Le Savetier virologue

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Ah les romains, ils sont bien utiles pour comprendre le monde actuel ! Prenons par exemple un de leur proverbe préféré « Sutor, né supra crepidam ! »   Savetier ne juge pas au-dessus de tes savates !

Pline l’Ancien

Dans son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien raconte une belle anecdote très édifiante.

Il paraît, selon lui, que le peintre grec Apelle, célèbre pour sa recherche de vérité dans la reproduction, lorsqu’il exposait ses peintures devant son atelier dans la rue, avait coutume de se tenir derrière ses tableaux et d’écouter les commentaires des passants.

Un jour un savetier qui passait dans la rue critiqua la manière dont il avait peint une sandale : dans la nuit qui suivit, l’artiste retoucha l’œuvre.

Le savetier, constatant le lendemain les changements apportés, et fier de ce que son jugement ait ému le peintre, se mit à critiquer le dessin de la jambe, la longueur du cou, la forme des oreilles … Alors Apelle bondit de derrière son tableau et lança au savetier : « Sutor, ne supra crepidam » (Savetier, pas plus haut que la savate !) ou Ne sutor ultra crepidam (que le cordonnier ne juge pas au-delà de la sandale).

On notera combien cet apriori est d’ailleurs vexant pour tous ceux qui peuvent, bien sûr, apprécier une œuvre d’art sans être eux-mêmes des artistes.

En fait cet adage vise surtout ceux qui veulent parler en connaisseurs de choses qui ne relèvent pas de leur compétence. Le conseil devint proverbe, et on appelle ultracrepidarianistes ceux qui, tel le savetier de Pline, veulent donner leur point de vue sur des sujets qu’ils ignorent. Parler avec assurance de choses qu’on ne connaît pas, c’est l’ultracrépidarianisme.

Quant à Pline, il a eu tort de se moquer des savetiers car lorsqu’il voulut observer de près l’éruption du Vésuve à Pompéi, il tomba dans la lave en feu et on ne retrouva de lui que… sa savate.

20 millions de virologues en France
Avec la pandémie et grâce aux réseaux sociaux, il y a désormais en France près de vingt millions d’ultracrepidarianistes qui s’autoproclament « virologues spécialistes ». Récemment on pouvait lire sur le net la déclaration suivante « La vaccination favorise la pandémie car elle excite le virus qui veut davantage nous contaminer » ; ou encore que le virus serait transmis par les ondes de rayonnement de la 5G affaiblissant le système immunitaire et favorisant l’infection ou que  le virus aurait été fabriqué par l’institut Pasteur ou bien qu’il se transmettrait par la nourriture chinoise etc, etc…Toutes ces opinions ont été pour la plupart formulées par des « experts ».

L’art de parler de ce que l’on ne connaît pas

Dans la collection « Tracts » de Gallimard deux courts ouvrages d’Etienne Klein « Le goût du vrai » et « Je ne suis pas médecin mais je… », questionnent la place de la science dans notre société, son rapport avec le politique notamment. Le physicien et philosophe des sciences rappelle que le biais cognitif, qui conduit les moins qualifiés dans un domaine à surestimer leur compétence, a été étudié à la fin du XXeme siècle par les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger. Ce biais est connu sous le nom d’effet Dunning-Kruger. Mais il y a bien plus grave. Les hommes préfèrent suivre majoritairement les idées fausses qui leur paraissent simples à comprendre.

La loi de Brandolini
En 2013 Alberto Brandolini énonce la loi de l’asymétrie entre la fausse nouvelle et la vérité : la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des erreurs est d’un ordre de grandeur supérieur à celle nécessaire pour les produire. Il constate par ailleurs que les fake news provocatrices se propagent sept fois plus vite que les infos reconnues et vérifiées. Brandolini souligne trois asymétries :

L’Asymétrie de l’impact : la diffusion assure à la fausse nouvelle un impact bien plus élevé que tous les désamorçages qui suivent.

L’Asymétrie de la mémorisation : les traces laissées dans la mémoire par la fausse nouvelle sont bien plus profondes que toutes celles laissées par les informations qui viendront ensuite la démentir.

L’Asymétrie de la révélation : celui qui propage la fausse nouvelle est porteur du prestige de la révélation, tandis que celui qui tente de ramener à la raison est perçu comme un médiocre rabat-joie.

Il est donc plus facile de diffuser une idée fausse que de rétablir la vérité.

Jean-François Principiano

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