Toulon Mémoire d’Opéra

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Professeur d’éducation musicale au Lycée Bonaparte, Ingrid Tedeschi vient de publier un livre passionnant  intitulé Mémoire d’Opéra. En fait c’est une chronique détaillée de l’Opéra de Toulon entre 1939 et 1945. Un retour vers un passé flamboyant  malgré la période sombre.

Une mine de renseignements
Cette chronique suit la programmation de la maison lyrique varoise aux heures  les plus difficiles de l’histoire entre « la drôle de guerre », l’effondrement de la France, l’Etat Français le sabordement de la flotte, l’occupation et la libération. Jamais le « spectacle » n’a été autant en vogue qu’à cette époque sous la direction de Ferdinand Aymé.

Dans un style souple et d’une grande clarté, Ingrid Tedeschi, à partir de recherches minutieuses, s’attache à montrer la permanence du fait artistique qui apparaît comme une nécessité sociétale au cours du passage de l’Etat français à l’occupation générale allemande puis à la période  trouble de la Libération.

Ce qui est passionnant c’est que l’on suit l’évolution des mentalités de la population toulonnaise qui  semble subir les événements avec passivité – en manifestant malgré tout quelques  éléments de nationalisme voire de résistance (par exemple lorsque  la soprano Géori Boué est « frénétiquement applaudi » le 1er Janvier 1940 dans  son Salut à la France de La Fille du Régiment de Donizetti). Mais une population qui  dans l’ensemble paraît s’installer dans une certaine « routine ». André Dassary  viendra même chanter sur scène « Maréchal nous voilà »  d’André Montagnard et Charles Courtioux avec l’orchestre Marcel Cariven et les chœurs de l’opéra  le 26 juin 1941… (78 tours Pathé PA.2009).

Des voix du passé
Au fil des pages on voit ainsi ressurgir des ombres bien sûr, des noms oubliés ou presque   sauf  dans la mémoire de  quelques vieux mélomanes : Renée Doria, José Luccioni, Valère Blouse, Michel Dens, Reda Caire, Lucien Huberty, Marcel Doubrères, Jean Giraudeau, Jean Aquistapace, Samuel Bovy, Adrien Legros, Jean Caujolles qui triomphait dans Guillaume Tell…et César Vezzani, le grand ténor  qui disait chanter « Sigurd en toute sigurité »…Et tant d’autres voix qui se sont tues. Acqua che passa…Aucune archive n’ayant été réellement conservée, on ne retrouve que des traces disparates des activités de ce lieu. Le travail d’Ingrid Tedeschi  en est d’autant plus précieux.

On suit également l’évolution du goût du public toulonnais ainsi que l’éphémère expérience de la « Régie municipale » à la Libération avec le nouveau directeur José Parareda, lorsque Toulon s’était choisi un maire communiste, Jean Bartolini… Viendront ensuite d’autres directeurs comme Gaston Coll, les Truphéme père et fils jusqu’en 1959, puis Ferdinand Aymé qui reviendra  pour une très longue période associé ensuite  à Lucien Revest journaliste chroniqueur notamment  au  journal le Var Libre.

Un livre d’histoire 
Une des grandes qualités de ce livre est son point de vue strictement historique. Ingrid Tedeschi s’en tient aux faits et aux événements. Les pages sont enrichies de notes permettant de mieux connaître tous ces artistes par de courtes biographies. Très peu de commentaires ou de jugements artistiques sur les œuvres. S’il y a une prédominance de l’opérette et de  l’opéra-comique, il y a aussi des chefs d’œuvres de l’art lytique français qui ont été bien défendus durant cette période (Bizet, Massenet, Gounod, Meyerbeer, Reyer, Messager, Chritiné). Certaines complaisances collaborationnistes sont évoquées sans trop appuyer, notamment le gala wagnérien du 23 mars 1942, (mais chanté en Français). On constate aussi que des œuvres fortement prisées à l’époque sont tombées aux oubliettes comme le Chemineau de Xavier Leroux par exemple ou Coup de Roulis d’André Messager.

Une nostalgie musicale
Il est difficile de lâcher ce livre sans éprouver une certaine nostalgie pour tous ces moments de bonheur artistique évoqués avec tant de finesse. On sait bien que quelque part tout est recueilli mais quand même cette chronique si précise et vivante laisse une impression de bonheur partagé, si vite disparu. En ce sens c’est tout un pan de la sensibilité toulonnaise qui ressurgit et se pérennise, grâce à ce livre, autour de ce monument prestigieux, ce vaisseau lyrique qui poursuit sa route. A lire et à offrir à tout amateur de musique et aux autres bien sûr.

Mémoire d’Opéra Une chronique de l’Opéra de Toulon entre 1939 et 1945.236 pages Index, Sources et Bibliographie détaillée. Edition l’Harmattan collection Musiques et Champ social. Octobre 2019.

Jean-François Principiano

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