Les milliards perdus de l’hydrogène par Loïk Le Floch-Prigent

0
@lejournal.cnrs.fr
Loïk Le Floch-Prigent

Le gouvernement a détaillé le semaine dernière semaine le grand plan qui doit permettre à la France de devenir un acteur mondial de l’hydrogène à l’horizon 2030. 3,4 milliards d’euros doivent notamment être investis d’ici à 2023 pour faire de la France un leader mondial dans la fabrication d’électrolyseurs destinés à la production d’hydrogène pour réduire les émissions de CO2 de l’industrie.

Tandis que l’hôpital se mourait à coups de contrôles tatillons pour quelques milliers d’euro, la France se réveille avec de l’argent plein les poches prête à déverser des milliards dans les « domaines d’avenir » définis par un mélange de médias, de politiques et de quelques professionnels, et parmi ceux-ci l’increvable hydrogène dont on prédit l’avènement depuis presque 200 ans.

L’hydrogène, un composant de l’eau, H20, est, en conséquence, un des éléments les plus répandus avec son copain l’oxygène. Il est léger et sa combustion par l’oxygène produit de l’eau et de la chaleur. La combustion électrochimique, avec comme électrolyte un polymère, produit directement de l’électricité. Les dispositifs sont appelés des « piles à combustible », ils sont connus depuis des dizaines d’années, mais les progrès de la science et de la technique ont permis de mieux les domestiquer, et on a tendance aujourd’hui à considérer que ce sont les piles à hydrogène qui seront les meilleurs vecteurs de l’utilisation de l’hydrogène, et non les moteurs thermiques.

D’où peut venir l’hydrogène ? Bien sur on pense à l’électrolyse de l’eau qui va dégager avec un courant électrique d’un coté de l’hydrogène, et de l’autre coté de l’oxygène. Pour cela il faut disposer de sources d’électricité abondante et bon marché. Mais depuis l’apparition du pétrole et du gaz, les raffineries ou les vapocraqueurs proposent un hydrogène à un très bon prix, c’est donc cet hydrogène qui est utilisé lorsque l’on souhaite privilégier cette solution comme on l’expérimente avec les trains pour remplacer le gazole ou les taxis parisiens. Le fait d’avoir comme émission de la vapeur d’eau en fait une source d’énergie non polluante.

Pourquoi l’hydrogène ne s’est pas imposé depuis 200 ans ? Parce qu’il présente des risques d’explosion, qu’il nécessite une approche précautionneuse et que les réservoirs sous pression sont lourds. Pour les voitures individuelles ce sont les dérivés liquides du pétrole qui ont gagné la bataille des possibles, essence ou gazole, laissant à des flottes spécialisées les gaz sous pression, GPL ou GNL et marginalisant l’hydrogène. Nos pères ont choisi le plus pratique, le moins dangereux, et nous avons connu les pompes à essence et les stations-services ! De toute façon le moins cher étant le dérivé pétrolier ou gazier, l’hydrogène d’électrolyse étant deux à trois fois plus cher, la solution retenue va de soi.

En 1973 lors des chocs pétroliers, lorsque l’on ne sait plus si le pétrole va arriver en Occident et à quel prix, on repense à l’hydrogène d’électrolyse, on est en plein développement nucléaire pour gagner en autonomie définitive pour la production électrique , alors pourquoi ne pas faire une ou deux centrales supplémentaires pour réaliser l’électrolyse de l’eau et prendre l’hydrogène comme combustible automobile ? La découverte de champs en Mer du Nord et la dislocation du bloc moyen-oriental a raison de toutes les études , l’hydrogène issu des sources fossiles reste le moins cher, on ferme rapidement le dossier hydrogène.

Les prix n’ont pas changé, les techniques se sont affranchies du modèle de combustion thermique et la pile à combustible apparait comme une alternative. En ce qui concerne la pollution des villes qui attire vers le véhicule électrique dans les conurbations on peut donc préférer le véhicule à hydrogène.

L’écologie politique entre alors en scène , celle qui s’abstient des réalités scientifiques, techniques et industrielles en ne distinguant que le bien et le mal. Les fossiles et le nucléaire c’est le mal, l’éolien et le solaire c’est le bien. Qu’importe le bilan carbone global des alternatives aux énergies utilisant le vent et le soleil, c’est gratuit, c’est propre, c’est vert. Extraction, traitement des matériaux, construction, maintenance, provenance industrielle, démantèlement… billevesées, on vous dit que c’est vert, propre et gratuit, il faut changer de monde. C’est l’Allemagne qui prend le premier coup de fouet, il faut restreindre puis arrêter le nucléaire et installer partout éoliennes et panneaux solaires… tout en conservant les centrales électriques à lignite ou charbon…temporairement. Entre temps pour sauver l’agriculture on finance des méthaniseurs et on introduit dans le gaz fossile du gaz « vert » hors de prix mais tout le monde est content ! Mais le développement trop important de l’énergie éolienne intermittente conduit, lors des poussées de vent, à disposer de trop d’énergie électrique sur les réseaux allemands, ils essaient de le vendre chez leurs voisins, mais ceux-ci ont le même vent et n’en ont pas besoin, les allemands doivent donc payer les réseaux français pour qu’ils acceptent leur énergie éolienne surabondante. L’idée allemande qui en fait le leader hydrogène du moment est d’utiliser cette énergie éolienne intermittente surabondante pour réaliser l’électrolyse de l’eau, on peut dire que, du point de vue économique c’est une énergie électrique gratuite puisqu’elle est rarement vendue. Les Allemands ont déjà « acheté » leurs éoliennes, ils essaient donc d’optimiser. Le plan Hydrogène allemand n’est donc pas un plan d’avenir de l’humanité mais une façon de récupérer un peu de flexibilité après avoir commis l’erreur d’un développement trop important des énergies intermittentes.

Pour nous, Français, si nous maintenons notre programme nucléaire nous n’avons aucun intérêt à jeter par la fenêtre des milliards sur un programme hydrogène, il faut maintenir notre compétence sur le nucléaire qui revient en force dans tous les programmes énergétiques mondiaux, y compris ceux du GIEC qui nous parlent de l’évolution climatique. Que le groupe Air Liquide veuille travailler à une alternative dans les villes au véhicule électrique, que la SNCF ou la RATP aient envie d’utiliser l’hydrogène, pourquoi pas ? Mais lorsque l’on lance l’avion à hydrogène et que tout le monde s’y accroche, on commence à dérailler. On cherche à diminuer le poids de tout ce qui vole et les réservoirs sous pression sont possibles à transporter… en restreignant le nombre de passagers.

Il n’y a pas d’hydrogène « vert »il faut vérifier le bilan carbone de l’ensemble des filières avant de qualifier de vertueux telle ou telle provenance. Pour « déplacer » un combustible il faut étudier toutes les dimensions, sécurité, pratique d’utilisation, poids, encombrement, coûts et durées de la cohabitation. Nous, en France, nous avons l’énergie nucléaire, cela nous donne une énergie abondante et bon marché qui n’a pas besoin de l’électrolyse de l’eau pour entrer dans des véhicules urbains. Nos sociétés ont décidé de relever le gant de la production de batteries électriques pour éviter leur achat aux pays d’Asie, soutenons les si nécessaire, mais elles peuvent aussi le faire toutes seules puisque c’est leur intérêt !

Le programme hydrogène à 7 milliards serait d’avenir si l’on commettait les mêmes bêtises que les allemands. La réalité s’imposera très vite désormais, l’écologie politique va laisser la place à l’écologie tout court, celle qui n’est pas aveuglée, celle qui n’est pas dans le déni de réalité, les éoliennes ne seront jamais qu’une partie du mix énergétique mondial, leur coût, leur intermittence, et leurs contraintes d’utilisation et de démantèlement les condamnent à la marginalisation. Mais pour la France inutile de poursuivre les programmes engagés, car ce serait encore une fois jeter l’argent par les fenêtres !

Loïk Le Floch-Prigent

crédit photo lejournal.cnrs.fr

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.