The Darkest Dungeon : la pénitence ludique

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« That is not dead which can eternal lie
And with strange aeons even death may die”
Howard Philips Lovecraft

The Darkest Dungeon est un des trop rares exemples de projets Kickstarter menés à bien. Ceci en fait déjà une perle rare en soit, mais quand en plus le petit jeu de Red Hook se permet d’être brillant sur tous les points, ce serait parfaitement injuste de ne pas en parler partout et à toute heure. Munissez-vous de votre plus belle torche et de votre lame la moins émoussée et laissez-moi vous entraîner dans les profondeurs obscures de ce conte morbide…

Un kickstart fulgurant et un Early Access exemplaire
La décadente histoire de notre jeu commence en mai 2013 au Canada, quand les lugubres cultistes du studio Red Hook commencent à travailler sur leur prochain rejeton : un jeu de rôle roguelike[1] à l’esthétique gothique et léchée s’intéressant aux impacts psychologiques que pourraient avoir les aventures vécues par des héros de dark fantasy[2]. Tout un programme…

C’est le 10 février de l’année suivante que le jeu est offert en pâture au public via une campagne kickstarter. L’objectif en est double : récolter des fonds pour le financement du projet et prendre la température du public vis-à-vis d’un tel concept. Et ce sera bouillant dans la mesure où le 12 Février 2014, soit deux jours après le début de sa période de financement, le jeu atteint son objectif. Le reste de l’argent qui sera amassé permettra de peaufiner le jeu de diverses manières, notamment par l’ajout de nouvelles classes de héros et par de nouvelles mécaniques de jeu.

Après Kickstarter, le jeu se retrouve sur steam en mai 2015 en bénéficiant du programme Early Access qui permet de proposer à la vente un jeu « en développement » pour aider à la financer. Cette campagne sera également un succès et le jeu sortira enfin, dans sa version finale, le 19 janvier 2016. Et maintenant qu’il est finit, que vaut-il vraiment ?

Esprit es-tu là ?
Darkest Dungeon 01Quand on lance le jeu pour la première fois on est d’abord frappé par sa direction artistique aux petits oignons : des graphismes « crayonnés » nous renvoient à un imaginaire gothico-lovecraftien des plus réussis et on se surprend souvent à frissonner devant le pouvoir de suggestion de quelques dessins qui peuvent sembler assez pauvres aux premiers abords. Mais la beauté de ces ternes esquisses ne suffirait pas à planter cette ambiance angoissante de corruption et de décrépitude si le coup de crayon n’était pas soutenu par une narration constamment présente qui donnera un écho lugubre à la moindre de vos actions. Etant particulièrement sensible à l’aspect narratif d’une œuvre, The Darkest Dungeon m’a agréablement surpris dans la manière qu’il a d’aborder la chose : l’histoire vous est contée par une voix-off – celle d’un parent proche, suicidé, à cause de qui vous êtes là – et elle intervient tout le temps ou presque : chacune des actions de vos héros est une occasion pour votre ancêtre décédé de ruminer son spleen, vous donnant l’impression de nager à contre-courant à la frontière d’un monde qui ne vous veut aucun bien.

Vos héros également font partie intégrante de cette narration : mercenaires désabusés et traînant pour la plupart un lourd passé teinté par le vice, ces anti-héros deviendront pour vous des amis, voire de la famille. A travers une fiche de personnage relativement sobre, ces dramatis personae se voient offrir une épaisseur de caractère à travers ce que le jeu appelle les manies (ou quirks pour ceux qui joueront en VO) qui définissent les travers positifs comme négatifs de vos héros. Ainsi, Reynauld, le premier croisé que le jeu vous offre, est un kleptomane bigot qui se sent investi d’une plus grande puissance quand il est environné de lumière. En dehors des modifications de statistique et de gameplay que ces manies entraînent, elles ont un apport indéniable sur la personnification et sur l’immersion.

Darkest Dungeon 03Quand les Grands Anciens traînent dans la cave

Concernant son scénario, c’est du côté de Lovecraft et de Poe, entre autres, que The Darkest Dungeon va chercher son inspiration. On y incarne le descendant d’une famille aussi ancienne que noble et décadente : les Hamlets. Nous sommes rappelés au domaine familial par une lettre d’un parent qui nous apprend que, lassé par sa vie d’hédoniste, il s’est mis en quête d’un pouvoir plus grand et plus ancien qu’il a fini par trouver, apportant au passage la malédiction et la ruine sur sa maison.

En effet, il s’avère que l’ancien manoir de famille est bâti au-dessus d’un portail menant vers des dimensions étranges et impies. Il nous incombe donc de débarrasser nos terres de la corruption et de nous enfoncer dans les profondeurs du manoir pour y affronter le mal séculaire réveillé par ce parent.

Cette quête, en terme de jeu, invitera le joueur à explorer différents donjons générés aléatoirement à l’aide d’une équipe de quatre héros maximum. Dans ces différents donjons, le joueur pourra récupérer de l’or et des vestiges familiaux qui lui permettront de restaurer le hameau présent sur ses terres. Ce hameau servira notamment de camp de base pour les héros du joueur qui pourront s’y reposer et y améliorer leur équipement.

Darkest Dungeon 02Une autre mécanique majeure du jeu fonctionne en adéquation avec ce principe d’alternance entre les donjons et le hameau : le stress. Le stress, c’est un peu la santé mentale de vos héros. A mesure qu’ils vont arpenter les lugubres donjons, ils vont emmagasiner du stress et si ce stress atteint un niveau trop élevé, votre héros pourra subir de terribles séquelles psychiques voire physiques… Voir votre puissant croisé mourir d’un arrêt cardiaque après avoir sombré dans la folie est quelque chose qui pourra vous arriver souvent si vous n’apprenez pas à gérer le stress de votre équipe en les faisant se reposer au hameau (à l’église ou à la taverne pour les moins zélés) ou lorsque vos héros camperont au sein des donjons.

Si vous aimez la dark fantasy, Lovecraft, les directions artistiques osées et les jeux exigeants, The Darkest Dungeon vous comblera à n’en pas douter.

Erwin BESNAULT

[1] Se dit d’un jeu se rapprochant dans ses mécaniques du jeu Rogue. En règle générale, ces jeux sont définis par : un aspect procédural dans la génération des niveaux, une difficulté élevée et un système de mort permanente (ou permadeath pour ceux qui aiment le jargon)

[2] Sous genre de la « fantasy », la dark fantasy se distingue du genre mère par une approche généralement plus mature, plus sombre et plus pessimiste du monde et des évènements. Quelques exemples d’œuvres issues de ce genre : Conan le Barbare, Berserk ou encore la série des Souls.

 

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