Macbeth de Giuseppe Verdi : La spirale meurtrière du pouvoir

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Le monde dans lequel nous vivons, qui ne connaît ni armistice pour la pandémie ni rémission pour la soif de pouvoir, nous renvoie aux échos d’une des œuvres les plus universelles de la culture occidentale : le Macbeth de Shakespeare et l’opéra de Verdi. Cette vision forte et dramatique peut encore nous toucher et nous aider à mieux comprendre les méandres de nos destinées.

Macbeth est un opéra en quatre actes composé par Giuseppe Verdi (1813-1901) en 1849 et  révisé en 1865.

Le livret de Francesco Maria Piave est tiré du drame The Tragedy of Macbeth (1606) de William Shakespeare, auteur que Verdi admirait particulièrement. Macbeth est le premier des trois opéras shakespeariens de Verdi avant Otello et Falstaff d’après les Joyeuses Commères de Windsor.

Le sujet de la tragédie de Shakespeare est inspiré de la vie d’un personnage réel : Macbeth Ier d’Écosse qui fut roi d’Écosse de 1040 jusqu’à sa mort en 1057. Il semblerait qu’il n’ait eu aucun droit à la royauté ; commandant au service du roi Duncan Ier, il le fait assassiner pour monter sur le trône. Selon une légende anglaise, prononcer le mot Macbeth dans un théâtre porte malheur…

L’opéra fut créé, dans une première version, le 14 mars 1849 au Teatro della Pergola de Florence pour être remanié et recréé dans une seconde version, le 21 avril 1865 au Théâtre Lyrique impérial de Paris.

L’histoire est simple :
Encouragé par les prédictions des sorcières et par l’ambition de sa femme, Macbeth, général de d’armée tue le roi Duncan et usurpe son trône. La soif de pouvoir du couple et leur folie hallucinatoire les entraînent dans une spirale infernale meurtrière.

Viva Verdi !
C’est par le triomphe de Nabucco, créé à la Scala le 9 mars 1842, que débute une carrière longue de cinquante ans illustrée de 28 opéras.

Du jour au lendemain, on voit apparaître des chapeaux, des cravates « à la Verdi » et les salons à la mode s’arrachent le jeune compositeur. Sa fougue nationaliste s’exprime à travers des chœurs patriotiques dont le célèbre chœur des esclaves et les ovations chaleureuses qu’il reçoit seront une manière déguisée de narguer les autorités autrichiennes : « Viva Vittorio Emmanuele Re d’Italia ».

Les événements révolutionnaires de 1848 mettent un terme à cette période et le compositeur amorce un tournant constitué de la célèbre trilogie : Rigoletto (1851), Il Trovatore (1853), et La Traviata (1853). À cette époque, il rencontre la chanteuse Giuseppina Strepponi qu’il épousera en 1859 et qui vivra jusqu’à sa mort à ses côtés.

Le succès du compositeur s’amplifie et une nouvelle étape se dessine par la représentation de ses opéras en dehors de la péninsule italienne : Saint-Pétersbourg (La Forza del destino en 1862), Paris (Don Carlos en 1867), Le Caire (Aïda en 1871) pour l’inauguration du canal de Suez.

Ses deux derniers ouvrages Otello (1887) et Falstaff (1893) transposent la richesse de l’univers de Shakespeare et par le modernisme de leur facture musicale ouvrent la voie à l’opéra du XXème siècle.

Son Requiem écrit en 1872 pour la mort d’Alessandro Manzoni, écrivain italien auteur des Promessi sposi, connaît un succès à travers toute l’Europe.

Quand il meurt en 1901, toute l’Italie est en deuil.

Macbeth, le premier chef d’œuvre
Macbeth est dédié à son beau-père et bienfaiteur Antonio Barezzi. On peut voir à Bussetto, dans le petit musée de la maison natale, la partition dédicacée.

Macbeth appartient à cette période de création intense que Verdi a lui-même appelée « mes années de galère ». Après le formidable succès de Nabucco en 1842, le maestro va créer seize opéras en dix ans, travaillant sans relâche pour satisfaire les nombreuses commandes des directeurs d’opéra, désireux de répondre aux attentes d’un public enthousiaste.

Au milieu de cette abondante production où se côtoient des œuvres de qualité très inégale, Macbeth occupe une place tout à fait privilégiée : c’est un des projets les plus audacieux du jeune maestro qui se lance pour la première fois dans l’adaptation d’un drame de Shakespeare, qu’il considère comme « une des plus grandes créations de l’homme ».

Toute sa vie Verdi rêvera de composer aussi un Roi Lear et ses deux derniers opéras Otello (1887) et Falstaff (1893) seront encore inspirés par le dramaturge anglais auquel il vouait une sorte de vénération.

Musique et Théâtre
La correspondance du compositeur avec Piave, son librettiste habituel, montre quelle part essentielle il prit à l’écriture du livret en multipliant les recommandations sur le style et sa nécessaire efficacité dramatique : « Je te prie d’écrire des vers courts ; plus ils seront courts, plus leur effet sera grand ». Le résultat de ce travail exigeant constituera une expérience théâtrale novatrice des plus abouties.

Le livret épure le texte shakespearien. L’action est resserrée, le nombre de personnages est considérablement réduit et Lady Macbeth prend une importance qu’elle n’avait pas dans le drame de Shakespeare. Pour incarner ce rôle quasi démoniaque qui reste un des plus impressionnants qu’il ait écrits, Verdi souhaitait une interprète à la voix « âpre, étouffée, sombre… ».

La scène du somnambulisme (Acte 4, scène 4) où excella Maria Callas, témoigne de la constante recherche d’une vocalité qui soit en parfaite adéquation avec le trouble et la virulence des sentiments. Rarement on a vu une telle violence se déchaîner sur une scène lyrique.

Pour accompagner le couple dans son parcours criminel qui s’apparente à une inéluctable descente aux enfers, Verdi compose une musique « pleine de fureur et de bruits » à l’unisson de l’univers shakespearien. L’ouvrage triompha dès le soir de la première où Verdi fut rappelé une trentaine de fois.

La version définitive
En 1865, Verdi révisa Macbeth pour sa création en langue française au Théâtre Lyrique de Paris. C’est cette version retraduite en italien qui s’est imposée depuis.

Acte 1 Dans un bois, la nuit, Macbeth (baryton) et Banco (basse) , deux généraux du roi Duncan, croisent trois groupes de sorcières qui leur font d’énigmatiques révélations. Elles saluent Macbeth comme seigneur de Cawdor et roi d’Ecosse et promettent à Banco qu’il engendrera une lignée de roi sans être roi lui-même.

Les deux hommes sont encore plus troublés quand surviennent des messagers qui annoncent que le roi vient justement de nommer Macbeth seigneur de Cawdor.

Dans son château où le roi doit venir passer la nuit, l’ambitieuse Lady Macbeth pense que le moment est venu de voir se réaliser la prophétie des sorcières.

Macbeth se laisse convaincre par sa femme qui le pousse à assassiner le roi pour s’emparer de sa couronne. Macbeth accomplit son forfait mais il est accablé par l’horreur de son crime. Lady Macbeth l’accuse de lâcheté et s’empare du couteau ensanglanté avec lequel il vient de tuer le roi. Elle devient complice du crime en dissimulant l’arme pour faire croire à la culpabilité des gardes. Macduff, un noble écossais et Banco découvrent le roi assassiné. Tous maudissent l’auteur de ce crime en un ensemble chorale saisissant.

Acte 2  Dans le château de Macbeth. Macbeth est devenu roi d’Ecosse tandis que Malcolm, le fils du roi Duncan, a dû prendre la fuite après avoir été accusé du meurtre de son propre père. Lady Macbeth veut maintenant que son mari se débarrasse de Banco et de son fils pour mettre en échec la prédiction des sorcières. Banco est assassiné à son tour, mais son fils parvient à s’enfuir. Lors d’un banquet qui réunit toute la cour, Macbeth voit apparaître le spectre de Banco. Lady Macbeth tente de sauver les apparences. L’attitude étrange et les propos incohérents de Macbeth font naître cependant la suspicion dans l’assemblée. Macduff (ténor), croit plus prudent de quitter ce pays qui lui semble désormais « gouverné par une main maudite ».

Acte 3  Dans une caverne obscure, les sorcières préparent leur sabbat. Macbeth se présente pour les interroger à nouveau. Trois apparitions viennent d’abord rassurer Macbeth en lui apprenant qu’aucun homme né d’une femme ne pourra lui nuire et qu’il n’a rien à craindre tant que la forêt de Birnam ne se mettra pas en marche. Mais soudain la terreur s’empare de lui à la vue d’une procession de huit rois suivis de Banco tenant un miroir. Macbeth s’évanouit. Quand il se réveille, sa femme est à ses côtés pour lui insuffler le désir de tuer encore pour survivre. La femme et les enfants de Macduff devront périr.

Acte 4 À la frontière de l’Ecosse et de l’Angleterre, les proscrits écossais pleurent leurs morts, victimes innocentes de la fureur de Macbeth, encouragé à tuer par sa terrifiante épouse. Macduff est déterminé à venger la mort de sa femme et de ses fils. C’est là que se situe le célèbre grand air du ténor  « Ah la paterna mano » (voir bonus 3).

Héritier légitime du trône après l’assassinat de son père, Malcolm arrive à la tête d’une troupe de soldats. Il ordonne que chacun coupe une branche de la forêt de Birnam pour se dissimuler tout en avançant vers le château de Macbeth. Dans une effrayante crise de somnambulisme, Lady Macbeth avoue les crimes horribles qu’elle et son mari ont commis.

Macbeth réagit à peine quand on vient lui annoncer la mort de son épouse mais il est bouleversé en apprenant que la forêt de Birnam marche sur lui. Au cours du combat qui s’engage, Macbeth est tué par Macduff qui lui révèle qu’il n’est pas né de sa mère, mais qu’il a été « arraché de son sein ». Toutes les prophéties se sont accomplies. Malcolm est proclamé roi.

Le sens de l’œuvre
Pour Shakespeare, Macbeth devait « éduquer » le public, lui faire comprendre que nul n’échappe à son destin (les sorcières) et que la violence est constitutive de notre condition. Il se dégage de la pièce élisabéthaine un pessimisme accepté et fataliste, un déterminisme existentiel.

Pour Verdi, l’importance de Lady Macbeth dans le livret l’incite à choisir une autre approche. Homme de son temps, le compositeur s’interroge sur les sources, les formes et les conséquences psychologiques et sociales du pouvoir. Pour lui il y a dans la soif de pouvoir une « tache indélébile ». Pour lui, tout pouvoir est à la fois une contrainte, une addiction et un engrenage fatal.

La musique de Verdi, notamment la scène du somnambulisme, flirte avec l’inconscient freudien. Vivre ses pulsions  est  incompatible avec la vie sociale. En héritier de l’esprit des lumières, Verdi fait confiance à la société pour contrebalancer les impulsions les plus noires des individus (il était républicain, athée et franc maçon). Par la théâtralisation de sa musique il universalise le message.

Nouvelle vocalité expressive
Dans une lettre célèbre, Verdi précise même à Salvatore Cammarano qui faisait répéter Macbeth à Naples : « Tenez compte que les morceaux principaux de l’œuvre sont deux, le duo entre Macbeth et sa femme (fatal mia donna)  et la scène du Somnambulisme. Si ces deux morceaux sont mal interprétés, l’opéra tombe à terre. Et ces morceaux, on ne doit absolument pas les chanter : il faut les jouer et les déclamer d’une voix très sombre et voilée ; sans cela il ne peut y avoir d’effet. L’orchestre avec les sourdines. La scène la plus sombre possible. »

En conclusion  dans le Macbeth de Verdi, la beauté lyrique est à la hauteur de la tragédie sanglante imaginée par Shakespeare sur une base historique mais le maître italien, par la chaleur des accents de sa partition y ajoute une note de réflexion sur la destinée des hommes.

Le drame prend  incontestablement une dimension universelle. La victoire du Bien, Macduff, sur le Mal, Macbeth y est célébrée à la fin, ce qui lui donne l’occasion d’écrire un des plus beaux ariosos du répertoire pour ténor suivi d’un chœur exaltant la liberté dans la plus pure tradition risorgimentale.

Jean-François Principiano

 

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