Compte rendu critique
Jean-François Principiano
Le concert de la tournée des lauréates du concours des Voix Nouvelles a tenu toutes ses promesses avec Hélène Carpentier soprano lyrique, Ambroisine Bré mezzo-soprano et Caroline Jestaed, soprano léger au piano Mathieu Pordoy.
Ce concours a permis de découvrir dans ses éditions précédentes quelques-unes des plus grandes voix internationales d’aujourd’hui parmi lesquelles Natalie Dessay, Nathalie Manfrino, Karine Deshayes, Anne-Catherine Gillet, Florian Laconi, Stéphane Degout…Il est Co-organisé par le Centre Français de Promotion Lyrique, la Fondation Orange et la Caisse des Dépôts, avec le soutien du Ministère de la Culture, du Ministère des Outre-Mer et de l’Adami en partenariat avec France 3, France Musique et TV5 Monde.
Trois finalistes de qualité
Trois des douze finalistes se présentaient donc aux spectateurs samedi 27 octobre 2018 à l’Opéra de Toulon.
Hélène Carpentier et Ambroisine Bré débutèrent la soirée avec la barcarolle des Contes d’Hoffmann Belle nuit o nuit d’amour. Bien en place et soutenue avec maîtrise par le pianiste et chef de chant Mathieu Pordoy. D’entrée on comprend que le jury a choisi la potentialité et la fraîche intentionnalité des interprètes.
Suivait une prestation brillante de l’air et scène de Thérèse extraite des Mamelles de Tirésias de Poulenc par Caroline Jestaedt. Choix difficile d’un style lyrique proche de la conversation musicale. Une belle assurance dans l’émission et une articulation qui pourra encore s’améliorer mais laissant présager une volonté de caractérisation fort louable de la part d’une interprète déjà habituée aux grandes maisons lyriques. Nous l’avions admiré dans sa prestation vocale du rôle de la fée dans le Pinocchio de Philippe Boesmans.
Hélène Carpentier se présenta ensuite dans l’air de Juliette de Romeo et Juliette de Charles Gounod Ah !je veux vivre. Valse brillante et enlevée avec un souci de virtuosité sans excès par ce beau brin de soprano. Voix puissante à l’aigu large qui peut encore gagner en articulation et en diction française. Fortement applaudie Hélène possède un charme tendre et une présence scénique déjà bien assurée.
Le famosissimo duo de Lakmé Sous le dôme épais par Caroline Jestaedt et Ambroisine Bré a été bien rendu. L’appui du pianiste et sans doute ses indications ou tout au moins l’entente qui s’était installée a donné à ce moment de grâce tout le charme requis.
Avec l’air de Giulietta Eccomi in lieta vesta Hélène Carpentier allait justifier haut la main son 1er prix. D’abord félicitons-la pour sa prononciation de l’italien impeccable et pour sa belle ligne de chant bénéficiant d’un timbre généreux riche en harmoniques. Incontestablement le répertoire italien dont elle maîtrise déjà toute la morbidezza et le legato lui conviendra dans sa carrière.
Caroline Jestaedt dans Caro Nome, l’air de Gilda de Rigoletto a choisi un tempo plutôt rapide pour l’arioso noté assai moderato qui veut dire très modéré. Elle s’est affirmée par la pureté de ses notes aiguës qu’elle déploie avec une grande facilité.
Charme et maîtrise technique
Très belle surprise avec l’air de Stefano du Roméo de Gounod par Ambroisine Bré. Cette jeune artiste a du charme, du piquant, un grand sens de la scène. Cet air délicieux est souvent négligé dans la distribution de l’œuvre et c’est judicieux de l’avoir choisi. Elle redoubla son succès public avec l’air d’Orphée de Gluck version Berlioz Amour viens rendre à mon âme. (vidéo) et les Couplets de l’éternuement extrait de l’Etoile de Chabrier. Elégance, sens de la caractérisation, charme mutin. Elle le bissa, avec encore plus de présence à la demande du public conquis.
Le récital se terminait avec le grand air avec récitatif de Marie extrait de la Fille du Régiment de Donizetti, Il faut partir (vidéo) et Salut à la France. Morceau de bravoure redoutable. Cet hymne, qui sert de final à l’opéra, est le morceau le plus français, le plus francophile jamais écrit par un compositeur, italien de surcroît. Caroline Jesteadt l’a interprété avec panache et audace, n’hésitant pas devant les difficultés techniques du rondo final. De belles notes aigues filées et un bon legato. Bravo !
Le succès public de ce récital toulonnais (le 2eme de la tournée et le premier avec le piano) confirme ainsi les choix du jury. Si l’on devait résumer l’ensemble de la prestation de cette soirée, il faudrait insister sur la qualité du pianiste accompagnateur Mathieu Pordoy, fin connaisseur de toute l’évolution de l’art vocal et vigilant jusqu’à l’humilité devant ces jeunes tempéraments vocaux féminins.
Globalement on ne peut être que ravi par la technique des trois interprètes qui, bien sûr, auront tout le temps, vu leur jeune âge, de murir et approfondir l’articulation, la projection, la ligne de chant et surtout l’intériorisation des nombreux rôles qui les attendent à l’orée de cette carrière prometteuse.
Jean-François Principiano