Opéravenir pour sa 9ème rencontre lyrique du jeudi a choisi cette fois une grande œuvre du répertoire romantique allemand Tristan et Isolde de Richard Wagner (1813-1883).
Ce drame musical en trois actes raconte la légende médiévale bretonne du XIII° siècle dans la version qu’en donna Gottfried de Strasbourg. Le poème fut composé par Wagner en 1857 et la partition achevée à Venise en 1859. L’opéra fut créé en 1865 à Munich sous la direction de Hans Von Bulow avec succès. Cette partition ouvre une page nouvelle dans l’histoire de la musique.
Un mythe celtique
L’histoire évoque les amours tourmentées du chevalier Tristan de Cornouailles et d’Isolde princesse d’Irlande. L’inspiratrice de cette œuvre, Mathilde Wesendonck, a été l’amie et la confidente de Wagner de 1852 à 1863.
Après un magnifique prélude orchestral au chromatisme* envoutant, l’action débute au premier acte quand le navire ramène au Roi Marke la fiancée que lui a choisi son neveu Tristan. Isolde se révolte car elle aime secrètement Tristan. Elle rappelle au chevalier qu’elle l’a soigné lorsqu’il était blessé et qu’il avait juré une reconnaissance éternelle. Devant l’attitude distante du jeune homme qui s’en tient à la fidélité à son roi, elle ordonne à sa suivante Brangaene de préparer un poison que sa fidèle amie transforme en un filtre d’amour.
Les deux jeunes gens sont prêts à mourir, mais sous l’effet du filtre ils s’étreignent passionnément. Lorsque le navire accoste sur les rivages de Cornouailles des acclamations saluent l’arrivée de la fiancée du roi.
Au deuxième acte à l’aube près du château du roi Marke, on entend les fanfares d’une chasse qui s’éloigne. Tristan rejoint Isolde et c’est un long délire amoureux qui ne prendra fin qu’avec le jour. Mais le couple est découvert. Le roi reproche à Tristan sa trahison et le condamne à l’exil pour félonie. Isolde déclare qu’elle le suivra. Un courtisan jaloux Melot, blesse Tristan.
Au troisième acte en Bretagne, Tristan se meurt de sa blessure en attendant Isolde. Il est veillé par son ami le chevalier Kurvenal qui tente de le réconforter. Enfin Isolde arrive et Tristan meurt dans ses bras. Un second navire approche, c’est celui du roi Marke apportant son pardon. Marke reproche doucement à Isolde de n’avoir pas su lui avouer cet amour mais Isolde n’entend plus, extasiée, elle exhale un chant d’amour suprême et meurt sur le corps de Tristan.
Le sens de l’œuvre.
Aucun opéra n’exerce sur un aussi vaste public une aussi totale fascination. On sort d’une représentation de Tristan comme enivré par ce philtre sonore, distillé pendant plus de quatre heures.
Pour atteindre cette perfection émotionnelle Wagner consomme la rupture avec la tradition « classique » qui reposait sur l’accord parfait. Il pousse à son degré extrême d’application le double principe de la mélodie continue et du motif conducteur (leitmotiv) **. Il enferme l’auditeur entre ces deux infinis.
En une longue déclamation chantée il déroule, par les notes de passages et les appogiatures, les altérations les plus hardies, décrivant les divers états de la passion amoureuse confinant a une fusion mystique. L’ensemble de ce discours musical continu donne à l’auditeur une impression d’hypnose sonore et de houle orgasmique.
L’écriture est aussi contrapunctique***, et les thèmes circulent avec liberté d’une partie à l’autre par superposition et amalgames ; ce qui conduit le compositeur à ce souffle si particulier dont les lignes chromatiques s’enchevêtrent pour former une trame perpétuellement mouvante.
Le langage modulant**** impose un flux exacerbé, qui répond à toutes les intentions du musicien par sa tension et l’inquiétude qui s’en dégage.
Pour décrire l’amour-passion Wagner démantèle le système tonal et permettra une cinquantaine d’années plus tard l’épanouissement du dodécaphonisme schönbergien…Dans le deuxième acte nocturne se situe un des plus longs et plus beaux duos d’amour du répertoire où l’extase sensuelle et mystique s’accomplit dans l’évocation de la nuit sacrée.
En somme aucune musique n’avait donné jusqu’alors ce sentiment d’une vie profonde et tumultueuse et les commentateurs n’ont jamais omis de comparer Tristan à un fleuve dont les vagues submergent l’auditeur. Cela est dû aussi à une orchestration véritablement symphonique, puissante et translucide à la fois qui révèle les élans inconscients et exprime les sensations ineffables.
* Le chromatisme évolue par demi-tons. Il s’oppose en cela au diatonisme. L’ensemble des touches blanches et noires du piano forme une gamme chromatique.
** un motif conducteur ou leitmotiv est une petite cellule mélodique et rythmique qui revient fréquemment dans une partition. Les personnages des drames lyriques de Richard Wagner sont en général caractérisés par un leitmotiv.
*** En musique, le contrepoint est une forme d’écriture musicale qui trouve ses origines avec la polyphonie née au Moyen Âge et qui consiste en la superposition organisée de lignes mélodiques distinctes.
**** En harmonie tonale, une modulation désigne un changement de tonalité, sans interruption du discours musical.
Jean François Principiano.