Baccarat : une vitrine française ?

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A cinquante kilomètres de Nancy, en Meurthe et Moselle, une petite ville doit son renom à sa cristallerie, Baccarat. Dans le monde entier, et pas seulement en Europe, on connait le » Baccarat » synonyme de prestige et de qualité, et le cristal français lui-même a grande réputation à côté de celui de Bohême et de celui de Murano. Il y a aussi les maisons Daum, Saint-Louis, Lalique, et les arts de la table français sont aussi célèbres, la porcelaine de Limoges, la faïencerie de Gien, de Quimper, un mélange de savoir-faire, de gout, une sorte de bien commun à la fois artisanal, industriel et culturel.

La cristallerie Baccarat issue des Verreries de Sainte-Anne de 1764, a connu ses heures de gloire avec la propriété et la gestion de la famille De Chambrun, de 1853 à 1989. A cette date elle est cédée à la famille Taittinger, célèbre pour son champagne (à boire dans des flutes de cristal !) et propriétaire de chaines d’hôtels (dont l’hôtel Le Crillon place de la Concorde à Paris). En 2007, la famille Taittinger veut céder l’intégralité de son patrimoine au plus offrant, un américain, et j’ai déjà développé dans mon livre « la bataille de l’industrie » ce qu’il est advenu des champagnes rachetés au prix d’une lutte difficile au conglomérat Américain Starwood par Pierre-Emmanuel Taittinger pour sauvegarder le patrimoine national d’un nom illustre. Baccarat était resté dans le giron américain, le groupe se délestant de 33,5% au cours des années suivantes. Le chiffre d’affaires stagne depuis des années, de l’ordre de 90 millions d’Euro, avec comme dans tout le secteur environ 70% d’exportation. Entre l’entreprise et le musée, on a avec le cristal le coeur de l’économie de la petite ville.

Il est clair que depuis 10 ans on sait bien que le groupe Américain va vendre cette entreprise, et c’est d’ailleurs ce qu’il a commencé à faire en cédant à un fonds une minorité de son capital. Il y a eu deux initiatives de la collectivité nationale, celle de la création du « Comité Colbert » en 1954 pour coordonner la promotion du Luxe et autres biens culturels, et plus récemment l’institution du label Entreprise du Patrimoine Vivant ou EPV (!) pour prévenir les acheteurs potentiels du savoir -faire d’excellence d’un millier d’entreprises ainsi « reconnues », avec un petit cadeau fiscal à la clé, comme c’est la coutume dans notre pays. C’est tout et l’impact de ces initiatives est faible, communication, voyages et réunions !

Aujourd’hui Baccarat est en vente, des Chinois sont disposés à délester les américains de cette charge, nous avons eu dix ans pour nous préparer…et rien n’a été fait , Baccarat peut devenir chinois demain, comme les cristalleries d’Arques (bien plus grosses et sur un autre créneau) sont devenues américaines en 2014…et comme beaucoup de notre patrimoine qui est vendu à l’encan sans que cela ne passionne personne !

Par contre quand il s’agit de patrimoine proprement culturel, là, les trompettes sonnent, tout le monde au créneau et lorsque l’exception culturelle est payée à la fois par le contribuable et les clients l’ensemble des défenseurs du patrimoine en question se congratulent, le pays est sauvé !

Eh bien moi, je ne me satisfais pas de la disparition progressive du savoir-faire français industriel et je continue à penser que c’est aussi une grande cause nationale à promouvoir. Compte tenu du montant de notre épargne nationale, 11 000 milliards d’euro, de celle de l’épargne vie, 2000 milliards d’euro, que depuis dix ans on ait été incapables de mobiliser une centaine de millions d’euro pour préserver un trésor industriel national est insensé !

On peut continuer à sauter sur notre chaise en hurlant « emploi, emploi, emploi « on peut considérer que les priorités nationales sont de savoir qui va recueillir la palme d’or au Festival de Cannes ou le Prix Goncourt, nous interroger sur qui va présenter le Journal de 20 heures à France 2, mais dans le

même temps il faut aussi se mobiliser pour préserver et développer notre patrimoine industriel national bâti à la sueur des fronts des générations antérieures. Que depuis quelques années, et surtout les dernières on ait abandonné les turbo-alternateurs d’Alstom, les cimenteries de Lafarge, la chimie de Rhodia, le téléphone d’Alcatel, les bassins navals de Saint-Nazaire, les cristalleries d’Arques, et que nous soyons incapables de comprendre que notre avenir collectif périt dans cette incapacité à investir notre épargne dans le secteur productif me scandalise. Il est plus que temps de hiérarchiser nos indignations et donc nos informations, nous venons de vivre depuis 5 ans, 10 ans, 15 ans, une succession de drames industriels qui conduisent à la situation actuelle, il faut les regarder en face et mettre en place les remèdes.

Si déjà, pour sensibiliser la population à cette priorité nationale évidente, puisque Baccarat est un symbole de la France éternelle, tout le monde de la culture, cinéastes, artistes, écrivains, rejoignaient un combat pour le sauvetage de la cristallerie Baccarat et son arrimage au vaisseau France, on aurait fait un grand pas pour la pédagogie du pays tout entier et l’on arriverait à intéresser tous les français à l’avenir du secteur de la production industrielle dont dépend le leur. Puisque nous sommes sensibles aux symboles, prenons celui-là pour nous redresser !

Loïk Le Floch-Prigent

 

 

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