L’empire des sens en toute liberté !

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Japanese Nagisa Oshima poses during the photocall of his movie « Gohatto » (Taboo), 16 May 2000 in Cannes. The movie is presented today in competition at the 53rd Cannes Film Festival. AFP PHOTO JACK GUEZ

Projection du splendide film  franco-japonais réalisé par Nagisa Ōshima, sorti en 1976.

Pour 4 euros le théâtre Liberté offre aux toulonnais l’opportunité de revoir ce grand film pornographique sorti en 1976 qui a fait scandale mais tout aussitôt est devenu culte. Dans le cadre de son Théma sur le corps, la direction a  choisi en remplacement d’un autre film,  le chef d’œuvre de Nagisa Oshima Jeudi 10 janvier – 19h30 theatreliberte.com

 

Un fait divers scandaleux
Le film d’Oshima est inspiré d’un fait divers historique. Dans le Japon militariste de 1936, un couple défraya la chronique en vivant une passion charnelle extrême. Sada Abe, ancienne geisha devenue prostituée puis servante, et son amant Kichizo s’entraînèrent mutuellement dans une spirale érotique qui les coupa progressivement du monde extérieur. Cette histoire se termina par l’arrestation de Sada Abe, retrouvée errante depuis plusieurs jours dans les rues  de Tokyo avec le sexe de Kichizo qu’elle avait auparavant mutilé.

Un film pornographique de qualité
Échappant à la médiocrité artistique du genre, l’Empire des Sens lors de sa sortie en salle au Japon, en 1976, provoqua un vrai scandale en raison de son caractère pornographique. Il fut  censuré dans son pays d’origine : scènes coupées, zones de flou sur les parties intimes, comme il est d’usage au Japon.

Un succès mondial
Malgré les risques de censure, et grâce à la coproduction française, assurée par Anatole Dauman, le film fut diffusé dans le monde entier et connut un grand succès. L’Empire des sens fut présenté au festival de Cannes 1976, lors de la Quinzaine des réalisateurs qui n’osa pas l’inscrire à son palmarès.  Néanmoins, en juillet 1976, la police perquisitionne dans les locaux de la maison d’édition  Shobo et au domicile du cinéaste. Le scénario du film et plusieurs photos de plateau, sont saisis. En vertu de l’article 175 du code pénal japonais, l’éditeur Takemura Ajime et Nagisa Ōshima seront accusés d’obscénité et poursuivis par le Parquet. Leur procès commencera en décembre 1976, et trois ans plus tard, après vingt-trois audiences, un jugement favorable aux deux accusés sera rendu.

Les limites de l’érotisme
Bien plus qu’un simple porno, le film pose la question des limites de l’érotisme. Il insiste sur les relations entre raison et passion. Il peut être vu comme une illustration de la phrase de Georges Bataille : « De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort. » Mais si Bataille y voit une célébration ultime de la vie, la soumission aux sens, à travers l’érotisme et l’hédonisme, peut aussi être perçue comme une déviance, perverse et morbide, qui isole et coupe du monde, une impasse.

Toujours est-il que cette voie extrême mène l’héroïne à une forme de bonheur, même si cela implique la mort de l’homme qu’elle aime et à la folie pour elle-même. Le réalisateur japonais se garde bien de tout jugement moral quant à cet amour fou et finalement meurtrier, précisant ainsi : « Associé à Sada, le mot de meurtrière me choque comme il étonnerait tout Japonais. Si, au départ, Sada et Kichizo semblent n’être que des libertins, ils s’acheminent néanmoins vers une forme de sanctification dans un délire quasi mystique. »

La pornographie comme mystique
La traduction du titre japonais en français fait référence à l’essai  célèbre de Roland Barthes intitulé L’Empire des signes, publié en 1970. Le  titre original en japonais (Ai no corrida, littéralement « Corrida d’amour ») correspond davantage au propos d’Oshima, qui considère qu’entre l’amour, la passion physique, la jouissance née du plaisir sexuel et la mort, il y a « un lien indissoluble. » Dans l’extase de l’amour, les deux protagonistes meurent pour renaître ; et il ajoute, rejetant ainsi toute équivoque quant au sordide ou macabre de son esthétique : « Je rêve depuis toujours de confondre rêve et réalité. » C’est dans ce sens qu’il défendit le film dans son plaidoyer, au moment de son procès à Tokyo en 1978, insistant avant tout sur la dimension amoureuse de cette histoire. La poursuite de la jouissance absolue s’apparente à une fusion totale  des deux partenaires cherchant à se diluer l’un dans l’autre jusqu’à l’extase.

Notons que jeudi 10 janvier le film sera projeté dans sa version intégrale en japonais et qu’il restera réservé aux adultes de plus de 16 ans. Bonne dégustation !

Jean-François Principiano

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