Orlando Furioso de Vivaldi

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C’est un grand livre qui a bercé mon enfance. C’est un opéra  à la beauté magique d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Mais surtout, c’est la découverte d’une sensibilité artistique disparue que le renouveau du baroque nous propose de revivre dans toute son incandescence.

L’Arioste parmi nous !

Vivaldi

Ludovico Ariosto dit l’Arioste (1474-1533) était le poète officiel du duc de Ferrare Hyppolite d’Este qui occupait la fonction de secrétaire, d’historiographe et d’administrateur. C’est entre ces diverses charges que l’Arioste ne cessa de travailler à son chef-d’œuvre, l’Orlando furioso (Roland furieux), parodie de poèmes chevaleresques médiévaux,  suite au Roland amoureux de Matteo Maria Boiardo, son prédécesseur.

Il y mêle, avec habileté et ironie, trois grands thèmes : la guerre entre Charlemagne et les Sarrasins, la folie de Roland vainement amoureux de l’inconstante Angélique, enfin les amours et le mariage de Roger et Bradamante, ancêtres imaginaires de la dynastie d’Este qui régnait sur Ferrare.

Cette œuvre épique est composée de 46 chants, dont l’unité poétique est le huitain (la stanza), mêlant le tragique au plaisant, le lyrique au romanesque, usant avec autant de liberté que de maîtrise de toute la culture européenne, d’Homère aux contemporains en passant par les romans médiévaux et les cycles chevaleresques

Le Roland furieux est l’expérience artistique et humaine de toute la vie de l’Arioste. Un livre fantastique qui se déploie en une  foule perpétuellement mouvante de personnages et d’événements qui, après l’écroulement des repères du Moyen Âge, reflète le scepticisme souriant de la Renaissance. Son message est simple et direct : la vie est pleine d’embûches, elle donne son goût tragique à la destinée de l’homme, du plus simple paysan au héros mythique, mais derrière  cette succession d’épreuves elle nous incite à accepter  notre condition. Mieux vaut sourire que se désespérer.

Un livret épique en Italien classique
Le livret italien de Grazio  Braccioli suit avec fidélité l’œuvre de l’Arioste dans une langue raffinée ou les emprunts au vénitien  ajoutent  une saveur  subtilement aristocratique. C’est sans doute le plus bel italien classique !

L’intrigue est simple et peut être considérée comme l’ancêtre des romans de fantasy   tels que le Seigneur des anneaux par exemple…

La perfide magicienne Alcina règne sur une île enchantée dont elle a chassé sa sœur, Logistilla, symbole de la raison. Vieille et horrible, elle peut, grâce à ses artifices, sembler jeune et belle, et séduire tout homme qui pénètre en son royaume. Son idéal est de détruire toute trace d’amour chez les humains. Elle accueille au début du récit la princesse Angelica, son amant le guerrier Sarrazin Medoro mais aussi le chevalier franc Orlando (Roland) qui poursuit Angélique d’un amour passionné. Un second couple d’amoureux Ruggiero (Roger) et Bradamante abordent également l’ile en compagnie du mage Astolfo  qui guide le cheval volant Hippogriffe. Alcina qui est l’esprit du mal  incarné veut détruire ses hôtes pour se venger  des blessures d’un impossible amour de jeunesse. Mais ses maléfices seront déjoués  et l’Amour vaincra le Mal.

Acte I Dans l’île enchantée de la magicienne Alcina
Orlando proclame sa confiance dans l’amour que ne peut lui refuser Angelica. Angelica pleure devant la mer tempétueuse. On entend des appels au secours. Angelica reconnaît Medoro qui est blessé, sur le rivage. Alors qu’elle désespère de pouvoir le guérir, Alcina survient qui, par l’effet de sa magie, guérit Medoro. Celui-ci revient à la vie et raconte qu’il était parti à la recherche d’Angelica, et qu’il a été blessé et fait prisonnier par des pirates. Une tempête l’a jeté par-dessus bord et il a pu s’accrocher à une barque. Orlando entend les dernières paroles de son rival, et entre en fureur contre Angelica. A cet instant Ruggiero, Bradamante  et Astolfo arrivent  sur le cheval ailé, l’hippogriffe. Alcina s’éprend immédiatement de Ruggiero  à qui elle fait boire un breuvage ensorcelé ; l’effet est immédiat et Ruggiero oublie qu’il est l’époux fidèle de Bradamante. Celle-ci chante son désespoir tandis que Ruggiero chante un air d’une grande beauté sur les vers de l’Arioste accompagné à la flûte. « C’est une des pages les plus belles de l’histoire de la musique baroque » d’après le musicologue Jacques Chailley.

Sol da te, mio dolce amore,
Questo  cuore
Avra pace, avra conforto.
Le tue vaghe luci belle
Son le stelle,
Onde amor mi guida in porto.

De toi seule, mon doux amour
Ce cœur recevra paix et réconfort
Tes beaux yeux pleins de grâce
Sont les étoiles
Par qui l’amour me guide au port.

Acte II Un bosquet délicieux avec des havres de verdure
Ruggiero ne reconnaît toujours pas Bradamante. Celle-ci essaye de raviver les souvenirs de Ruggiero en lui montrant un anneau reçu de lui en gage de foi. L’anneau – enchanté – rompt le sortilège dont Ruggiero est victime, et celui-ci reconnaît enfin son épouse. Ils chantent en duo leur amour.
Angelica prépare son mariage avec Medoro. Pour se débarrasser d’Orlando qui la poursuit toujours, elle l’envoie chercher une eau de jouvence qu’il trouvera, gardée dans une caverne par un monstre. Dans la caverne, Orlando défie le monstre. Vaincu, ce dernier lui dévoile les secrets de l’île enchantée d’Alcina.
On célèbre le mariage d’Angelica et Medoro devant Alcina et sa suite. Restés seuls, les époux échangent des paroles d’amour, et gravent leurs noms sur l’écorce des arbres. Orlando découvrant les inscriptions « Angelica et Medoro, amants et époux »,  devient furieux et, perdant la raison, détruit dans sa colère l’arbre sur lequel les jeunes époux ont gravé leurs noms ainsi que toute la végétation environnante. Sa raison le quitte et  se perd dans la lune…

Acte III devant le temple d’Hécate, déesse du mal dans la mythologie grecque
Bradamante,  Alcina et  Ruggiero assistent aux divagations d’Orlando  furieux et méditent sur les maux causés par  l’amour. Angelica se joint à eux. Grand Air d’Angelica (Che dolce piu).  Ruggiero et Astolfo  enfourchent l’Hippogriffe et vont chercher la raison perdue d’Orlando dans la lune.  Air d’Orlando (Scendi nel Tartaro). A cet instant, l’enchantement qui entourait l’île d’Alcina est rompu, le Temple s’écroule et l’île redevient déserte. On ne voit plus que des escarpements, des rochers à perte de vue, et un arbre auquel sont suspendues, en trophée, les armes d’Orlando. Alcina ne sait où s’enfuir. Elle découvre Orlando endormi sous cet arbre et s’apprête à le poignarder, mais Ruggiero l’arrête.
Alcina, vaincue, se lamente sur son sort, et promet de se venger. Air d’Alcina (Andero, chiamero dal profondo). Orlando  qui a retrouvé la raison pardonne à Angelica, et bénit son hymen avec Medoro. Chœur final de réjouissance : « S’il aime avec constance l’amant fidèle  trouve en l’amour sa récompense. »

La voix imite la virtuosité des instrumentistes.
Située après La Vérità (1720) et les grands opéras créés à Rome : Ercole (1723), puis Giustino (1724), préludant au prochain chef-d’œuvre, Farnace (1727), Orlando furioso (1727) incarne le génie lyrique de Vivaldi, il prete rosso, celui des années 1720, années miraculeuses où le compositeur vit les heures les plus glorieuses de sa carrière.

C’est le plus grand violoniste de l’Europe et à ce titre il est vénéré comme un prince. Il règne sur les scènes italiennes, en particulier à Venise. Il a donc tout le loisir d’effectuer sa révolution stylistique en confiant aux chanteurs des partitions vocales imitant la virtuosité instrumentale.Il peut le faire étant donné l’immense qualité technique des chanteurs de son temps à Venise. C’est le système des ospidaletti, conservatoires pour les orphelins dont il est Inspecteur Général et dans lesquels La Sérénissime confie à des professeurs de musique instrumentale et vocale l’éducation  des enfants abandonnés d’humble origine. Ils deviennent ainsi des virtuoses vocaux et instrumentaux qui s’illustrent dans les nombreuses salles de spectacle de la ville.

Le sens de l’œuvre
L’opéra se déroule entièrement sur l’île de la magicienne Alcina où les héros sont confrontés au Mal. Toutes les nuances les plus subtiles de la passion amoureuse déploient une palette inouïe, expressionniste et déjà romantique.

Vivaldi se plait visiblement à décrire la souffrance et la solitude profonde des personnages manipulés par Alcina. La musique installe une atmosphère oppressante où les vapeurs de la magie provoque une sorte d’hypnose vénéneuse à laquelle on ne peut échapper.

Seul l’amour sincère et partagé des deux couples, Angélique-Medoro et Roger-Bradamante pourra vaincre ce royaume du mal absolu.

Avec Orlando Furioso Vivaldi donne le meilleur de son génie. Si le canevas formel suit la succession prévisible de récitatifs puis d’arias da capo du style baroque, on est saisi par la profondeur psychologique des quatre personnages principaux, la tendresse grave, parfois désespérée des élans et des transports, l’amertume aussi des héros de l’Arioste, capables de clairvoyantes traversées  de lucidité dans le noir abîme des passions humaines.

Un désenchantement poétique.
Vivaldi perce avec justesse le voile décoratif dont se pare souvent la poésie désenchantée de  l’Arioste.
Sa théâtralité lyrique est ici à la hauteur de son œuvre instrumentale : hypersensible, expressionniste, déjà romantique par la noirceur fantastique de certains tableaux, d’une géniale invention poétique. Les coups d’archets fouettés, la nervosité glaçante de certains intermèdes révèlent un Vivaldi transcendé, visiblement inspiré par les récits tumultueux de l’Arioste.
Les héros tombent leurs masques et déploient dans le chant et la musique des prodiges d’humanité : une Alcina manipulatrice et destructrice, une Angelica limpide et gracieuse, une Bradamante courageuse et sincère, un Ruggiero et un Medoro, tendres et fidèles.

La scène de folie d’Orlando est une irruption fascinante du fantastique qui le dispute au registre héroïque. C’est le sommet de  la partition. Le point de non-retour.

Pourtant il s’en est fallu de peu  que l’histoire de la musique ignore ce chef d’œuvre.

Par un heureux hasard et une aventure rocambolesque, on a retrouvé au XXème siècle, au Piémont, dans une abbaye salésienne, derrière un mur, 27 volumes de manuscrits en grande partie autographes de Vivaldi, comprenant 80 cantates, 42 oratorios, 307 concertos et 20 opéras dont l’Orlando Furioso ! Cette source précieuse est conservée à Turin à la Bibliothèque Universitaire  sous le nom de ses généreux donateurs  Raccolta Foà – Giordano.

En 2004 Jean-Christophe Spinosi fut choisi par la Région  Piémont et les  disques Naïve pour en graver la première version complète  selon l’édition critique de Federico Maria Sardelli. C’était la résurrection d’un chef d’œuvre que l’on croyait perdu.

Et comme le chante le chœur final
Sage est celui qui de l’erreur apprend la Prudence ;
L’âme qui toujours aime trouve la confiance et le bonheur !

Pour déguster cette partition succulente, rien de mieux que la version de référence dirigée par Jean-Christophe Spinosi visiblement inspiré, avec Marie-Nicole Lemieux Orlando, Jennifer Larmore Alcina, Veronica Cangemi Angelica, Philippe Jarrousky Ruggiero, Lorenzo Regazzo Astolfo, Anne Hallenberg  Bradamante, Blandine Staskiewicz Medoro.

Jean-François Principiano

Bonus 1 traces d’enregistrements d’Orlando Furioso


Bonus 2 « Sposa son disprezzatta » de Vivaldi par Cecilia Bartoli.

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