Petite Histoire du 14 juillet De la Célébration à la Contestation

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Voilà une belle occasion pour faire le point sur cette date constitutive du roman national français. Au pas citoyen !

Le 14 juillet est associé à la prise de la Bastille et à l’insurrection populaire de 1789. En le promulguant Fête nationale en 1880, la IIIe République choisit de retenir officiellement la date du 14 juillet 1790, jour de la fête de la Fédération. Dans les faits, les Français fêtent traditionnellement ces deux dates emblématiques de leur histoire associée à la République.

Si le 14 juillet commémore la victoire d’une ère nouvelle sur l’Ancien Régime, la fête nationale a subi, au cours des siècles, les aléas de l’histoire. Retour sur quelques 14 juillet emblématiques du Second Empire à nos jours.*

Le 14 juillet « Hors la loi » 1870-1880
Dans les années 1870, marquées par la défaite du Second Empire et la répression sanglante de la Commune de Paris, la nature du régime reste incertaine : la France évoluera-t-elle vers une monarchie, une République censitaire ou une véritable République démocratique ?

Thiers, en 1872, interdit la moindre esquisse de fête nationale républicaine. Une circulaire confidentielle déclare même le 14 juillet « hors la loi [car] il est probable que les anniversaires des 14 et 15 juillet servent de prétexte à des réunions et banquets politiques ». La République se devait d’être modérée et, surtout, aurait dû, selon les vœux de Thiers, être censitaire (seul celui qui payait le cens – l’impôt – pouvait être électeur ou éligible).

La Fête nationale du 30 juin 1878

Claude Monet. montorgueil

Pourtant, à la fin de cette période, plusieurs cérémonies installent le rituel de la fête républicaine. À l’occasion de l’Exposition universelle qui se tient à Paris, le ministère de l’Intérieur organise la fête nationale du 30 juin 1878, dite « fête de la paix et du progrès », marquée par l’omniprésence du drapeau tricolore et immortalisée par le peintre Monet (La rue Montorgueil, La rue Saint-Denis), qui écarte toute référence trop directe à la Révolution mais célèbre la République.

D’autres fêtes annoncent les 14 juillet à venir : le double centenaire de la fête de Voltaire et de Rousseau en 1878 ; la fête républicaine du 14 juillet 1879 initiée par Gambetta, en présence de Louis Blanc et Victor Hugo. La France ne commémore pas encore le 14 juillet, mais rend hommage à des héros parmi les plus populaires de la Révolution. Pendant ces grandes fêtes, se systématisent les banquets, les toasts civiques, la représentation de Marianne qui seront au cœur du rituel du 14 juillet.

Le 21 mai 1880, Benjamin Raspail dépose une proposition de loi signée par 64 députés, selon laquelle « la République adopte comme jour de fête nationale annuelle le 14 juillet ». L’Assemblée vote le texte dans ses séances des 21 mai et 8 juin ; le Sénat l’approuve dans ses séances des 27 et 29 juin 1880 à la majorité de 173 contre 64, après qu’une proposition en faveur du 4 août eut été refusée.

Le 14 juillet 1880 la consécration du 14 juillet et de l’influence de la franc-maçonnerie.
La loi est promulguée le 6 juillet 1880. Un défilé militaire est organisé sur l’hippodrome de Longchamp devant 300 000 spectateurs, en présence du président de la République, Jules Grévy. En 1880, à Paris, deux cérémonies importantes dominent la fête, les symboles de la franc-maçonnerie y sont largement à l’honneur. À commencer par l’inauguration d’un monument, la place de la République, où une statue de bronze représentant une femme drapée d’une toge à l’antique et coiffée d’un bonnet phrygien, incarne la République. Haute de 9 m 50, elle repose sur un piédestal de 15 m 50, sa main droite tend un rameau d’olivier tandis que son bras gauche repose sur les Tables de la Loi sur lesquelles il sera par la suite gravé « Droits de l’homme ». Trois grandes statues de pierre ceignent le piédestal et représentent la Liberté tenant des fers brisés et brandissant un flambeau, l’Egalité tenant le drapeau tricolore et une équerre à niveau, et la Fraternité entourée d’attributs agricoles et d’enfants en train de lire. C’est l’œuvre de deux « frères », Léopold Morice (1846-1919) et Charles Morice (1848-1918). Rappelons que la devise de la France liberté, égalité fraternité est celle du Grand Orient de France.

Cette même année a lieu la distribution des nouveaux drapeaux à l’armée, puisque c’est le 14 juillet 1880 qu’est confirmée la fonction du drapeau tricolore comme emblème national. Le président Grévy remet aux régiments qui lui sont présentés des drapeaux bleu-blanc-rouge frangés d’or et frappés du signe « RF ».

La fête débute par une retraite aux flambeaux le 13 au soir, puis s’enchaînent les manifestations civiles et militaires, les « banquets républicains », les feux d’artifices, les fêtes locales, qui se termineront souvent à l’aube. Les maires de France jouent très vite un rôle central dans l’organisation et le déroulement des cérémonies et des festivités qui s’ensuivent.

Le 14 juillet 1890 le centenaire de la fête de la Fédération
Le centenaire de la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, fut particulièrement bien célébré, davantage que le centenaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. La République modérée de cette fin du XIXe siècle préfère mettre à l’honneur cette date plus consensuelle. À travers tout le pays, les discours des maires célèbrent les acquis de la République : la conscription notamment, votée en 1889, qui doit permettre à terme de laver l’affront de la défaite de 1870.

Depuis la fin des années 1880, les instituteurs, fameux « hussards noirs de la République », sont presque toujours membres des comités d’organisation du 14 juillet. L’école se distingue lors de cette journée, qu’elle enjolive avec ses solennelles remises de prix des 14 juillet, organisées dans plus des deux tiers des communes pour symboliser la méritocratie républicaine. Les bals de fin de journée, organisés dans presque toutes les communes, connaissent un succès croissant avec leur décor tricolore, leurs nombreuses Marianne et lampions, leur musique, souvent celle des régiments ou des pompiers et le mélange des classes sociales. Le « petit bal popu » devient le symbole du 14 juillet.

Le 14 juillet 1919 souvenirs des morts, le dolorisme français.
Le 14 juillet 1919 est la première célébration de la mémoire des morts et des disparus. Après la victoire de la Grande Guerre de 1914-1918, les rescapés défilent sur les Champs-Élysées. Cet hommage aux combattants, morts comme survivants, voulu par G.Clémenceau, deviendra l’ordinaire des célébrations du 14 juillet. La France a tenu « parce qu’elle était une nation », selon l’expression de l’historien J.-J. Becker. Pour la veillée d’honneur aux morts de la patrie, dans la nuit du 13 au 14, le pouvoir dresse un cénotaphe géant, entouré de canons pris à l’ennemi, sous l’Arc de triomphe. Le défilé de mille « gueules cassées », mené par le nouveau député de la Meuse André Maginot, volontaire de 1914 amputé d’une jambe, précède celui des troupes alliées victorieuses, qui défilent dans l’ordre alphabétique. L’armée française clôt le défilé.

Cette double célébration fut aussi le triomphe définitif du 14 juillet, fête largement militarisée incarnant la nation qui ne fut plus guère contestée dans cette fonction.

Le 14 juillet 1945 le défilé de la Libération.
Le 14 juillet 1945 est « plus que jamais fête nationale puisque la France y fête sa victoire, en même temps que sa liberté », selon les mots du général de Gaulle. Le général qui, cinq ans plus tôt, s’adressant aux Français à la radio de Londres, avait proclamé : « Le 14 juillet 1940 ne marque pas seulement la grande douleur de la patrie. C’est aussi le jour d’une promesse que doivent se faire tous les Français par tous les moyens dont chacun dispose, résister à l’ennemi, momentanément triomphant, afin que la France, la vraie France, puisse être présente à la victoire ». Régulièrement, pendant la guerre, la BBC appelle les Français à manifester ce jour-là.

Le 14 juillet 1945 est marqué par trois jours de réjouissances civiques. On célèbre avec solennité la veillée du 13 juillet. Un splendide éclair de lumière jaillit sous l’Arc de triomphe. Le cortège des troupes victorieuses se déplace de la place de la Nation à celle de la Bastille puis à l’Arc de Triomphe. Les troupes sont alors passées en revue par le général de Gaulle.

Le 14 juillet 1974 de la Bastille à la République
Avec un défilé de la Bastille à la République, le 14 juillet 1974 est un 14 juillet « nouveau style ». La place de la Bastille est l’épicentre des manifestations, autour de la colonne de juillet. Les soldats défilent à pied à travers les quartiers de Paris, comme à l’époque de la Bastille, selon le vœu du nouveau président, Valéry Giscard d’Estaing. Les lieux du défilé varient pendant les cinq années suivantes (cours de Vincennes, Champs-Élysées, École militaire, Champs-Élysées, République-Bastille). Depuis 1980, les Champs-Élysées sont redevenus le cadre du défilé.

Le 14 juillet contesté.
Plusieurs associations refusent la militarisation de la fête nationale et insistent pour faire coller l’unité nationale avec les urgences de la vie quotidienne (écologie, humanitaire, universalisme, refus du chauvinisme guerrier). D’autres veulent carrément supprimer le défilé militaire. « Depuis qu’il a été institué comme fête nationale, en 1880, le 14 Juillet n’a cessé de susciter des contestations », rappelle le politologue Olivier Ihl, auteur de La Fête républicaine (Gallimard, 1996) **.

À l’extrême gauche, les uns proposent le 21 janvier, en souvenir de l’exécution de Louis XVI, en 1793 ; d’autres suggèrent le 24 février, évocation de ce jour de 1848 où l’abdication de Louis-Philippe nourrit l’espoir d’une République sociale. Au centre droit, en revanche, le 4 août plaît beaucoup : la célébration de cette nuit de 1789 où les privilèges ont été abolis a l’avantage de mettre en lumière les représentants du peuple plutôt que le peuple lui-même. Pour les modérés, le 4 août a le mérite de célébrer le progrès sans encourager la subversion.

Aucune de ces dates, toutefois, ne fait l’unanimité. La loi du 6 juillet 1880, qui fait du 14 juillet la fête nationale, est habile, car elle ménage une certaine ambiguïté. Les républicains les plus à gauche pensent au 14 juillet 1789, c’est-à-dire à la prise de la Bastille. Les républicains plus modérés, eux, ont en tête le 14 juillet 1790, c’est-à-dire la fête de la Fédération. Autant dire que tous y trouvent leur compte : ceux qui veulent célébrer la chute de la tyrannie, et ceux qui préfèrent commémorer l’unité nationale.

** Sources Olivier Ihl, La Fête républicaine (Gallimard, 1996).

Jean-François Principiano

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