La tragédie de Sénèque qui a triomphé en ouverture du Festival d’Avignon est proposée par le Théâtre Liberté Vendredi 22 et Samedi 23 mars.
Âmes sensibles s’abstenir
Pourtant cette dixième pièce de Sénèque, 1er siècle de notre ère est un chef-d’œuvre. Elle dépeint l’origine de la violence dans la société et les errements de la destinée humaine. Elle a servi de modèle dans l’histoire de la littérature occidentale depuis le baroque jusqu’à nos jours. Ugo Foscolo pendant le romantisme en a donné une version soft qui souligne la destinée tragique du genre humain.
Un fratricide.
L’histoire raconte la légende de la haine de deux frères jumeaux Atrée et Thyeste dans le royaume légendaire d’Argos. Les deux frères, Atrée et Thyeste, se disputèrent le trône d’Argos. Jupiter avait établi que le roi serait celui qui aurait dans ses étables un bélier à la toison d’or. Atrée, l’aîné, serait monté sur le trône si Thyeste n’avait séduit la femme d’Atrée afin qu’elle volât pour lui le bélier dans les étables de son mari.
Jupiter furieux en voyant Thyeste l’emporter ordonna au Soleil de faire demi- tour afin de dénoncer par ce signe le tricheur. Atrée reprit le pouvoir et exila son frère. C’est ici que se place la vengeance d’Atrée, le sujet du Thyeste.
Un bain de sang
Atrée fait revenir son frère à Argos en lui offrant la moitié du trône. Puis il s’empare de ses trois fils et les lui donne à manger dans un banquet. Il lui fait boire le sang de ses enfants mélangé au vin de ce repas. De nouveau, le Soleil fait demi-tour…
Voici la tragédie la plus désespérée de la littérature occidentale. Celle qui expose l’humanité face à elle- même et la voit s’entredévorer. Une impasse tragique terrifiante : ni guerre, ni hiérarchie, ni oracle… Une tragédie de la fraternité, qui vient de l’intérieur, et se repait d’elle-même. Pourtant ce texte (entièrement restitué ici) a un sens, une cohérence.
Une spirale vengeresse qui tourne sur elle-même, épuisée, mais furieuse, comme les insectes, prisonniers, qui s’obstinent contre les parois de verre, s’assomment, retombent et recommencent.
La mise en scène de Thomas Jolly est marquée par le sceau de l’expressionnisme le plus appuyé (hurlements, imprécations, lumières violentes, hémoglobine.) Elle saisit par sa violente beauté et l’utilisation judicieuse de la musique.
Une malédiction de la condition humaine
Que veut dire Sénèque ? « Ce qui m’intéresse dans un homme quelconque, c’est la condition humaine » a écrit Malraux dans ses Antémémoires. Le destin de l’homme, en effet, n’a jamais cessé de préoccuper l’écrivain romain aussi bien dans sa vie que dans ses œuvres, adepte du stoïcisme. Cette préoccupation se traduit par excellence dans Thyeste. Certes, cette tragédie s’inscrit avant tout dans un contexte spatio-temporel bien précis : La construction administrative de l’Empire et d’un nouveau citoyen romain. « Ses personnages vivent et nous souffrons avec eux, nous souffrons parce qu’ils souffrent, mais rien ne nous fait sentir la nécessité d’une telle vie et de telles souffrances »
Mais surtout elle montre que nul n’échappe à son destin et que le mal engendre le mal. Elle met en garde le citoyen romain devant toute déviation morale qui met à mal tout l’édifice social. C’est dans cette volonté d’un théâtre d’édification morale que se justifie la violence de certaines scènes de ce théâtre radical qui ont choqué les spectateurs l’an dernier. En 2018 ! Pensez donc ce que cela a pu être au 1er siècle à Rome ! C’est dire la violence !
Thyeste de Sénèque vendredi 22 et samedi 23 mars 20h 30 Traduction Florence Dupont Mise en scène Thomas Jolly avec Damien Avice, Éric Challier, Emeline Frémont, Thomas Jolly dans le rôle d’Atrée, Annie Mercier, Charline Porrone, Lamya Regragui. Spectacle de 2h 30 déconseillé aux moins de 12 ans.
Jean François Principiano