Concert le 7 août par Jean-Jacques et Alexandre Kantorow Avec l’association varoise Opéravenir
Du virtuel au présentiel
Dans la continuité des rencontres virtuelles du jeudi, Opéravenir propose une vraie sortie musicale a l’occasion du Festival International de Piano. Les Kantorow père et fils dans deux œuvres majeures du répertoire romantique et moderne. Le Quatuor de Chostakovitch (1906-1975) N° 3 en fa majeur opus 73, transcription pour quintette à vents et quintette à cordes et le Concerto pour piano et orchestre n°2 en sol mineur opus 22 de Saint-Saëns (1835-1920) avec l’orchestre Sinfonia Varsovia de Pologne.
Une affaire de famille
Alexandre Kantorow est le premier pianiste français à avoir remporté en 2019, à 22 ans, la Médaille d’Or du prestigieux Concours Tchaïkovski de Moscou ainsi que le Grand Prix du Concours. Suscitant des critiques dithyrambiques aussi bien au disque qu’en récital, il est salué par la presse comme le “jeune tsar” du piano français. Apparu très jeune sur les scènes de concert, il a été à 16 ans l’invité de La Folle Journée de Nantes et de Varsovie (aux côtés du Sinfonia Varsovia), et a joué depuis avec de nombreux orchestres, notamment avec l’Orchestre du Mariinsky dirigé par Valery Gergiev avec lequel il collabore régulièrement.
Jean-Jacques Kantorow, son père est né à Cannes le 3 octobre 1945, d’abord violoniste puis chef d’orchestre, il commence ses études au conservatoire de Nice et les poursuit à Paris où il remporte le premier prix de violon et de musique de chambre au conservatoire de Paris en 1960 et 1963. Il remporte en 1962 la médaille d’or au concours Carl Flesh. Il est lauréat en 1964 du Concours international de violon Niccolò Paganini à Gênes, remporte le Concours international de Genève en 1965 et en 1970 le Concours international de violon Jean Sibelius.
Chostakovitch contre Staline
Le Quatuor n° 3 en fa majeur composé en 1946, est créé à Moscou le 16 décembre 1946 par le Quatuor Beethoven auquel il est dédié. La partition avait été censurée par la commission des arts du régime pour « formalisme et pessimisme ». Staline voulait que la musique glorifie la victoire de l’URSS sur les troupes allemandes.
Composée au sortir de la guerre, la partition exprime la vie des classes populaires, des petites gens, dans le contexte historique soviétique. Le premier mouvement, Allegretto sous la forme d’une double fugue, emprunte à des airs populaires joyeux l’insouciance des années 1930 ; le deuxième mouvement, Moderato con moto, est plus sombre avec la montée d’une menace ; le troisième, Allegro non troppo qui devient brutal, est souvent associé à une parodie des marches militaires ; l’adagio est considéré par sa tristesse comme un requiem pour saluer les morts de la guerre ; le dernier mouvement, Allegro non troppo est un retour à la vie, sans pour autant oublier le souvenir des années noires avec les reprises des thèmes des deuxième et troisième parties avant un ultime final en échos du début. Son exécution dure environ 34 minutes.
Le sens de l’œuvre
Il se dégage de cette musique une puissance tragique qui est l’expression même de la condition humaine. On comprend que les nuances psychologiques qui s’en échappent ne pouvaient satisfaire la volonté d’optimisme du Camarade Staline qui interdit l’exécution de l’œuvre.
En cachette, des amis du compositeur firent passer la partition de l’autre côté du rideau de fer. L’Amérique s’empressa de la faire exécuter à des fins de propagande. Ce que l’on ne sait pas toujours c’est que Chostakovitch, qui avait accueilli avec enthousiasme le régime soviétique, refusa que l’on utilise cette œuvre comme « critique politique de la nation soviétique ». La version de Franz Walter que nous entendrons amplifie l’aspect tragique et désespéré de cette partition unique dans l’histoire de la musique contemporaine. (À 75 ans elle n’a pas perdu un atome de sa force.)
Pour Chostakovitch, la musique non seulement est un art mais aussi un acte de résistance. Dans une lettre adressée aux instrumentistes qui créèrent l’œuvre en cachette (avec les risques politiques encourus) il écrit « on ne peut changer les régimes politiques si l’on ne change pas les hommes ». Dont acte.
Il existe plusieurs adaptations de l’œuvre, notamment celle de Rudolf Barchaï et Franz Walter (op. 73a et 73b) pour orchestre de chambre à géométrie variable qui reçut l’assentiment de Chostakovitch. (Vidéo 1 l’Interprétation par le Quatuor Borodine)
Le concerto N° 2 de Saint-Saëns, triomphe de la virtuosité romantique
L’œuvre est moins tragique mais plus brillante. Le concerto fut composé en moins de trois semaines en 1868 pour le pianiste Anton Rubinstein, grand ami du compositeur, à une époque particulièrement heureuse de la vie de Saint-Saëns. Elle respire le bonheur et la découverte de l’Italie par ce jeune maître parisien assoiffé de lumière. Il choisira de finir ses jours en Algérie ou il s’éteindra couvert de gloire en 1920.
Le Concerto, un des plus célèbres du répertoire français, est construit selon un plan classique en trois mouvements, le premier étant un andante qui commence par un solo du pianiste rappelant les grandes improvisations pour orgue. L’écriture de ce mouvement, notamment la cadence d’introduction, illustre la volonté de Saint-Saëns d’utiliser dans ses œuvres les innovations de la facture instrumentale. Cette première cadence de soliste propose une écriture rappelant celle de l’orgue. Elle était destinée à un instrument aujourd’hui disparu : le piano-pédalier (piano à queue disposant d’un pédalier d’orgue permettant de jouer les basses avec les pieds). Le second mouvement est un scherzo malicieux qui se voile d’une tendre nostalgie. Les amateurs cinéphiles remarqueront que John Williams, qui a réalisé la musique du film culte StarsWars, s’est largement inspiré du thème principal.
Le dernier mouvement est une tarentelle effrénée et virtuose entre le soliste et l’orchestre se terminant par une conclusion implacable. Un piano étincelant, brûlant de bonheur sous le ciel napolitain.
Le sens de l’œuvre
En 30 minutes de pur ravissement Saint-Saëns nous dévoile toute sa sensibilité musicale. De son vivant, sa notoriété d’artiste était immense autant comme interprète que comme compositeur, et son influence se faisait sentir dans tous les aspects de la vie musicale. Il a incontestablement pesé sur l’esthétique et sur la politique culturelle de son temps. Malheureusement il est passé à côté de Debussy sans comprendre. Comme tous les artistes prolifiques il aura suscité autant d’admiration que de haine en devenant un monument incontournable dans le paysage musical. Aujourd’hui Saint-Saëns semble souffrir d’un injuste dénigrement. Pourtant dans ce concerto on sent ce qui pourrait être son message : le culte d’une musique élégante typiquement française par la recherche des équilibres et la maîtrise des effusions lyriques. Un pianisme virtuose qui recherche l’assentiment de l’auditeur. Une vision souriante et hors sol de la musique concertante dont la clarté latine peut nous éblouir encore, malgré une certaine distance aristocratique et surtout faire naître l’émotion qui nait aussi de l’humour, de la richesse des alliages sonores, aussi inventifs que variés, de cet art de marier les timbres et de cet immense talent de coloriste. (Vidéo interprétation par Arthur Rubinstein à l’âge de 88 ans !)
Jean François Principiano
Samedi 7 août À la découverte de Chostakovitch et Saint-Saëns par l’association Opéravenir départ en car de Toulon à 16 h Place de la Liberté. Concert à 21h au Parc de Florans.
Renseignements et inscription 04 94 48 62 75 – 06 11 81 54 73