L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel

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Le mystère poétique de l’enfance

Colette et Ravel

La réflexion sur l’enfance semble être au centre des préoccupations de nos contemporains. Qu’est-ce au juste que l’enfance ? Cet univers mystérieux et ambiguë comme disait Colette. Pour illustrer et prolonger cette pensée du grand écrivain nous avons voulu ouvrir le livre du merveilleux en proposant à nos amis d’Opéravenir L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel. Un conte où le fantastique s’invite à chaque page pour le bonheur de tous. Une féérie pour une plongée dans cet univers envoutant où la musique rejoint la nostalgie du monde de l’enfance.

Un récit onirique
Puni par sa mère pour sa paresse, l’enfant pique une colère. Il déchire et déchiquette tout ce qui lui tombe sous la main : livres de contes, animaux, meubles, murs tout y passe. Rêvant peu à peu, il voit apparaître en songe tous les objets et les animaux de sa maison qui prennent vie. Le Fauteuil se met à chanter, la Théière danse, l’Horloge tambourine, l’Arithmétique le poursuit de ses calculs…Quand il pénètre dans le jardin, il rencontre alors toutes les bêtes qu’il a martyrisées. Conscient alors de ses fautes, l’enfant panse la plaie d’un écureuil et se fait alors pardonner de tous les animaux. Au moment de retrouver sa maman, il est accompagné par le cortège féérique de toutes les bêtes réunies…

Les personnages sont nombreux et chacun correspond à un chanteur et  à un type de voix  L’Enfant, mezzo-soprano ; la Maman, contralto ; La Bergère, soprano ; La Tasse chinoise, mezzo-contralto ; Le Feu, soprano léger ; La Princesse, soprano léger ; La Chatte, mezzo-soprano ; La Libellule, mezzo-soprano ; Le Rossignol, soprano léger ; La Chauve-Souris, soprano ; La Chouette, soprano ; L’Écureuil, mezzo-soprano ; Une Pastourelle, soprano ; Un Pâtre, contralto ; Le Fauteuil, basse chantante ; L’Horloge comtoise, baryton ; La Théière, ténor ; l’Arithmétique ténor léger ; Le Petit Vieillard, ténor léger ; Le Chat, baryton ; L’Arbre, basse ; La Rainette, ténor ; Le Banc, le Canapé, le Pouf, la Chaise de paille, chœur d’enfants ; Les Chiffres, chœur d’enfants ; Les Rainettes, les Bêtes, les Arbres, chœur.

Une longue genèse
Écrit en 1920 par Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye dans l’Yonne et morte le 3 août 1954 à Paris, le livret de l’Enfant et les sortilèges devait servir au départ d’argument à un ballet. Mais Ravel conquis par la poésie du texte le transforma en Opéra en 1920.

Le compositeur mit quatre ans pour terminer cette pièce majeure de son répertoire. Inventive, parodique, lyrique, sa musique épouse à merveille ce conte chargé de fantaisie et d’imaginaire.

En 1925 l’œuvre est éditée à Paris par Durand et Cie. Elle est aussitôt jouée en première mondiale à l’Opéra de Monaco. Le succès est immédiat et éclatant. Puis, en 1926, à l’Opéra-Comique a lieu la première parisienne, avec des représentations parfois houleuses. L’œuvre sera reprise de nombreuses fois à travers le monde dès 1926.

Le sens de l’œuvre
Deux parties la composent correspondant aux deux comportements de l’enfant. La méchanceté et la violence puis le sentiment de culpabilité et le repentir.

La musique mélange les styles et les formes musicales : menuet, habanera, air d’opérette, ragtime, musette, music-hall, jazz, air de bravoure, polka, valse, fugue …

Le scénario analyse avec finesse le monde de l’enfance : l’aveuglement inconscient de l’enfant puis la prise de conscience, bien que douloureuse qui permet le retour vers la mère et l’apprentissage de la vie. L’œuvre pose donc le problème du passage délicat à la maturité avec l’acceptation des contraintes et frustrations inhérentes à l’éducation.

On se souvient que Colette a écrit un des plus beaux livres sur l’enfance avec Sido paru en 1930, véritable éloge de la Mère « être inspiré qui communique avec les forces cosmiques ».  Le charme mystérieux du texte de Colette a sans doute stimulé l’inspiration de Ravel qui venait de perdre sa mère en 1917 alors qu’il était à la guerre. La nouvelle du décès de celle qui avait toujours encouragé sa vocation le plongea dans un grand désespoir. Profondément abattu il devait mettre plusieurs années à surmonter son chagrin.

L’originalité musicale de l’œuvre
Ravel déclara en 1925 : « La partition de L’Enfant et les Sortilèges est un mélange très fondu de tous les styles de toutes les époques, de Bach jusqu’à… Ravel… !  Cela va de l’opéra à l’opérette américaine, en passant par le jazz-band ! »

En effet, la partition apparaît comme une sorte de florilège de pastiches musicaux permettant à Ravel de prendre ses distances avec la tradition, sans totalement s’en détourner. Comme toujours chez Ravel l’orchestration est riche, variée et rutilante, spécifique à chaque style musical. Tous les pupitres sont sollicités. Voici quelques-uns de ces pastiches

Le Menuet, danse à trois temps du XVIIe siècle est utilisé dans la scène du Fauteuil.

Le Ragtime de la Théière et de la Tasse, sur une parodie « orientale » utilisant un mode pentatonique (de cinq sons). Ravel montre ici son goût pour le jazz nouvellement arrivé en Europe, ainsi que pour l’exotisme.

L’air à vocalises d’une extrême difficulté est dévolu au Feu, dans la tradition du bel canto.

Le Pastiche d’une chanson de la Renaissance avec le Pâtre et la Pastourelle sur un ostinato rythmique, et un bourdon.

La Parodie d’écriture à la manière de Massenet ou Puccini dans l’intervention de la Princesse par un épanchement lyrique mettant en valeur la voix et un réalisme dans l’expression des émotions sous-tendue par une orchestration contrastée (allant de l’instrument seul au tutti d’orchestre).

La magnifique Fugue à la fin de l’œuvre symbolise la réconciliation de tous les personnages tout en rendant hommage à la grande tradition d’écriture occidentale, Johann Sebastian Bach en tête.

Il y a aussi beaucoup d’humour dans cette fantaisie lyrique comme lors du « Five O’ Clock », le morceau dans lequel la Théière, avec son flegme très britannique, prend vie, sur un rythme de comédie musicale américaine. L’enfant espiègle regarde avec admiration le swing sensuel de cette ancienne céramique, et Ravel bâtit la mélodie principale sur un fox-trot plein d’ironie, qui joue avec un grand raffinement sur les combinaisons de timbres étranges : clarinette basse, grosse caisse, cors, xylophones, caisse claire.

Les mêmes remarques s’appliquent au duo entre le Fauteuil et la Bergère, à l’allure à la fois dansante et mécanique, aux onomatopées de la Rainette ou de la Chauve-souris, enfin aux miaulements langoureux de la Chatte et du Matou de plus en plus excités.

Dans la deuxième partie, après une merveilleuse transition orchestrale arachnéenne, l’Enfant se rend compte de ses erreurs en entrant en contact avec un monde qui vit et qui respire avec lui, le chant devient alors encore plus lyrique

Par exemple la mélodie du cor, dans la scène des grenouilles, conserve tout le caractère des appels nostalgiques en plein air que la génération romantique avait confié au timbre du cor, métaphore sonore d’un désir vers l’infini.

Le concertato de la Libellule, se promenant à travers une valse triste, nous donne l’impression d’éprouver toute la douleur d’un amoureux à la recherche de sa compagne et rappelle la mélancolie de la dernière des Valses nobles et sentimentales, un des premiers succès de Ravel en 1911.

Enfin le final en forme de fugue, avec la poésie chorale des animaux qui se rassemblent dans la célébration de l’amour est l’aboutissement d’une recherche sur l’intériorité des personnages, qui va peut-être au-delà d’une « rhapsodie entomologique » comme l’écrit Jankélévitch dans sa biographie de Ravel.

La magnificence de cet état émotionnel auquel nous aboutissons progressivement, se ressent déjà dans l’intervention de l’Horloge. Les paroles que Colette lui fait prononcer sont d’une grande profondeur.

« Moi, moi qui sonnais des douces heures
Peut-être que,
S’il ne m’eût mutilée,
Rien n’aurait jamais changé
Dans cette demeure.
Peut-être qu’aucun
N’y fût jamais mort…
Si j’avais pu continuer de sonner les heures !
Toutes pareilles les unes aux autres. »

Sur les paroles « Moi, moi qui sonnais des douces heures », c’est-à-dire quand la pensée remonte vers le passé, vers la vie d’une maison heureuse dans laquelle l’Horloge a participé à chaque instant, jaillit une mélodie affectueuse, dans laquelle on peut percevoir nettement quelques échos de l’opéra italien.

Il s’agit seulement d’une allusion, mais qui est suffisante pour donner à l’horloge un cœur qui bat, qui souffre comme un vieux monsieur, arraché avec violence à la régularité de ses habitudes quotidiennes.

Pour découvrir ce petit chef d’œuvre (45 minutes à peine) de la musique française nous avons choisi la version de l’Opéra de Lyon sous la direction de Louis Langrée avec une pléiade d’excellents chanteurs dans la mise en scène éclairante de Philippe Sireuil.

A partager sans contrindication avec vos enfants ou petits-enfants si vous avez la chance de les entrevoir pendant ces vacances de février.

Jean-François Principiano

 

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