Les Huguenots de Meyerbeer Un opéra contre l’intolérance religieuse

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Nous entrerons prochainement dans le mois de la tolérance, mais déjà l’actualité nous rattrape avec des signes inquiétants d’intolérance   entre communautés. Nombreux sont les conflits dans le monde qui ont pour origine ou pour amplificateur les   différences religieuses. Un opéra jadis célèbre et non dénué d’intérêt musical et d’effusions lyriques a marqué son époque en   s’inspirant d’un des épisodes les plus dramatiques des Guerres de Religions, le Massacre de la Saint-Barthélemy.

Après cinq années de réflexion et de travail, Giacomo Meyerbeer donna, le 21 février 1836, les Huguenots à l’Opéra de Paris salle Le Peletier. Son talent s’était mûri, et un abîme sépare cette dernière œuvre de ses débuts. Si l’on y rencontre, comme dans toutes ses partitions, le souci de l’effet, il y est ici plus heureux et plus habilement ménagé. L’inspiration est sincère puisqu’il entend défendre dans cette œuvre l’esprit de tolérance à un moment où apparaît un antisémitisme culturel.

L’opéra fut accueilli avec enthousiasme par le public européen. Seul le jeune Wagner se laissa aller à un pamphlet antisémite aux imprécations nauséabondes dénonçant le Judaïsme en musique.

Meyerbeer un célèbre inconnu
Giacomo Meyerbeer, de son vrai nom Jakob Liebmann Meyer Beer, est né à Tasdorf, près de Berlin le 5 septembre 1791 et mort à Paris le 2 mai 1864. Fils d’un riche banquier juif entièrement assimilé il devient le compositeur d’opéra le plus célèbre et le plus joué au XIXème siècle (avant même Mozart, Verdi ou Wagner). Il rencontre un succès croissant en Italie en écrivant des opéras dans le style de Rossini qu’il considère comme son maître, même si le compositeur italien est de six mois son cadet. Mais c’est en s’établissant à Paris qu’il remporte ses plus grands triomphes avec seulement trois œuvres, Robert le Diable (1831), Les Huguenots (1836) et Le Prophète (1849), considérées comme fondatrices du « Grand opéra français ». Son quatrième grand opéra, L’Africaine, a été créé posthume en 1865.

Il réussit la délicate synthèse entre la technique orchestrale allemande, l’art du bel canto rossinien et le souci de la déclamation française mais cet éclectisme et cet internationalisme lui seront bientôt reprochés par les tenants des écoles musicales nationales.

Pour son temps l’originalité de l’œuvre de Meyerbeer apparaissait multiple : outre la fusion de différents éléments nationaux en un tout inédit et cohérent, Meyerbeer a également contribué au développement du leitmotiv, de la « mélodie continue » et de l’œuvre d’art totale.

En raison de leur succès, ces apports ont été abondamment repris par les compositeurs qui ont écrit des opéras à sa suite, y compris ceux qui le critiquaient le plus farouchement. Mais de nos jour cet aspect novateur n’apparaît plus. Les très sévères critiques relatives à la musique et à la personnalité du compositeur, la montée des nationalismes et de l’antisémitisme dans la deuxième moitié du XIXème siècle ont contribué à l’effacement progressif de ses opéras qui ont été joués de moins en moins souvent après la Première Guerre mondiale. Ils furent même purement et simplement interdits par les nazis.

La renaissance du bel canto italien après la Seconde Guerre Mondiale n’a guère profité à Meyerbeer dont les opéras restent représentés mais avec parcimonie, même si de grands interprètes comme Joan Sutherland, Montserrat Caballé, Marilyn Horne, Franco Corelli ou Placido Domingo ont tenu à ressusciter ses œuvres. De nos jours sa discographie est abondante et un certain renouveau se fait jour grâce à des mises en scènes modernes, intelligentes et éclairantes.

Un drame de l’intolérance
L’auteur du livret Eugène Scribe (1791-1861) a collaboré étroitement avec le compositeur en s’appuyant sur des faits historiques bien documentés. L’idée du Livret est simple. Ce n’est que par l’amour ou l’esprit de tolérance que l’on peut dépasser les violences du fanatisme religieux. Eugène Scribe qui a tant puisé dans l’Histoire pour façonner ses livrets d’opéras avait pour devise : « Ma vision de l’Histoire est comme la lampe magique d’Aladin, si on la frotte il en jaillira peut-être le bon génie de l’amélioration morale du genre humain. » Dont acte…

L’action des Huguenots se déroule en 1572, en Touraine puis à Paris, à la veille du Massacre de la Saint-Barthélemy, sous le règne de Charles IX.

Alors que s’enflamme la guerre religieuse entre catholiques et protestants, le huguenot (adepte de la religion réformée) Raoul de Nangis (ténor) rencontre une belle inconnue à qui il sauve la vie. Mais il ignore que la jeune femme, dont il est aussitôt tombé éperdument amoureux n’est autre que Valentine (soprano falcon). Fille du Comte de Saint-Bris, un prince catholique (baryton) et dame d’honneur de Marguerite de Valois (soprano colorature) sœur de Charles IX qui deviendra reine en épousant le futur Henri IV, elle est déjà fiancée au Comte de Nevers, catholique.

Raoul de Nangis le protestant refuse d’épouser Valentine, persuadé qu’elle est toujours promise au Comte de Nevers. Mais ce faisant, il a offensé les princes catholiques et attisé les dissensions religieuses. Valentine se lamente sur son sort et sur son amour, bien mal engagé, pour Raoul.

Alors que les deux jeunes gens se retrouvent à leurs risques et périls pour un ultime rendez-vous d’amour, Saint-Bris et ses hommes planifient la Nuit de la Saint-Barthélemy, au cours de laquelle les protestants seront massacrés par les catholiques.

La tuerie et ses retombées seront dramatiques : le comte de Nevers est tué, tandis que Valentine, convertie in extrémis par amour au protestantisme, tombe avec Raoul sous les coups de son propre père.

Le style de Meyerbeer, le grand opéra à la française.
Quelles sont donc les caractéristiques du Grand Opéra, fixées définitivement par Meyerbeer et reprises par tous les contemporains, de Verdi à Berlioz et Wagner compris ?

En premier lieu, tout ce qui se rapporte à la grandeur et à la monumentalité : de la tragédie lyrique de Lully, le grand opéra conserve généralement les cinq actes et la présence de ballets – souvent supprimés dans les mises en scène actuelles – mais aussi les décors et costumes incroyablement riches et conséquents, empreints de réalisme, avec des effets scéniques spectaculaires.

Aux nombreux rôles solistes particulièrement exigeants s’ajoutent processions gigantesques et scènes de foules, de beuveries ou d’orgies qui ravissent le public.

Grandeur des sujets également : véritable « fresque » se déroulant le plus souvent sur quatre ou cinq heures, le grand opéra s’inspire principalement de sujets historiques et recherche avant tout l’intensité dramatique.

La musique doit être fidèle au sens des paroles et des situations. En cela, l’apport de Meyerbeer est décisif ; c’est lui qui généralise l’emploi de la « mélodie continue », estompant la frontière entre airs et récitatifs et permettant une plus grande cohérence dramatique.

L’ouverture des Huguenots est par ailleurs construite sur des variations du choral luthérien « Ein’ feste Burg ist unser Gott », (Notre Dieu est une solide forteresse) un Leitmotiv annonçant le sentiment religieux qui reviendra tout au long de l’œuvre.

Parmi les pages les plus célèbres on peut  citer tout spécialement le début du 1er acte avec les chœurs bien mouvementés, les récits élégants du comte de Nevers et l’entrée de Raoul « Plus blanc que la blanche hermine » ; le choral de Luther, dont Meyerbeer a su tirer un excellent parti dramatique ; le grand air de Marguerite de Valois « O doux pays de la Touraine », un monument  du chant  lyrique ; le duo de Valentine et de Marcel au 3e acte, qui est d’une solide architecture et contient des phrases d’une noble et large expression. Le 4e acte dans son ensemble est considéré, comme l’une des réussites les plus puissantes de l’histoire de l’art lyrique.

Quant au duo d’amour entre Valentine et Raoul, il n’existait pas dans la partition initiale prévue pour l’Opéra de Paris, et c’est au cours des répétitions que le grand ténor Nourrit, qui créa le rôle de Raoul, en suggéra l’idée au compositeur. Là encore c’est un grand moment d’effusion lyrique et d’efficacité dramatique de l’orchestration.

Une œuvre archi célèbre tombée dans un semi-oubli.
La création des Huguenots frappa donc l’imagination et le goût romantique. Bientôt, des générations entières de spectateurs allaient applaudir à ce spectacle historique fastueux, devenant l’un des plus grands triomphes de l’art lyrique.

Aujourd’hui encore, le souffle est intact. Dans une musique métissée d’influences allemandes, italiennes, françaises, Meyerbeer ordonne une fresque dont se souviendront Verdi, Wagner, et même Moussorgski. L’œuvre fit la fortune et la renommée de l’Opéra de Paris. Dès lors, la consécration de tout compositeur cherchant à se faire reconnaître dans le domaine lyrique passera par une commande de cette institution prestigieuse parisienne, « la grande boutique » comme disait Verdi.

La richesse orchestrale
Dans les Huguenots, l’orchestre classique s’étoffe d’instruments au registre grave – clarinette basse, contrebasson, ophicléide, tuba – ou aigu – piccolo, cornet, saxhorn. De nouveaux instruments font leur apparition dans cet ensemble, comme le cor anglais ou la harpe, jusqu’ici confinée généralement aux appartements privés. Dans l’Acte I des Huguenots, c’est même une viole d’amour (souvent remplacée par l’alto) qui est destinée à accompagner la romance de Raoul. Ces nombreuses innovations montrent l’intérêt porté par Meyerbeer aux timbres instrumentaux destinés à se mêler aux voix des chanteurs tels des doubles dramatiques.

À propos des Huguenots Berlioz, lui-même grand orchestrateur, écrira dans la Gazette musicale au lendemain de la première :

« Comme instrumentation, comme effets de masses vocales, cette partition surpasse tout ce qu’on a tenté jusqu’à ce jour. L’oreille est éblouie par tant de talent. »

L’intérêt pour les timbres inhabituels ou exotiques enrichit également la palette des percussions et accessoires de l’orchestre romantique, notamment par l’ajout de tambours militaires et de cymbales antiques, de jeux de cloches ou même d’enclumes.

Outre toutes ces caractéristiques, qui demandent des moyens financiers considérables et qui expliqueront pour partie, son déclin au XXe siècle, le grand opéra se distingue des autres genres lyriques par l’obligation d’un livret en langue française uniquement, chanté de bout en bout et porteur d’un sens épique à visées moralisatrices.

Le sens de l’œuvre
La Saint-Barthélemy est l’un des traumatismes les plus marquants de l’Histoire de France, mais aussi de toute l’Histoire européenne. A ce propos l’historiographie actuelle a évolué sur la nature de ce drame. Faute de sources, les historiens sont longtemps restés partagés sur le rôle exact de la couronne de France, et la tradition historiographique a fait du roi Charles IX et de sa mère, Catherine de Médicis, les principaux responsables du massacre. Ils retiennent aujourd’hui que seuls les chefs militaires du parti protestant étaient visés par l’ordre royal. Dès le matin du 24 août, Charles IX ordonne l’arrêt immédiat des tueries mais, dépassé par l’acharnement des massacreurs, il ne peut les empêcher. « Il est difficile d’arrêter la vacherie humaine lorsqu’elle est en marche ! » disait Céline.

Ce massacre a contribué à forger certains aspects de notre identité culturelle et a montré que l’Europe « cultivée » pouvait être aussi un terreau favorable au fanatisme religieux, à l’expression de tous les excès d’une violence monstrueuse.

L’amour malheureux des deux jeunes protagonistes n’est là que pour souligner l’horreur du fanatisme idéologique, une des plaies de l’Occident, qui n’a pas autorité pour donner des leçons au monde contemporain.

En tant que protestant Raoul tient les catholiques pour responsables de ce que son aimée Valentine soit promise à un autre. Sa raison semble prisonnière des bornes fixées par ses convictions religieuses. Au départ l’amour ne parvient pas à dépasser ces a priori. Ce qui est touchant, c’est que, par la suite, les amants parviennent à s’extraire de ce carcan, à abattre les murs de cet enfermement. On ressent alors une forme de contraste entre la violence et la stupidité des masses que l’on manipule aisément, et le moment de vie et d’intimité des amants, qui créent leurs propres armes pour s’opposer à cette domination religieuse et adopter une position éthique et morale.

Ce que Meyerbeer veut transmettre c’est la force de l’amour, seule capable de dépasser les fanatismes.

Nous vivons aujourd’hui à une époque où la manipulation des masses par l’utilisation de motifs supra-religieux est plus que jamais d’actualité. La leçon des deux héros de l’opéra devrait inciter à une meilleure prise de conscience de la dangerosité de nos certitudes idéologiques.

Cet opéra plonge donc dans un passé plus proche de nous que ne l’est le règne de Charles IX. L’œuvre se prête facilement à diverses relectures scéniques, dans un avenir intemporel où l’humanité serait proche de sa disparition. De fait, nous observons que l’insensibilité à la douleur de l’autre, la politique d’épuration raciale, le terrorisme et sa répression et l’enchainement des violences dans l’horreur de quelque côté que ce soit, semblent condamnés à se répéter.

Les Huguenots sont une forme d’éternel retour, comme si l’Histoire était toujours recommencée, comme si ce que nous vivons actuellement était un mauvais présage pour les temps à venir. Tous nos actes, bons ou mauvais auront des échos positifs ou négatifs pour les générations à venir.

Reste alors seulement l’urgence du vivre ensemble à travers nos différences. Il y aura toujours des Raoul et Valentine pour nous le rappeler et pour nous mettre en face de nos responsabilités.

Jean-François Principiano

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