Parce que la réforme ferroviaire va beaucoup faire parler dans les prochains jours, nous vous proposons l’intégralité du discours prononcé à Paris, le lundi 26 février 2018 par M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre.
Présentation de la méthode et du calendrier de la réforme ferroviaire.
Seul le prononcé fait foi
» Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Les Français sont profondément attachés au service public ferroviaire. Chaque jour, il assure le transport de plus de 4 millions de voyageurs dans nos grandes villes et dans nos territoires ruraux. Il est le gage de la cohésion entre les territoires, de la compétitivité de nos entreprises, de l’attractivité du pays.
Les Français savent que des améliorations ont été apportées ces dernières années : ils voient les modernisations de nos trains et de nos gares, les prix réduits de certaines nouvelles offres, le confort qu’apportent la réservation en ligne et la dématérialisation des billets. Mais ils voient aussi toutes les difficultés du quotidien pour nombre de voyageurs.
C’est pour cette raison que j’ai demandé à Jean-Cyril SPINETTA de faire le diagnostic de notre système ferroviaire. Ce diagnostic est sévère mais il est malheureusement juste.
Quel est le constat ?
La situation est alarmante, pour ne pas dire intenable. Les Français, qu’ils prennent ou non le train, payent de plus en plus cher pour un service public qui marche de moins en moins bien.
Premier constat. On a laissé vieillir notre système ferroviaire, au point que les Français subissent, au quotidien, la dégradation de la qualité du service.
La vérité, c’est que depuis plus de 40 ans, on a consacré la plus grande partie des investissements à la construction de nouvelles lignes de TGV. C’était souvent nécessaire, c’était agréable à inaugurer, cela a très bien desservi quelques grandes métropoles, mais cela s’est fait au détriment du réseau ferré classique ;
Le résultat est que notre réseau est aujourd’hui dans un état de vétusté avancé : nos infrastructures sont en moyenne deux fois plus vieilles qu’en Allemagne. Or, un réseau vétuste perd en fiabilité et en sécurité. Sur 20% du réseau, la vitesse de circulation est réduite pour assurer la sécurité des passagers. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. Sur certaines lignes, la vitesse frôle parfois le sur-place en jouant avec les nerfs des usagers. Alors-même qu’on a inauguré 4 lignes à grande vitesse l’année passée, il faut 25 mn de plus qu’il y a 40 ans pour aller de Limoges à Paris et on met 1h25 pour faire 72 km entre Niort et Saintes. Cette réalité-là, qui est quotidienne pour beaucoup de Français, n’est pas à la hauteur d’un grand service public.
Pour les RER et les TER, les chiffres ne sont pas non plus acceptables : presque 1 RER sur 6 arrive en retard et 1 TER sur 10, ce qui est 2 fois plus que chez nos voisins allemands ou néerlandais. Derrière ces chiffres, on connaît les difficultés qui se répètent chaque jour pour des centaines de milliers de voyageurs : le train supprimé au dernier moment, le stress d’arriver en retard au travail le matin, l’angoisse de ne pas être à l’heure pour la sortie de la crèche ou l’activité d’un enfant. Je n’oublie pas non plus les incidents récents à Montparnasse ou Saint-Lazare qui montrent à quel point des dysfonctionnements peuvent toucher des milliers de voyageurs. Ce n’est pas normal, car la mission d’un service public c’est de simplifier la vie des usagers, de l’accompagner avec efficacité.
Deuxième constat : Alors-même qu’il fonctionne de moins en moins bien, ce service public coûte de plus en plus cher aux Français.
14 milliards d’euros de soutiens publics par an. 14 milliards d’euros, voilà ce que ça coûte au contribuable, c’est plus que le budget de la police et de la gendarmerie réuni. 14 milliards d’euros, c’est 22% de plus qu’il y a dix ans. Jamais le contribuable n’a consacré autant d’argent au système ferroviaire.
Troisième constat : Le rapport Spinetta énonce une vérité simple : faire rouler un train en France coûte 30% plus cher qu’ailleurs.
Ce surcoût est lié en partie au vieillissement des infrastructures, mais il est lié aussi à l’organisation-même de la SNCF, à son fonctionnement, à ses méthodes, à son statut. Il y a des réformes qu’on aurait dû faire depuis longtemps.
Le résultat de tout ça, c’est que la dégradation du service public est allée de pair avec un endettement vertigineux de la SNCF. Aujourd’hui, cette dette menace d’engloutir tout le système.
En 20 ans, elle est passée de 20 milliards à 50 milliards d’euros. 50 milliards d’euros, on ne brasse pas tous les jours une telle somme. Pour vous donner une idée, c’est le budget annuel de l’Éducation nationale. Mais si nous ne réagissons pas, cette dette devrait encore augmenter de 15 milliards d’euros dans les 10 prochaines années. Pour rembourser les seuls intérêts, la SNCF doit payer chaque année 1,5 milliard d’euros : cet argent va aux banques, il ne rend aucun service public.
Cette illusion à imaginer que l’entreprise pourrait s’endetter sans limites et cette tentation de repousser sans fin le règlement des problèmes, n’ont pas incité les responsables, que ce soit dans l’État ou dans l’entreprise, à faire des choix efficaces. Cela n’est pas sain et cela ne doit plus durer.
Le statu quo n’est pas une option. Parce que c’est le statu quo qui menace le service public : trop longtemps, on n’a pas osé réformer la SNCF ; trop longtemps, on s’est résolu à accepter la dégradation du service public ;
Ce que nous proposons, c’est un nouveau pacte ferroviaire entre la Nation, la SNCF et les cheminots.
Ce pacte doit offrir des améliorations concrètes :
– Aux usagers des transports des trains plus ponctuels, plus nombreux là où il y en a
besoin, avec plus de services, en toute sécurité ;
– À l’entreprise SNCF : un modèle économique enfin équilibré, une entreprise publique
tournée vers l’avenir et capable de faire face à toutes les concurrences ;
– Aux cheminots, que j’ai rencontrés et qui aiment leur entreprise : une vision claire de
l’avenir, des métiers attractifs, la reconnaissance de leur rôle ;
– Aux contribuables, une garantie : chaque euro qui finance le service public ferroviaire
doit être dépensé efficacement.
Pour y parvenir, ce pacte doit nécessairement être équilibré : l’État fixera un cadre neuf, adapté, stable et permettant le développement du transport ferroviaire ; la SNCF engagera une profonde réforme sociale, industrielle et managériale, dans le dialogue, mais avec une obligation de résultats.
Les quatre axes de la réforme
Avant toute chose, je veux insister sur ce que cette réforme n’est pas :
Ce n’est pas moins d’argent pour le service public : à ceux qui pensent que nous organisons le désengagement de l’État du ferroviaire, je rappelle qu’il est déjà prévu d’accroître de 50% les moyens consacrés à la rénovation du réseau au cours des 10 prochaines années, et que cet engagement sera tenu. C’est 10 M€ par jour qui seront consacrés pendant dix ans à l’amélioration du rail.
Ce n’est pas une réforme des petites lignes. Je ne suivrai pas le rapport Spinetta sur ce point. On ne décide pas la fermeture de 9000 km de lignes depuis Paris sur des critères administratifs et comptables. Dans bien des territoires le rail est au cœur de la stratégie des Régions pour le développement des mobilités.
Cette réforme n’est pas non plus la réforme des retraites des cheminots. Une réflexion globale sur les retraites de tous les Français est menée par ailleurs par Jean-Paul Delevoye. Rien dans le texte que nous présenterons au Parlement ne concerne les retraites des cheminots ;
Ce n’est pas une réforme qui préparerait la privatisation de la SNCF : la SNCF est un groupe public qui porte des missions de service public. Elle est dans le patrimoine des Français et elle y restera.
Le nouveau pacte ferroviaire consiste d’abord à construire une nouvelle SNCF. L’organisation actuelle du groupe avec 3 établissements publics est trop rigide et trop fragmentée. Les cheminots en souffrent quotidiennement et me l’ont dit. Il faut plus d’efficacité et de souplesse ;
Je veux un groupe véritablement intégré. L’unité de la nouvelle SNCF devra être renforcée. Entre le modèle britannique éclaté et le modèle continental d’un seul groupe très intégré, comme il existe en Allemagne, ma préférence va vers le deuxième modèle ;
Pendant 45 ans, de 1937 à 1983, la Société Nationale des Chemins de Fer a été une société d’économie mixte. Elle est un établissement public depuis 35 ans. Examiner calmement le sujet de la transformation de la SNCF en société nationale à capitaux publics, comme le préconise le rapport Spinetta, ce n’est donc pas s’attaquer à un tabou. C’est même l’inverse d’une privatisation puisque l’État y détiendrait des titres incessibles.
Cette transformation de la gouvernance sera vertueuse. Elle permettra de sortir du piège d’une dette sans limite et responsabilisera les dirigeants de l’entreprise, l’État et les Collectivités.
Ce nouveau pacte ferroviaire pose la question du statut des cheminots : Les cheminots qui travaillent déjà à la SNCF ont passé un contrat moral avec l’entreprise nationale qui leur assure notamment un déroulé de carrière, et une garantie de l’emploi. La réforme ne remettra pas en cause ce contrat moral. Le statut à la SNCF est cependant particulièrement rigide. Or, le monde change, la SNCF doit changer aussi. Face à ses concurrents, la SNCF ne peut rester la seule à recruter au statut. Donc, aux nouvelles générations, aux apprentis, à tous ceux qui veulent s’engager dans la SNCF, nous disons qu’ils bénéficieront des conditions de travail de tous les Français, celles du code du travail. A l’avenir, à une date qui sera soumise à la concertation, il n’y aura plus de recrutement au statut. En revanche, il y a des contraintes spécifiques aux métiers ferroviaires, et auxquelles feront face toutes les entreprises ferroviaires : je souhaite qu’une négociation s’ouvre au niveau de la branche, sur les garanties qui seront données en contrepartie de ces contraintes. Ces garanties permettront aux métiers du ferroviaire de demeurer attractifs et d’assurer une concurrence loyale entre toutes les entreprises du secteur.
Ce pacte ferroviaire doit aussi faire de la nouvelle SNCF un groupe plus performant.
Moderniser la SNCF impose d’améliorer son efficacité industrielle et réduire ses coûts, qui sont supérieurs de 30% à ceux des autres opérateurs en Europe. C’est une nécessité pour que ce service public s’adapte aux nouveaux besoins et aux attentes légitimes des Français. Il faut aussi que la SNCF innove plus sur le numérique et qu’elle continue d’accélérer la mutation de son modèle pour en faire en vrai opérateur de la mobilité du 21e siècle, qu’elle se modernise et qu’elle aille résolument au-devant des attentes des Français.
Je demande donc à la direction de la SNCF de nous présenter avant l’été un projet stratégique d’entreprise pour aligner ses coûts sur les standards européens, améliorer la polyvalence des métiers, mieux organiser le travail, former aux métiers de demain, renforcer la productivité industrielle, moderniser le dialogue social et mieux intégrer toutes les mobilités. Ce projet doit faire l’objet d’une large concertation avec l’ensemble du corps social de la SNCF. Dès le 15 mars, la direction de la SNCF présentera à la Ministre des transports une feuille de route définissant les modalités et le calendrier de cette concertation.
Le nouveau pacte ferroviaire, c’est finalement être prêt à relever le défi de la concurrence en France. L’ouverture à la concurrence n’est une surprise pour personne. Elle a été décidée sous le précédent quinquennat. Elle existe déjà sur les liaisons internationales. Partout où elle a eu lieu chez nos voisins, elle a permis une hausse de la fréquentation et une amélioration des services. La concurrence, ça veut dire de nouveaux acteurs, de nouvelles idées, de nouveaux moyens et de nouveaux services. J’observe d’ailleurs que beaucoup de présidents de régions qui veulent améliorer la desserte de leurs territoires la réclament.
Il va falloir organiser cette concurrence, notamment pour définir les bonnes conditions de transfert des salariés, le fameux « sac à dos social ». Il faut aussi donner de la visibilité à tous, aux salariés, aux entreprises, aux régions, sur les nouvelles règles du jeu.
Au final, ce que nous voulons, c’est une nouvelle SNCF, porteuse d’un nouveau contrat social avec les cheminots, c’est une meilleure qualité de service pour les usagers des transports et c’est une gestion plus efficace de l’entreprise. Par ailleurs, tout le monde a en tête la question du traitement de la dette ferroviaire. Les efforts devront être partagés. Dès lors que la SNCF y aura contribué, l’État prendra sa part de responsabilités avant la fin du quinquennat pour assurer la viabilité économique du système ferroviaire.
Un mot pour conclure sur la méthode que nous allons suivre pour mettre en œuvre cette réforme dont vous percevez tous l’importance. Elle sera bien entendu concertée avec l’ensemble des partenaires concernés : les organisations syndicales et patronales, les usagers, les collectivités locales.
Face à l’urgence, le Gouvernement est déterminé à en faire voter les principes clé avant l’été. Nous voulons aller vite sans escamoter pour autant la concertation ou le débat parlementaire.
C’est pourquoi, à la mi-mars, nous déposerons un projet de loi d’habilitation au Parlement. Le recours aux ordonnances permettra de mener une large concertation. Les ordonnances travail ont prouvé que cette méthode ne confisque aucunement le débat, bien au contraire – sauf à considérer que 300h de concertation et une centaine de réunions n’auraient pas laissé assez de temps à l’expression des opinions contradictoires. Dès cette semaine et pendant toute la durée du processus législatif, nous mènerons des concertations méthodiques sur les différents aspects de la réforme. La Ministre en décrira les modalités dans quelques instants. Le projet de loi donnera évidemment lieu à un débat parlementaire. Mon ambition, au fur et à mesure des progrès de la concertation, est même, dans toute la mesure du possible, de remplacer les articles d’habilitation par les dispositions législatives définitives afin de réduire le contenu des ordonnances aux seuls aspects techniques. Mais si certains sujets s’enlisent, au cours des concertations, en pâtissant de tentatives d’obstruction ou de rapports de force verrouillés, si certains tentent de confisquer le débat ferroviaire pour le pervertir en un débat idéologique déconnecté des besoins de mobilités des Français, alors le Gouvernement prendra ses responsabilités.
Mesdames et Messieurs,
Sur ce sujet comme sur d’autres, le président de la République a fixé le cap pendant la campagne. Il s’agit de regarder les problèmes en face. Il est temps d’oser mener la réforme que tous les Français savent nécessaire. Certains prédisent le conflit ou annoncent l’épreuve de vérité. Ce n’est pas mon approche. Ce ne sont pas mes mots. Je ne cherche l’affrontement avec personne.
Je crois que nous pouvons bâtir ensemble une réforme équilibrée, bonne pour tout le monde, pour le service public, pour les cheminots comme pour les usagers. »