Messiaen dans les étoiles

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L'orchestre de chambre Nouvelle Aquitaine
jean frederic Neduburger

« Des Canyons aux étoiles » le chef d’œuvre d’Olivier Messiaen a résonné au festival de  la Roque d’Antheron  sous les doigts de Jean-Frédéric Neuburger et la direction de Jean-François Heisser.  Exceptionnel moment de musique.

C’est bien pour un grand festival comme celui là, de défendre  et entretenir le musée musical par les grands noms du clavier, de Schumann à Chopin, de Schubert à Debussy, de Bach à Ravel. Imputrescibles pourvoyeurs de bravos bien mérités ! C’est très bien. Mais c’est mieux encore de  donner à entendre de la musique de notre temps. Il y va de la dignité d’un lieu largement subventionné de  savoir défendre et promouvoir aussi les  grandes œuvres du XXème et XXI eme siècle. Mozart aussi fut « contemporain » à son époque !

C’est donc sans flagornerie complaisante que  l’on peut affirmer que cette soirée du 27 juillet 2019 fut un des plus  beaux moments de cette 29eme édition. Car c’est très courageux   d’avoir programmé cette splendide et scintillante œuvre de Messiaen exaltant la beauté des grands espaces américains ou l’auteur de Tout répand son voile. Cette cité céleste chère au compositeur.

Une ode à la transcendance
En ce début des années 70, Olivier Messiaen n’a plus rien à prouver en tant que compositeur incontournable de la vie musicale française. Depuis 1966, il assure le cours de composition au Conservatoire de Paris. Les élèves appelés à devenir les compositeurs de la nouvelle génération s’y bousculent.

En 1971, la cantatrice et philanthrope Alice Tully lui commande une œuvre dans le cadre des festivités prévues pour célébrer le bicentenaire de la déclaration de l’indépendance des USA en 1976. Le compositeur accepte et se rend dans l’Utah pour y chercher l’inspiration. Pourquoi cet état désertique ? À cause de ses magnifiques formations géologiques polychromes. Des canyons et défilés datant de l’ère secondaire, contemporains du grand canyon du Colorado, et dont les chaudes couleurs dorées s’expliquent par la présence d’oxyde de fer allié à divers minéraux. Il ne faut pas oublier que Messiaen était atteint de synesthésie, possibilité neurologique de percevoir des couleurs en entendant certains sons. L’inverse étant l’une des composantes de son esthétique: traduire la perception des couleurs en sons.

Par ailleurs, il collecte de nombreux chants d’oiseaux régionaux, l’une de ses autres passions. La dimension mystique sera perçue à travers le silence de ce lieu somptueux, totalement inhabité et donc propice à la méditation tout comme la vision des astres et du cosmos grâce à la transparence de l’atmosphère nocturne typique des zones désertiques isolées.

Messiaen offre ainsi une ode à la transcendance par le choix de ce lieu mythique des Amériques tout en recourant aux fondamentaux de son langage et de ses préoccupations spirituelles. La notice du programme distribué  ne dit rien de l’œuvre. Etrange. Quel mépris ! En fait Messiaen a associé à chaque mouvement des citations de l’écrivain mystique Ernest Hello ou de l’Ancien et du Nouveau testament. Le piano a pour rôle principal d’agrémenter toute l’œuvre des motifs percutants des oiseaux. N’oublions pas que Messiaen écrira son seul opéra sur la vie de  Saint-François d’Assise, le saint qui parlait aux oiseaux…Ecologie avant l’heure !

Une interprétation d’anthologie.
Deux hommes sont aux manettes du vaisseau spatial : le pianiste Jean-Frédéric Neuburger et le chef Jean-François Heisser. Deux complices pour le grand voyage avec les solistes de l’orchestre de  chambre  nouvelle aquitaine (tous excellents).

Heisser a dirigé avec une précision chirurgicale cette étincelante partition, libérant les formes, les intensités, les sonorités d’une orchestration à la fois minimaliste et rutilante. Cor solo impressionnant, arsenal percussif éclatant. Tout en nuance, sa vision de l’œuvre est à la fois respectueuse et inventive.

Le piano soliste Neuburger, grand habitué des  lignes de crêtes de la musique contemporaine, nous est apparu d’une concentration extrême. Splendide solo sur les oiseaux (le moqueur polyglotte et les oiseaux hawaïens) Sonorités cristallines  scintillantes et pures, mais surtout fougue et passion devant  cette œuvre rare. A la fin de la performance il est apparu pale, sorti d’un autre univers sensoriel, humble et ému. Il a vu des choses et a su transmettre cette vision à travers sa technique et son inspiration…

Cette soirée orageuse, à cause d’une météo qui allait priver les mélomanes du  concert suivant, avait, elle, un charme  troublant. Le charme, au sens symbolique, de cette œuvre écoutée avec ferveur par un petit public d’une demi-salle du centre culturel Marcel Pagnol.

On soulignait plus haut les citations du poète mystique ouvrant chaque mouvement. Et bien  celle du début, pour Désert, en dit long sur l’intention du compositeur  tout en résumant parfaitement  la performance des artistes de ce soir : « Celui qu’il s’agit de trouver est immense ; il faut être délivré de tout pour faire vers lui les premiers pas… Enfonce-toi dans le désert des déserts… »

C’est ce bonheur  de l’ascèse qui nous fut donné en partage.

Jean-François Principiano

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