Retraites: l’épineuse question des femmes divorcées

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Dépêches AFP

Il a été un temps question de la supprimer, mais le gouvernement a choisi de temporiser: la question de la réversion de la retraite aux femmes divorcées après le décès de leur ex-conjoint sera tranchée par une ordonnance et nombre d’acteurs s’en inquiètent, craignant un renforcement des inégalités hommes-femmes.

Il s’agit de l’un des angles morts du projet, qui pourrait faire des femmes divorcées les grandes perdantes de cette réforme des retraites.

Explication: dans le système actuel, au moment du décès d’un des conjoints mariés, le survivant perçoit une partie de la retraite de la personne décédée. Ces pensions de réversion, touchées à 90% par des femmes, représentent près de 36 milliards d’euros par an, et constituent une rente mensuelle moyenne de près de 700 euros.

Les ex-femmes des époux décédés ont elles aussi droit à une partie de la pension, calculée au prorata des années passées ensemble: c’est cette partie qui semble dans le viseur du gouvernement, même si pour l’instant la question a été renvoyée dans le projet de loi à une ordonnance, et fait l’objet d’une mission confiée à Bertrand Fragonard, membre du Haut conseil de la famille, et Anne-Marie Leroyer, professeur spécialiste du droit de la famille.

-« Énorme problème »-
« C’est un énorme problème que cette question ait été renvoyée à une ordonnance. Ça démontre bien qu’ils ne veulent pas conserver cette pension de réversion », craint Sophie Binet, chargée des droits des femmes au sein de la CGT.

Petit retour en arrière. En juillet 2019, le rapport Delevoye préconise dans le nouveau système de tout simplement supprimer cette pension de réversion aux ex-conjoints, une économie évaluée à près de 2 milliards d’euros selon l’étude d’impact. « Ca en dit long sur le recul que ça pourrait constituer pour les femmes », estime Mme Binet.

Pour compenser cette perte, le même rapport propose de laisser le juge des affaires familiales (JAF) régler cette question des droits à la retraite au moment du divorce en augmentant le montant des prestations compensatoires. Une piste assez pentue, voire totalement farfelue pour certains.

« C’est totalement irréaliste de confier cela à un juge des affaires familiales », juge Catherine Marty, économiste membre d’Attac. « Dans l’état actuel du droit, le juge des affaires familiales n’a pas les outils, il ne sait pas et ne peut pas évaluer la perte de la réversion », assure Nicolas Graftieaux, avocat spécialisé dans le droit de la famille.

« Il n’est pas possible juridiquement de fixer une pension post-divorce et les prestations compensatoires, c’est le versement d’un capital. Or il est trop souvent impossible pour l’époux de verser une somme suffisante pour compenser la perte de la réversion », confirme Me Graftieaux. Une telle mesure ajouterait donc à la complexité d’un divorce.

« Ce serait réellement catastrophique », surtout « quand on sait que 45% des mariages se finissent en divorce, et que lors d’un divorce, on règle avant tout la garde des enfants, les pensions alimentaires, mais pas la question de la retraite », ajoute Sophie Binet.

-« Hors-sol »-
« Imaginer qu’un juge va régler la question est totalement hors-sol », confirme Catherine Marty.

Le gouvernement n’a pas retenu cette option pour l’instant. Mais les inquiétudes demeurent.

Le Haut conseil à l’égalité femmes-hommes s’en est d’ailleurs récemment inquiété, pointant le problème de confier cette question au juge des affaires familiales et plaidant pour le maintien du système actuel.

Dans une tribune du Monde publiée le 23 janvier, un collectif de chercheurs et d’universitaires s’est lui aussi alarmé d’une telle mesure qui, à coup sûr, « diminuerait davantage les retraites de nombreuses femmes ».

« C’est un vrai recul quand même. On considère les femmes comme des mineures, c’est vraiment incroyable. Il faut s’en inquiéter », ajoute Mme Marty.

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