Opéravenir vous propose une plongée dans la culture tchèque en cette période de confinement. Dalibor de Bedrich Smetana créé le 16 mai 1868 au Théâtre National de Prague, pour son inauguration.
Bedrich Smetana 1824-1884
La première fois que je découvrais le compositeur de la Moldau j’avais 16 ans à Marseille dans le quartier populaire d’Endoume. Le Mercredi après-midi, la cellule du Parti communiste locale « François Billoux » louait une petite salle de spectacle pour accueillir des troupes d’artistes venus de l’Est. Ce jour-là une petite formation de chanteurs et danseurs était venue jusqu’à nous pour nous raconter la légende du chevalier-troubadour Dalibor, héros national de Bohème! Les costumes étaient flamboyants, la musique de Smetana exaltante. Plus tard lors d’un voyage d’étudiant dans les démocraties populaires, comme on disait alors, j’ai ramené une brassée de vinyles dont deux intégrales de l’Opéra Dalibor.
Des personnages historiques
L’action se déroule à la fin du XIV° siècle à Prague. Le troubadour Dalibor (ténor) est traduit en jugement devant le roi Ladislav (basse), pour avoir attaqué le château et tué le burgrave de Ploskovice un seigneur local cruel. Il est accusé par Milada (soprano lyrique) la sœur du burgrave qui demande justice pour la mort de son frère. Sommé de s’expliquer, Dalibor plaide coupable mais dit avoir procédé à ce forfait pour venger la mort de son ami Zdenek un grand luthiste, son maître en musique, injustement assassiné par le Burgrave. Dalibor est condamné à mort. Milada convaincue par la sincérité et le charisme de Dalibor lui pardonne et décide de le sauver, avec l’aide de sa fille adoptive Jitka (soprano léger).
Jitka et son jeune ami Vitek, préparent une attaque pour délivrer Dalibor. Sous des habits d’homme Milada s’introduit dans la prison et obtient l’autorisation du geôlier Benes (baryton) de le rejoindre dans sa cellule. Après avoir pris un instant Milada pour le fantôme de Zdenek, Dalibor tombe amoureusement dans ses bras, succombant pour la première fois au charme d’une femme.
Craignant une révolte du peuple pour libérer Dalibor, le roi cède aux juges qui lui réclament la mise à mort immédiate du chevalier. L’évasion de Dalibor échoue, et Milada est mortellement blessée durant l’attaque. Dalibor se précipite sur l’épée du chef des gardes, Budivoj, et meurt en prononçant les noms de Milada et Zdenek.
Une œuvre brûlante de passion
Le librettiste, Josef Wenzig, s’est inspiré d’une figure historique du XIVème siècle, le chevalier Dalibor emprisonné à Prague pour avoir soutenu la cause du peuple contre l’autorité royale. Il jouait du violon de sa tour et la légende veut que le peuple et les gardiens lui procuraient des vivres pour le remercier de la beauté de sa musique. La tour Daliborka, construite dans les contreforts du château pour l’incarcération du Dalibor historique, fait d’ailleurs partie des monuments les plus célèbres de Prague.
Pilier du répertoire des opéras tchèques, il fut repris à Vienne par Gustav Mahler en personne dès 1898.
Une grande partition
La partition de Dalibor est superbe, traversée de leitmotiv prenants et émouvants, et d’inspirations géniales. Ainsi l’introduction, utilise les cuivres en sourdine, puis se déploie en un des plus beaux thèmes musicaux du répertoire, avant de s’épanouir en un chœur sombre et puissant.
Entre Lohengrin, Fidelio et le Trouvère.
L’intrigue romantique de Dalibor, est pleine de rebondissements et de situations dramatiquement fortes. Le thème rappelle étrangement quelques autres opéras du répertoire.
- Le procès du premier acte, arbitré par le roi Ladislav, évoque Lohengrin de Wagner.
- Le second acte avec son couple d’amoureux légers, sa descente au fond de la prison d’une femme déterminée travestie en joueur de luth avec l’aide d’un vieux geôlier, et la méprise de Dalibor, confondant l’apparition de Milada avec le fantôme de Zdenek, font penser au Fidelio de Beethoven.
- Le chant sombre des moines et les cloches lugubres au bas de la tour où est emprisonné Dalibor au troisième acte rappelle le Trouvère de Verdi. Une légende nationale tchèque
Ces ressemblances, n’empêchent nullement cette histoire de déployer sa propre originalité. Jamais personnage ne fut aussi noble et héroïque, peu d’amoureuses lyriques furent aussi passionnées, et le motif de l’intrigue, l’amitié vengée, n’est pas si fréquent dans le répertoire. La nature des relations de Dalibor et Zdenek constitue également une des originalités majeures de cet opéra. La question de l’homosexualité, rarement évoquée dans le répertoire, mis à part dans certaines œuvres de Benjamin Britten, est ici incontournable.Dalibor s’éteindra en prononçant ensemble les deux noms de Milada et Zdenek…Un grand rôle de ténor
Le rôle-titre de Dalibor est splendide. Le caractère du héros est noble, héroïque et la musique de Smetana est sans cesse débordante de lyrisme et d’émotions. Peu de rôles du répertoire sont aussi gratifiants pour un ténor dramatique. Tout le premier acte est centré autour des trois superbes interventions du ténor, le second acte contient une grande scène de prison suivie d’un duo passionné, et le troisième acte permet d’afficher héroïsme, noblesse et sensibilité.Parmi ses plus grands interprètes après-guerre on se souviendra Beno Blachut, Ivo Zidek, Vilem Pribyl et Nicolaï Gedda.
Discographie de l’ouvrage
La popularité de l’ouvrage en Tchéquie nous permet de disposer de plusieurs intégrales sous le label Supraphon, toutes publiées en CD. La première version de Iaroslav Krombholc fait figure de référence et dégage une poésie d’ensemble rare. Le Dalibor de Beno Blachut, raffiné et puissant à la fois est splendide. Elle a également le mérite d’être facilement disponible. La seconde version de Krombholc présente l’avantage de la stéréophonie et d’une Nadezda Kniplova époustouflante en Milada aux côtés du beau Dalibor de Vilem Pribyl, un peu moins romantique que Blachut.Opéravenir a toujours comme objectif d’aller voir cette œuvre magnifique à Prague. On verra après le confinement. En attendant voici un grand film musical de Václav Krška nominé pour la Palme d’Or au Festival de Cannes 1956.
Jean-François Principiano