Voir le visage au-delà du masque

0
Stéphano Carpini

Nous voilà donc libre d’aller et venir. Nous sommes déconfinés !

Stefano Carpini

Vive le déconfinement ! Mais c’est une liberté  conditionnelle. Pour notre bien toutes sortes de contraintes  sont mises en place. Les « ainés » comme ils disent, devront  sortir le moins possible. Les autres devront sortir pour travailler mais la peur au ventre. Le psycho-sociologue Stefano  Carpani qui exerce à Berlin rappelle les conséquences socio-psychologiques de cette situation qu’il nomme du joli nom de coronaphobie.

Sortir oui,  mais tous masqués. Dans cette ambiance de méfiance et  d’inquiétude  l’individu  va s’interroger sur son rapport à l’autre. Il est inquiet de sa présence et  fait un écart de côté lorsqu’il passe à proximité de celui qu’il croise. C’est un paradoxe. Pendant des siècles la pensée occidentale  s’est efforcée de convaincre que le bonheur est dans  la considération de l’autre. Je est un autre disait Rimbaud.  En trois mois on nous demande de nous méfier des autres ! Comment ne pas être perturbés.

La peur de l’autre
Trois manifestations principales se retrouvent dans la coronaphobie liée à la peur de l’autre dans cette épidémie :

– Des émotions pénibles, avec d’une part, des crises d’angoisse avant et pendant les situations sociales de  rencontres  et d’autre part, un sentiment d’incertitude  « il m’a contaminé ? » L’incertitude est souvent difficile à contrôler et donne l’envie de ne pas affronter les situations. Elle pousse au repli au lieu de chercher du réconfort ou de l’information auprès des proches.

– Des modes de pensée négatifs. La personne coronaphobique  a une peur permanente d’être diagnostiquée par les autres, avec l’impression que les gens vont l’observer et remarquer ses faiblesses, peut-être même l’agresser verbalement. Elle tend à percevoir les soignants comme des menaces. La phobie sociale entraîne aussi une auto dévalorisation et une mauvaise estime de soi.

– Des comportements d’évitement. La coronaphobie  pousse la personne  à éviter les situations sociales où elle se sent trop vulnérable : elle refuse certaines invitations, ne se rend pas aux réunions, refuse le travail…

Les remèdes de base
Bien sûr dans certains cas on prescrira un médicament spécifique indiqué pour soigner la phobie.  Il devra être pris sur une période prolongée pour être efficace : il sera important de le prendre quotidiennement, de respecter la dose prescrite et de ne pas interrompre le traitement sans l’avis de votre médecin etc. etc. Des effets secondaires pourront exister, surtout en début de traitement etc. etc… le plus souvent, ils disparaitront en quelques jours. Normalement le traitement ne doit pas gêner : si ce n’est pas le cas, il faudra en parler au médecin etc… etc. Quant aux tranquillisants, c’est aussi le médecin qui  dira s’ils sont utiles, et de quelle manière les utiliser.

Bref, maintenant que l’on a bien été subjugués, conseillés, attendris, vulnérabilisés, stigmatisés, paternalisés, gagatisés, médicalisés, surveillés, conseillés, pavlovisés, cucuifiés, admonestés, conditionnés, apeurés, commandés, gouvernés, précautionnés, protégés, soignés, sauvés, rassurés, préservés, sauvegardés, par ce confinement-déconfinement merveilleux et que l’on est bien docile et soumis (l’injonction sanitaire est la pire des tyrannies qui surpasse toutes velléités de révolte sociale) on obéira aveuglément. Vite, vite ma douche chimique pour ne plus avoir peur…Un sondage dans le journal médical  Lancet annonce d’ailleurs une augmentation de 45% de la consommation des antidépresseurs et somnifères ! Tout cela est comme un emplâtre sur une jambe de bois qui ne règle pas la cause profonde de la coronaphobie. Sans résultat ? Ah non pardon !  celui d’engraisser un peu plus les  grands laboratoires multinationaux.

La vraie solution : se sentir responsable d’autrui.

Emmanuel Levinas

En fait, les victimes atteintes de coronaphobie trouveront plus de bénéfice  à suivre une bonne cure de réflexion  pour améliorer leurs comportements et leurs  façons de penser. Et dans ce sens on ne peut que leur conseiller de relire Emmanuel  Levinas (1906-1995) et notamment  son ouvrage Ethique et Infini.

Dans cette œuvre anticipatrice, Levinas propose une nouvelle éthique mondiale qui débute par  « la reconnaissance d’autrui à visage découvert même si la société impose des masques».

L’expérience d’autrui, écrit-il,  prend la forme du visage. Qu’est-ce que le visage ? Le visage ne doit pas être compris au sens propre : le visage de l’homme excède toute description possible (couleur des yeux, forme du nez …)

Levinas décrit le visage de l’autre comme une plainte, un appel, une vulnérabilité et un dénuement qui, en soi, sans adjonction de paroles explicites, implore le sujet. Je t’en supplie regarde-moi ! « Mais cette supplication est aussi  une exigence de réponse, une exigence de soutien, d’aide et de responsabilité. »

Voir le visage au-delà du masque
Chez Levinas, le visage c’est  donc l’expression d’autrui, qui nous renvoie à une responsabilité totale : je dois répondre de tous les autres. Souvenons-nous de Dostoïevski  dans Crime et Châtiments : “Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres“

Regarder l’autre  engage une responsabilité totale qui  soutient le monde. En quelque sorte, ce philosophe a radicalisé l’approche de Kant en incarnant la loi morale dans la figure d’autrui.

Par rapport à Sartre ou Camus, Levinas a posé l’antériorité du Bien par rapport au Mal dans la relation moi/autrui. Voir le visage au-delà du masque c’est voir autrui dont on est responsable. C’est une philosophie simple de l’espérance et de la foi en l’homme. C’est la même intuition  que celle des  anciens romains qui  définissaient le respect à partir du simple verbe respectare qui signifie au premier degré, se retourner au passage de l’autre. Se retourner pour le voir c’est déjà le respecter.

C’est pour cela que la pensée de Levinas est celle qui correspond le mieux au déconfinement réussi. Se protéger mais en restant responsable et conscient  de la présence de l’autre. Car l’autre n’est pas  dangereux. Jamais.

Jean-François Principiano

 

 

 

 

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.