Dassault Systèmes : une belle histoire pour réfléchir

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À la Bourse les entreprises dites du CAC 40 représentent les fleurons de l’institution française et l’évolution de l’indice est considéré comme le révélateur de la santé financière du secteur privé national. Il y a des entrants et des sortants au gré de la marche des affaires, la société Dassault Systèmes vient de rentrer dans ce cénacle où l’on retrouve Total, Air Liquide, Sanofi, Renault, Peugeot …les géants industriels dont le pays conserve encore la direction.

Qu’est-ce que Dassault Systèmes ? Tout le monde connait la saga Dassault, le grand-père, Marcel, puis le fils Serge disparu récemment, et les avions militaires, les Mirages et les Rafales.  On continue à faire rêver les  nouvelles générations avec l’aéronautique qui a représenté pendant des dizaines d’années la pointe de la technique, mais l’arrivée massive des nouvelles technologies dans la vie quotidienne a fortement entamé la conquête du ciel comme objectif prioritaire.

Marcel Dassault avait-il entrevu cette évolution alors que l’épisode des nationalisations industrielles avaient fait entrer l’État dans le capital de la société des avions ? En tous les cas c’est en 1981 que Dassault filialise son activité de Conception Assistée par Ordinateur et de Fabrication Assistée par Ordinateur. Le logiciel de l’époque, CATIA, est, bien entendu adapté à la construction aéronautique, mais l’ industriel considère qu’il doit pouvoir conquérir d’autres marchés dans tous les secteurs de l’industrie. Le coup de génie est de s’allier à IBM, alors à la tête de l’informatique mondiale avec un quasi-monopole. IBM est la locomotive commerciale, les ingénieurs sont chez Dassault Systèmes et on se partage les gains 50/50. Dassault Systèmes est né de cette double décision avec un produit autour duquel travaillaient 25 ingénieurs et près de quarante ans après il se positionne à coté de   l’allemand SAP en tant que premier éditeur européen ,un des leaders mondiaux du secteur, et affiche  une capitalisation boursière de plus de 30 Milliards à faire pâlir d’envie les vedettes consacrées du CAC 40. Dassault Systèmes est désormais le partenaire des plus grands industriels mondiaux, aux USA, en Chine, au Japon, en Russie, dans tous les secteurs industriels , et avec des engagements réciproques sur des périodes de vingt à trente ans. Nous avons changé d’époque, les politiques et leurs commentateurs ont les yeux rivés sur les applications de leurs smartphones alors que  la montée en puissance de Dassault Systèmes nous montre les changements complets dans le système de production, que l’industrie du futur est à nos portes et que nous nous  refusons  à la voir. La fulgurance du développement de cette société, ses capacités à imaginer des solutions là où l’on s’est habitué aux blocages devraient nous rendre plein d’humilité devant l’avenir de nos secteurs productifs, organisation, compétences, process, tout est remis en question et c’est une chance formidable pour l’ensemble de nos techniciens, conquérir, reconquérir, tout est possible aujourd’hui si on arrive à s’enlever les œillères des fausses certitudes et si l’on veut bien se remettre en question. Le « père Marcel » n’a pas eu peur et c’est lui qui a eu raison !

Il est clair que l’omni présence des fameux GAFA, leurs capacités boursières, leur imagination débordante sur des produits révolutionnaires nous rendent perplexes et nous avons le sentiment d’avoir loupé le coche de nombreuses fois au cours des années récentes. Le fameux « minitel » préfigurait internet, nous avions une avance dans les télécommunications vite balayée, notre TGV a été racheté par les allemands, nous ne savons plus si notre aéronautique européenne reste ou non nationale aussi, nous perdons nos repères et nous faisons la liste des occasions perdues. Le « suicide » industriel est allé de pair avec le « suicide » culturel décrit abondamment et quotidiennement et l’on en est à se demander si nous avons encore le droit d’exister comme pays industriel dans un monde de plus en plus rapide et compliqué.

Dassault Systèmes est là pour nous redonner le moral, mais encore faut-il saisir la chance que la transformation industrielle, le changement complet qui est en marche, nous offre.

Tout d’abord les créatifs, les visionnaires, ceux qui vont nous permettre encore d’exister demain ne se recrutent pas dans le conformisme et le carriérisme. Marcel Dassault  et tous les autres jusqu’à Bernard Charlès aujourd’hui, ne sont pas sortis d’un moule unique et confortable, pas plus que les Bill Gates , Steve Jobs, Larry Page, Mark Zuckerberg, Elon Musk… aux USA, il nous faut nous habituer à ce que des êtres étranges , imaginatifs, aux caractères trempés, boulimiques de travail, de connaissances, bousculent notre avenir. Laissons les médiocres les combattre, et arrêtons de les montrer du doigt. J’ai honte de ce que mes contemporains ont pu écrire sur Marcel et Serge Dassault en oubliant ce qu’ils leur devaient

Ensuite il faut se souvenir de la nécessité de maintenir une industrie productive dans notre pays si nous souhaitons que les générations futures puissent conserver un niveau de vie comparable au notre . Nos usines et nos ateliers seront de plus en plus automatisés, robotisés, numérisés. Mais c’est une extraordinaire opportunité de connecter les ouvriers, les techniciens des ateliers avec l’ensemble des forces vives de l’entreprise telles que les ingénieurs du bureau d’études, des méthodes et du marketing …la recherche de solutions sera de plus en plus collaborative et résultera de l’implication de l’ensemble du personnel. Arrêtons d’opposer technologie et cols blancs, technologie et emploi. Les rôles de chacun seront revisités et élevés en compétence et savoir-faire. Les technologies telles que la réalité virtuelle, augmentée, immersive, vont permettre au contraire de remettre l’humain au centre de l’innovation car c’est le « savoir-faire » qui fera la différence une fois que les technologies seront devenues un moyen d’apprendre plus vite, n’importe où, n’importe quand. Les logiciels et les algorithmes sont des produits, mais ils sont indispensables aux producteurs des produits finaux pour mieux satisfaire les consommateurs, ils permettent de personnaliser sans surcout, c’est la révolution qui est en cours. Il n’y a donc pas substitution mais complémentarité, et donc partenariat. Il y aura des usines, mais souvent l’imprimante 3D va pouvoir remplacer des machines très nombreuses et sur lesquelles travaillent un personnel important. Il est inutile de faire la liste de tous les produits industriels de consommation courante qui vont continuer à sortir des usines, mais la question n’est pas de savoir si les usines existeront mais si c’est en France qu’elles pourront se maintenir. Désormais tous les maires de France ont compris que les entreprises de services et l’ensemble de l’économie locale vivaient grâce au secteur productif et dès que celui-ci disparaissait, c’était l’équilibre du territoire qui s’effondrait.

Mais l’histoire du succès de Dassault Systèmes mérite aussi d’autres commentaires.

La stabilité de l’actionnariat et le patriotisme de la famille Dassault a permis le maintien de l’entreprise dans des mains nationales . On a pu voir que dans la plupart des secteurs industriels la dispersion actionnariale et l’action de l’Etat avaient conduit à des catastrophes. La succession de conformistes et d’incompétents issus de l’État-actionnaire a induit ces destins mortifères.

Le développement de Dassault Systèmes s’est appuyé sur le partenariat avec l’industrie étrangère, « nul n’est prophète en son pays » certes, mais il  devrait y avoir des limites aux difficultés de coopération entre entreprises nationales. Devant le gouffre actuel, les liens se resserrent, c’est salutaire, mais un peu tardif, il va falloir changer vite et partout et l’engagement de Dassault Systèmes dans les industries du futur est prometteur s’il est bien accepté par tous, il y va de notre avenir à tous .

Une grande partie de la recherche de Dassault Systèmes porte sur la biologie et les sciences de la vie . À l’heure où la mode est à parler de l’intelligence artificielle et de l’homme augmenté, où les prophètes nous font craindre le pire, des hommes et des femmes s’interrogent sur les conséquences des apports de la numérisation sur la société et la nature humaine. Déjà la digitalisation avait permis de donner au concept du développement durable des possibilités prédictives indispensables, mais c’est désormais la biologie, la médecine, l’alimentation, la prévention, la pharmacie, qui sont en train d’être irriguées par de nouveaux instruments . Mais ne nous trompons pas de futur, la définition de l’intelligence humaine n’ayant pas encore été réalisée, on est encore loin des commentaires philosophiques des historiens du futur autoproclamés qui ignorent la réelle portée des avancées scientifiques. N’est pas Jules Verne qui veut !

Loïk Le Floch-Prigent

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