Pelléas et Mélisande en toute intimité

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Le projet était simple mais risqué : présenter l’opéra de Debussy sans  l’orchestre. Une version épurée, confiée à deux maîtres de la relecture des ouvrages lyriques, Moshe Leiser et Patrice Caurier.

Carrière d’un génie
Debussy est sans doute un des plus grands compositeurs français. Rappelons les étapes qui conduisent à Pelléas. Les parents du jeune Debussy ne sont pas musiciens mais sur les conseils d’une amie, lui font donner des leçons de piano et acceptent qu’il entre à dix ans au Conservatoire de Paris en 1873. Il suit, entr’autre, le cours d’orgue de César Franck et celui de composition de Massenet. Il voyage avec la baronne von Meck, amie de Tchaïkovski, en Suisse, en Italie, il y rencontre Wagner en Autriche et Moussorgski en Russie. A vingt deux ans il obtient le Premier Grand Prix de Rome pour sa cantate L’Enfant prodigue. En 1885-1886, il séjourne à la Villa Médicis, où ses envois de Rome scandalisent l’Institut par leur impressionnisme vague. A son retour à Paris, il fréquente les « Mardis » de Mallarmé, y rencontre Laforgue et Verlaine. Il voit Brahms à Vienne, découvre Parsifal et Tristan à Bayreuth, fait la connaissance de Satie. Il se fixe définitivement à Paris consacrant l’essentiel de son temps à écrire ses principales œuvres. (Prélude à l’après midi d’un faune, La Mer, Nocturnes, Images, Jeux, la Boite à joujoux… L’événement capital dans sa vie est la création en 1902 à Paris de Pelléas et Mélisande : cette œuvre  que ses chers confrères avaient surnommée Pédéraste et Médisance… Absolument neuve, elle est victime d’une des plus célèbres cabales de l’histoire de l’Opéra. Mortifié par l’incompréhension du public et de la grande majorité de la critique, Debussy  plongera dans une dépression, sans doute une des causes du cancer qui l’emportera prématurément  en 1918 à l’âge de 55 ans.

Drame intemporel sur fond de légende médiévale.
Pelléas  échappe à toute classification. Debussy substitue la sensation à la forme, le rythme intérieur à la durée narrative. Il bouleverse les lois de l’harmonie et ignore les conventions de l’opéra. Tout est décrit par Maeterlinck en demi-teintes, avec pudeur et discrétion. Sous une apparence naïve le langage est raffiné ; « Si j’étais Dieu j’aurais pitié du cœur des hommes ». L’intrigue est ténue : une jeune femme étrange aime son beau-frère qui est tué par le mari jaloux alors qu’elle sombre dans la folie.  Les personnages semblent hors du temps et prononcent des phrases indéfinies, immatérielles. Ils se parlent à eux même… La continuité musicale est assurée par des interludes orchestraux qui relient les scènes. En fait l’essentiel de l’expression est confié à… l’orchestre.

La version sans orchestre : un choix  périlleux
Et c’est justement le problème de cette version théâtrale  en « création » au Théâtre Liberté.

On ne peut rien reprocher aux  jeunes interprètes qui ont présenté un travail admirable, fruit d’une longue préparation à la Fondation Royaumont avec Jean-Paul Pruna.

Duo entre Pelléas et Mélisande

Qualité de la diction, maîtrise de la partition, expressivité, effort de caractérisation. Jean Christophe Laniece en Pelléas tourmenté, la soprano Marthe Davost en Mélisande fragile et émouvante sachant préserver le mystère de sa blessure intérieure, Halidou Nombre, dans le rôle d’un  prince Golaud surprenant, étonnant même dans un laisser-aller à la limite du contre-emploi malgré  les scènes de colère et de jalousie puissantes et bien expressives, Cyril Costanzo, superbe d’humanité, à la belle couleur de voix et au phrasé impeccable. Marie-Andrée Bouchard Lesieur belle voix de mezzo, et Cécile Madelin en Ignold émouvant.

Martin Surot assurait l’accompagnement au piano avec précision  et fluidité soutenant bien les voix. En fait il interpréta  la particelle c’est-à-dire la composition avant son orchestration, et non pas une réduction pour piano réalisée à partir de la partition pour orchestre. Il sut ainsi souligner combien Pelléas doit à l’œuvre pour piano de Debussy, qu’il s’agisse des mélodies ou des Préludes comme Des pas sur la neige par exemple. En deuxième partie Martin Surot exprima au clavier la solitude et la désolation des trois dernières scènes. Il aurait mérité d’avoir à sa disposition un piano de meilleure qualité.

Dans la salle, beaucoup de jeunes spectateurs ont perçu ce spectacle comme un beau moment de théâtre musical. Leur attention a été captivée par les qualités de la mise en scène et la crédibilité des interprètes.

Une certaine idée du destin
En effet, la réalisation de Leiser-Caurier  a été  plutôt convaincante. Elle évita le pathos et le déclamatoire gratuits ; elle insista sur la relation entre les personnages ; elle  substitua la direction des comédiens  au mystère de l’envoutement orchestral (qui est, reconnaissons-le une grande partie de la beauté de l’œuvre). Elle rendit justement hommage à Maeterlinck sans trahir Debussy ni défigurer la troublante magie symbolique des dialogues. Elle alla à l’essentiel. Révéler avec naturel les rapports intimes entre les protagonistes. Expliciter la matière intrinsèquement théâtrale de l’ouvrage, par exemple le duo d’amour  autour du piano. « Mes longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour ».

Ce qu’il y a aussi de  moderne dans leur vision, c’est une certaine idée du destin, celui que l’on subit et que le compositeur traduit notamment par ces silences éloquents dont l’œuvre est constellée.

En somme une réussite théâtrale à porter à l’actif de la scène nationale toulonnaise comme en témoigna la qualité d’écoute du public ainsi que la présence de nombreuses personnalités de la vie culturelle varoises en ce soir de première.

Jean François Principiano

 

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