Dans la Lumière de la Provence Noire

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Dans la Lumière de la Provence Noire, au Centre d’Art la Falaise de Cotignac, du 19 au 30 mai 2021.

En écho à l’ouvrage d’André Verdet, Gilles Ehrmann et Pablo Picasso, « Provence noire » (1952), l’exposition associe dix artistes majeurs qui ont su capter la haute lumière et l’ombre singulière d’un paysage où se découvre une vie secrète et contrastée.

La Provence noire et sa lumière
Cette exposition est née de souvenirs partagés. Elle se découvre en résonance avec des indices que la mémoire recompose. En écho tout d’abord à l’ouvrage Provence Noire, qui réunissait en 1952, les textes d’André Verdet, les photographies de Gilles Ehrmann sous une couverture originale de Pablo Picasso. Mais aussi en référence à une remarque de Jean-Roger Soubiran dans l‘Anthologie de la création contemporaine dans le Var (1985) qui signalait l’existence d’une génération d’artistes s’attachant « à capter les âmes de la Provence noire, celles qui ne sortent que la nuit ». Un point de départ en forme de jeu avec la haute lumière d’un paysage qui se révèle dans son ombre portée. L’obscure clarté donc, tel un oxymore en actes, propice à l’évocation d’un monde latent, secret, âpre et même cruel. Mystérieux toujours, sibyllin, sans pour autant être indéchiffrable. La captation de la part d’ombre d’un paysage voué à la lumière. « Persiennes fermées mais au dehors le soleil écrase le dernier chant d’une cigale » (André Verdet). Un état intermédiaire, un entre-deux. L’ exposition réunit ainsi et met en perspective des artistes qui manifestent dans leurs oeuvres un paysage intérieur, silencieux et contrasté, souvent bruissant d’une vie nocturne. Ici la demi-teinte et l’estompe captent le plus souvent le mystère de l’obscur éclat d’une « terre des hommes » trop souvent assignée à un pittoresque factice. Le rapport à la nature se fonde sur l’intériorité, l’apparence et la profondeur des êtres et des choses. Conjuguer le « faire », le « comment c’est fait », et le « faire apparaître », voilà l’épreuve commune qui rassemble ces dix artistes. Une exposition collective dresse souvent en creux le constat des divergences. Dans la lumière de la Provence noire donne effectivement à voir la somme de parcours singuliers, réunis dans le même souci d’un travail pensé et conçu par et pour l’appréhension des marges crépusculaires. D’un entre-deux dans lequel dessein et dessin se répondent, se discernent et se confondent. Le réel se découvre dans une présence silencieuse qui induit l’oeuvre. L’étrange éclat de ces hautes terres ne constitue pas un simple décor, mais un contexte, la manifestation d’un point de vue sensible. Une familiarité plus ou moins grande lie ces dix artistes à une Provence qu’il faut envisager dans ses dimensions historiques et métaphoriques. Un paysage réel, rêvé, fantasmé. Ici point d’école, de manifeste, de travail collectif, mais des points de rencontre. La plupart d’entre eux se sont retrouvés dans un même parcours assidu et amical avec la galerie Chave (Vence) et la galerie Sordini (Marseille). Des affinités électives qui se déclinent dans des pratiques artistiques conçues comme autant de transitions, de métamorphoses, d’apparitions. Une commune manière noire, un état d’esprit qui réunit peintres, dessinateurs, pastellistes… Des artistes aux multiples talents, pratiquant à plaisir l’hybridation subtile et souvent méticuleuse des techniques tout en considérant le dessin comme premier et essentiel. Les oeuvres de Raymond Berbiguier, Georges Bru, Jean- Marie Cartereau, Fred Deux, Gérard Eppelé, Gilbert Pastor, Muriel Poli, Louis Pons, Jean-Marie Sorgue constituent autant de déclinaisons de ces techniques du clair-obscur qui favorisent l’appréhension des marges crépusculaires. Faut-il réserver un sort particulier au travail de Michel Roux, qui participe de l’univers des signes? De fait le travail de ce dessinateur obstiné, s’accorde à un même principe formel où le hasard objectif, cher à André Breton, joue son rôle. André Breton! Comment échapper à son ombre tutélaire? Parmi ces artistes certains se sont pensés un temps surréalistes, d’autres non, ou ont tout simplement ignoré le mouvement. Tous possèdent cependant « le don des noirs à jamais les plus profonds qui sont ceux qui permettent les plus éblouissantes réserves de lumière » (1) que revendiquait le poète. Tous empruntent des chemins de traverse, côtoient les marges, sillonnent des couloirs incertains, se trouvent à la lisière de l’insolite et de l’étrange. « Ici commence le pays des fantômes. Et quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ». (2)

Entre chiens et loups, les dix artistes majeurs présents dans les salles du Centre d’art contemporain de Cotignac, ont su capter la haute lumière et l’ombre propice d’un paysage dont ils discernent et révèlent la vie secrète, silencieuse et poétique.

Robert Bonaccorsi

1/ André Breton, préface à l’édition de 1954 du roman de Charles-Robert Maturin, 1954.
2/ Intertitre français pour le Nosferatu de Murnau, 1922.

 

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