Nous avons été élevés dans la compétition, individuelle dans nos études, collectives dans le sport, puis dans l’entreprise, tandis que le bien commun, l’intérêt collectif, était représenté par la fonction publique et le service public. Cette vision du monde n’était pas unanimement partagée, beaucoup voyaient dans la notion « publique » la source de beaucoup d’abus de toutes natures. La plus notable de ces révoltes a été celle concernant l’éducation qui a vu les partisans de « l’école libre » manifester pour échapper à la mise sous tutelle définitive de leurs centres d’enseignements. Mais cette contradiction permanente existe dans nos consciences individuelles et collectives sur tous les aspects de notre vie, les hôpitaux et les cliniques, les services de la Poste, le téléphone, l’électricité, le gaz, le train…et même la sécurité et sans doute demain la justice. Aucune responsabilité de l’État n’échappera demain à la critique, à l’examen et à la demande de transparence et d’efficacité.
Je me contenterai de rester dans mon domaine qui est celui de l’industrie, de l’énergie et des transports, laissant à des philosophes et d’autres experts le soin de concevoir ce que sera le monde futur dans tous les autres domaines.
Ce que j’observe dans le domaine de l’énergie c’est qu’il y a une grande confusion entre l’idée qu’il faut de la concurrence et celle que l’État doit décider. La dernière déclaration du Ministre de la Transition Écologique est, à cet égard, caricaturale : »EDF ne décide pas de la politique énergétique de l’État ». Pendant le même temps, le même jour, un peu avant son intervention, le Président de la République glorifiait la concurrence qui allait sauver le service public ferroviaire dont lui-même, le Ministre, avait célébré les bienfaits le dimanche précédent « pour une mobilité durable construisons le rail de demain ».
Le problème, c’est que si on ne réfléchit pas, ces bonnes intentions sont contradictoires.
Pour EDF, bâtie par l’État autour de l’indépendance énergétique depuis le Général de Gaulle, le nucléaire est l’épine dorsale. Il représente 75% de la production et a permis de constituer une industrie forte de 200 000 personnes dans l’hexagone. L’électricité est un service public universel, c’est-à-dire que chaque français a « droit » à une connexion, et la Commission Européenne a décidé (avec l’approbation de la France), de séparer les activités de production de celles de transport et de distribution. Elle a aussi demandé de prévoir de la concurrence, ce qui a conduit Engie, Direct Energie, Eni, Total et Butagaz à faire des offres alléchantes aux consommateurs, ainsi que la création d’une agence de régulation de la concurrence, la Commission de Régulation de l’Énergie ou CRE. Par ailleurs l’État a voulu que la production prenne en compte les Énergies Renouvelables (nouvelles, à savoir le solaire et l’éolien) et a lancé un vaste programme de construction financé par à la fois le contribuable et le consommateur (environ un tiers de la note d’électricité actuelle). EDF doit céder sa production d’électricité à ses concurrents à un prix décidé par l’État après avis de la CRE. Sa situation financière ne s’améliore donc pas, mais sa détérioration ne change guère. Elle peut simplement bénéficier de l’amortissement d’installations nucléaires anciennes si elle peut envisager la poursuite de la production comme c’est le cas à travers le monde. La rupture est consommée, à cet égard, par le projet de fermeture unilatérale, par l’Etat, de la centrale de Fessenheim, et par ce qui doit suivre. C’est une société, cotée, avec des investisseurs privés, et l’État intervient dans son patrimoine sans vouloir en payer le prix, à savoir indemniser vraiment les investisseurs. Les centrales nucléaires amorties peuvent encore servir, sous réserves de la permission accordée par l’Autorité de Sureté Nucléaire, mais le Ministre dit déjà qu’il n’en sera pas tenu compte car c’est l’État qui va décider, à savoir que l’on va poursuivre un programme d’Énergies Renouvelables gravement déficitaire. Quand, pendant le même temps l’État demande à EDF d’investir dans le programme d’énergie nucléaire de la Grande Bretagne, on imagine le grand écart que l’on effectue ! C’est ce que chez moi on appelle vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière !
Pour la SNCF on observe que le monopole n’a pas conduit à la modernisation pas plus qu’à la satisfaction des consommateurs malgré les contributions importantes du contribuable. Les causes sont multiples et un bon diagnostic aurait été utile, il aurait nécessité une étude de terrain car c’est la seule manière de savoir « vraiment » ce qui se passe. Et, une fois de plus on considère que la concurrence va être l’instrument du progrès. Est-ce que l’État va se comporter comme chez EDF , à savoir décider des couts ? Car si les centrales nucléaires ont été construites, comme les lignes de TGV, c’est à l’État qu’on le doit, et à personne d’autre. Il n’y a pas de jugement de valeurs dans mon propos, je ne dis pas que l’État a eu tort , pas plus que pour la construction du Métro de Paris ou des autoroutes, mais il faut savoir ensuite ce que signifie « mettre en concurrence « . S’il s’agit de faire gérer par d’autres des lignes secondaires et d’alléger dans les comptes les frais de structures du siège, la SNCF peut le faire avec la création de filiales ou, comme elle le fait déjà en cédant la concession à un autre démembrement de l’État comme Transdev, pas de problème… s’il s’agit de laisser des concurrents allemands circuler sur les lignes TGV, elle le fait déjà, s’il s’agit de céder à d’autres sociétés la gestion de réseaux régionaux …pourquoi pas , mais là il faut évaluer le risque financier. Dans ce dernier cas, effectivement le monopole naturel qui est une ligne ferroviaire doit avoir une gestion unique, si c’est la SNCF, cela rentre dans ses comptes, si c’est quelqu’un d’autre qui paie et qui contrôle ? La haute autorité, l’ARAFER, est déjà candidate et cela aura un cout. Qui paiera ? La région, la SNCF, non, bien sûr, le contribuable comme d’habitude. Et l’on revient au diagnostic précédent , on ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière.
Je suis bien conscient de la nature irritante de la situation des monopoles de service public, des insuffisances constatées par les consommateurs, usagers, clients…et contribuables , des nécessités de changer, de transformer, de modifier, d’arrêter la culture des blocages, mais il faut toujours réfléchir à l’amélioration du système en place et non à sa détérioration et c’est souvent les professionnels de base, les quotidiens du service public qui peuvent nous indiquer quelles sont les possibilités de progrès et les réformes souhaitables et possibles. Je ne doute pas de la bonne volonté des hommes et des femmes qui se penchent aujourd’hui au chevet des rigidités mortifères de la société française, je pense simplement, en les écoutant, qu’il faudrait qu’ils aillent visiter les endroits où les choses se font et qu’ils ne parlent pas, qu’ils se contentent d’écouter ce que les « affreux nantis des services publics à la française « veulent voir se maintenir et ce qu’il faut absolument changer, ils seront surpris de constater combien leurs désirs rencontreront les leurs.