« Urgences Bashing ! » par le Docteur Vincent Carret

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Docteur Vincent Carret

Les Services d’Urgences ne nous appartiennent pas, ils appartiennent à toutes et tous et sont de la responsabilité de tous. Ils sont un des biens communs les plus précieux pour nos populations.

Malgré ce, certains tapent sur les Services d‘Urgences et de SAMU et sont heureux de le faire ! C’est leur choix, respectons le.

Ils tapent sur les Urgences et ne savent pas qu’ils se sont trompés de combats et qu’ils finissent par taper en fait sur eux-mêmes et les leurs.

Le magazine Marianne se fait leur porte-parole à travers une tribune en ce mois de Septembre et fin d’été 2024 difficile pour nos équipes de territoires partout en France , tribune intitulée : « Je n’ai plus confiance dans les Urgences, les patients entre rancœur et ras le bol » ! en oubliant que la confiance se partage et n’est jamais à sens unique.

Cette parole s’inscrit dans l’air du temps à laquelle nous sommes habitués, celle de la violence à affronter et à assumer sous toutes ses formes, cette violence qui fait partie intégrale de notre monde, de nos vies et de notre quotidien. On ne tient pas longtemps au sein des services d’Urgences et on les quitte si on ne s’y blinde pas .

Les Services d’Urgences sont par définition un monde de violences où les non violents et les porteurs d’ humanité et d’attention doivent se battre et résister coûte que coûte contre une société en perte de sens et de valeurs en tout genre.

Ils tapent sur les Urgences mais sont rarement capables de répondre à la question que je leur pose quand il devient nécessaire de poser les limites aux critiques : « Où étiez vous avant ? Où étiez vous pour manifester votre colère et votre agressivité pour ne plus être soignés comme vous le voudriez ? »

« Ils sont morts de nos combats perdus » était l’objet d’une tribune de l’AMUF précédente face à de nombreux drames qui ont endeuillé les familles et nos équipes affichant une certaine culpabilité pour ne s’être pas assez battus, « ils sont mécontents et en colère contre eux-mêmes face aux combats qu’ils n’ont pas menés pour eux-mêmes et la collectivité » pourrait être une nouvelle tribune adressée aux silencieux et absents des vrais enjeux de société, les leurs et non plus uniquement les nôtres !

Quand ils ne s’inscrivent pas au service du silence, ils osent une toute autre réponse elle aussi appartenant aux violences de notre temps : l’indifférence à l’autre, aux autres : « Avant ça ne nous concernait pas ! »

Dans cette société des réciprocités l’indifférence à l’autre et aux autres est devenue « boomerang » et finit par s’appliquer par la force des choses et dans le temps à soi même.

C’est dans l’air du temps. Il faut faire le buzz et agiter l’opinion publique jusqu’à en perdre tout bon sens et le respect de celles et ceux qui le méritent encore. Les digues s’effondrent et rompent, partout, sous les coups de butoir d’une violence devenue omniprésente jusque dans certains médias. Le buzz médiatique n’a plus de limite, plus de filtres, plus d’éthique , plus de respect, peu d’humanité ni de raison mais la pression des tweets qui imposent leur loi.

Ils tapent sur les Urgences et se font plaisir, ils se trompent de cibles et ne s’en émeuvent même plus. Ils sont les « médias » des temps modernes et ne s’interrogent même plus sur le contenu et les conséquences de leurs écrits. « Que serait un esprit critique incapable d’autocritique ? » ne parvient plus à interroger Edgard MORIN tout comme nous pourrions le faire au regard de ces tribunes et de l’évolution de notre société qui se fracture et s’autodétruit jusqu’à ne plus reconnaitre et taper sur ses soignants.

À toutes celles et ceux qui ne voient pas, ne veulent pas voir et qui se trompent de combat et pour ne pas trahir les obligations d’esprit critique fidèles à Edgar MORIN lisons « la destruction de l’état » de Maroun EDDE et attardons nous sur la stratégie du « Starve the best ».

« Si l’on veut anéantir un système, il suffit de lui couper les fonds » !

La technique du « Starve the beast » est bien connue, imaginée par les conseillers de Ronald Reagan dans les années 1980, « Pousser les populations à la colère et à la rupture et après les manipuler et les diriger là où l’on veut et tous les privatiser ».

Politique dite de « la terre brûlée » et du cynisme elle crée et alimente les crises et les drames.

En réduisant progressivement les budgets d’une institution, on accroît ses dysfonctionnements et les tensions, ce qui rend légitime de réduire davantage encore les budgets car ça ne fonctionne pas puis de s’attaquer aux hommes et aux effectifs pour diminuer les effectifs et ne pas susciter l’émotion publique.

« Ou comment tenir les individus pour responsables d’échecs orchestrés par l’institution et inverser le poids et le sens de la charge de la preuve ».

La mécanique est implacable : À force de réduction de moyens l’institution ne peut plus faire face aux besoins, les conflits internes se multiplient, les solidarités et la solidité des équipes volent en éclat, les soignants se rejettent la faute en interne les uns sur les autres. Submergés par la pression des chiffres et des preuves les agents publics se découragent et s’épuisent et deviennent les parfaits alibis des fermetures et des restructurations. Alibi idéal pour s’attaquer aux statuts et privilèges et remplacer par des contractuels plus dociles et malléables ….

Vient alors le moment de porter le coup fatal. Face à l’accumulation des dysfonctionnements et à l’explosion des coûts on peut enfin décréter le service public en état de mort clinique et le supprimer en privatisant de plus en plus.

« The Starve the Beast » est de toutes les violences à l’égard des hommes et des femmes au service de tous une des pires et des plus destructrices.

A cette violence cachée par de nombreux médias et qui alimente ce phénomène en vogue « d’Urgences Bashing » il nous faut nous rassurer et savoir qu’elle ne concerne qu’une minorité d’élus qui n’est pas notre quotidien et heureusement.

Toutes celles et ceux qui représentent la majorité de nos malades et concitoyens, qui fréquentent nos services, savent et voient. Ils savent et voient que les équipes réalisent des prouesses au quotidien en repoussant sans cesse leurs limites et que tous essaient de donner le meilleur d’eux-mêmes dans des conditions d’exercice de plus en plus compliquées.

Ils savent aussi que rien n’est gratuit contrairement à ce que peuvent penser ceux à qui tout est du, ils savent que dans ce monde violent et en perte de boussole, les soignants payent cher, très cher les dérives d’une société dont certains comportements obligent à penser qu’ils ne les méritent plus.

S’habituer aujourd’hui aux nouvelles violences en rajoutant de la violence à la violence formulée par les logiciels de Buzz qui dictent les lignes éditoriales de certains médias pour juger, condamner, et détruire un peu plus chaque jour devant le « tribunal médiatique » nos professions de soignants, ne fera que renforcer davantage encore cet esprit de résistance qui est et reste la force de nos équipes décidément bien mises à mal dans l’échelle des valeurs des temps modernes.

De toutes ces violences et ces dérives, une certitude s’impose, celle de savoir que le jour où chacun passe de « l’autre côté du brancard » comme ceux qui y ont eu droit parmi nous en cas d’Urgence vraie ou vitale, de pouvoir apprécier et reconnaître l’essentiel, l’excellence et le professionnalisme de notre système de Santé dans sa diversité, public et privé réunis et le dévouement désintéressé de ceux qui s’y investissent sans compter tout en résistant à l’indifférence de leur monde.

« Il y a plus de courage et de vérité dans la révolte au service de tous que dans l’obéissance zélée au service de quelques-uns seulement » et « Vous serez toujours plus heureux en donnant le meilleur de vous-même plutôt que de recevoir et sans jamais en attendre de reconnaissance » nous inculquaient nos anciens et Maîtres charismatiques lors de nos études de médecine , cela tombe bien, c’est ce que nous continuons et continuerons à faire tous les jours.

Dr Vincent CARRET
AMUF

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