la barre et sur les moyens dont nous disposons encore ? Mais cela n’intéresse pas les Rigolettos, et on va, bien sûr, parler de « ce qui intéresse les français » !

Loïk Le Floch-Prigent

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