Opéra de Toulon Deux beaux concerts en ligne

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Voilà une bonne surprise en cette période troublée. L’opéra de Toulon, comme tant d’autres maisons lyriques, a choisi la voie numérique pour poursuivre sa programmation. Déjà deux concerts en ligne consacrés à Jean Sibelius et Ernest Chausson. Une double réussite.

On sait et on a déjà souligné la richesse des choix musicaux de Jérôme Gay qui depuis plusieurs années œuvre pour faire bouger les lignes à l’opéra de Toulon sous la direction de Claude-Henri Bonnet tant sur le plan des styles musicaux que sur l’évolution des publics, n’hésitant pas à introduire de la musique contemporaine (je veux dire de la musique savante classique de compositeurs de notre temps) dans les programmes des concerts symphoniques.

La saison qui devait se dérouler en présentiel était donc très attendue par les mélomanes. La Covid l’a fauchée à cause des diverses mesures de précautions sanitaires. Mais deux splendides concerts sont disponibles désormais sur la chaîne YouTube de l’opéra de Toulon. Compte rendu.

La troisième symphonie de Sibelius (1865-1957)
La Symphonie N° 3 Op. 52 de Jean Sibelius est visible depuis le 3 avril avec l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon, dirigé par Jurjen Hempel.

Cette œuvre est née lors d’une période douloureuse dans la vie du compositeur finlandais en 1907 lorsqu’on lui découvre un cancer à la gorge (dont il guérira d’ailleurs après une opération). Malgré sa beauté elle suscitera moins d’enthousiasme populaire que sa deuxième symphonie ou son célébrissime concerto pour violon. Ce sont surtout les compositeurs de son temps et les chefs d’orchestre qui l’apprécieront. Notamment Bruno Walter ou Karajan.

C’est l’époque aussi où il rencontre Gustav Mahler qui estime tout particulièrement cette symphonie. Pourtant ce sont deux conceptions esthétiques qui se côtoient et s’apprécient mutuellement, deux visions de la musique radicalement différentes. Pour Gustav Mahler, la musique doit embrasser tout l’univers, pour Sibelius en revanche, cela doit être le dépouillement, l’ascèse, l’expression rigoureuse de l’essentiel, l’art du non-dit et de l’aphorisme. Vingt minutes de musique incandescente.

À l’écoute de la version donnée par les musiciens de l’opéra de Toulon on perçoit bien cette rigueur et cette élégance. L’ensemble est d’une grande homogénéité, la prise de son un peu sèche adhère pourtant bien aux instants solistes (points forts de cet orchestre, les excellents solistes hautbois, flûte, clarinette). Le quatuor de cordes qui pourrait être plus fourni est d’une belle présence dans ces effusions lyriques, si typique de ce colorisme subtil (second mouvement). L’ensemble est rendu avec soin et engagement, sans postures prétentieuses, dans une gestique d’une grande lisibilité par un Jurjen Hempel que l’on sent attentif à la maîtrise du grand orchestre. Le somptueux final a sonné avec une évidente grandeur même si l’on peut rêver d’une ampleur encore plus enveloppante. Splendide prestation du timbalier. Soulignons enfin la qualité des prises de vue bien en synchronie avec la prise de son. On peut parler d’une réussite pour la phalange varoise.

Le Poème de l’amour et de la mer de Ernest Chausson (1855-1899)
Depuis le 10 avril la chaine YouTube de l’Opéra de Toulon permet également la captation d’un autre concert qui a été empêché par la Covid 19. Il s’agit du Poème de l’Amour et de la Mer, Op. 19 d’Ernest Chausson toujours avec l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon, sous la direction musicale de Jurjen Hempel avec en soliste Isabelle Druet mezzo-soprano.

Le Poème de l’amour et de la mer op. 19 est une composition pour une voix et orchestre écrite entre 1882 et 1892 et dédiée à Henri Duparc.

Sur des vers néo-classiques de Maurice Bouchor, Chausson écrit une suite de mélodies symphoniques pour voix, séparées d’interludes, en deux parties, la Fleur des eaux et la Mort de l’amour. Véritable petit opéra de chambre (qui fut interprété par les plus grandes voix de Jessie Norman, Gerard Souzay à Felicity Lott) où sa sensibilité et son art de la prosodie française s’expriment avec une délicate touche pré-impressionniste. On sent que Wagner est passé par là…

« L’air est plein d’une odeur exquise de lilas
Qui, fleurissant du haut des murs jusqu’au bas,
Embaument les cheveux des femmes.
La mer au grand soleil va toute s’embraser,
Et sur le sable fin qu’elles viennent baiser
Roulent d’éblouissantes lames. »
Et toi, que fais-tu ? pas de fleurs écloses,
Point de gai soleil ni d’ombrages frais ;
Le temps des lilas et le temps des roses
Avec notre amour est mort à jamais. »

Les mélomanes qui ouvriront le concert sur YouTube retrouveront avec bonheur la phalange toulonnaise sous la direction d’un Jurjen Hempel particulièrement inspiré. La mezzo Isabelle Druet possède une voix agréable et un art de chambriste évident. (2ème du Concours musical international Reine-Élisabeth-de-Belgique et Victoire de la Musique 2010). Sa perception de la musique de Chausson est élégante. Elle est à l’aise autant dans le legato que dans la prosodie française. Sa diction est impeccable. Sa projection paraît puissante (autant que l’on puisse le percevoir dans la retransmission). Malgré la présence de la partition sur le pupitre elle semble investie du sens poétique de son chant. Bien soutenue par un orchestre ni trop fort ni trop faible, elle gagne en maîtrise au cours de l’œuvre jusqu’à des accents très émouvants dans le sommet émotionnel de La mort de l’amour.

Oh ! joyeux et doux printemps de l’année
Qui vint, l’an passé, nous ensoleiller,
Notre fleur d’amour est si bien fanée…

On ne peut que se féliciter de cette expérience on line en pleine pandémie qui met bien en valeur les musiciens de l’orchestre de Toulon et fait découvrir une belle interprète, Isabelle Druet. Cela me fait penser à un proverbe italien « Non tutto il male viene per nuocere » que l’on pourrait traduire par « A quelque chose malheur est bon. » A bon entendeur !

Jean-François Principiano

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