Le bleu Monory à  la Fondation Maeght

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Les amateurs de peinture ont été les premiers frustrés par la pandémie. Jauge des salles réduites, annulation en tous genres, déprogrammations diverses, interdictions préfectorales. Certaines expos ont résisté, c’est le cas de celle de la fondation Maeght à Saint Paul de Vence.

Une rétrospective attendue
Initialement prévue au printemps 2020, la Fondation  présente du 1er juillet au 22 novembre la première grande exposition monographique de Jacques Monory depuis sa disparition en octobre 2018. Une rétrospective attendue qui revisite soixante ans de carrière du peintre le plus explicite du mouvement de la Figuration Narrative.

Dans ce lieu magique un petit groupe d’Opéravenir a pu découvrir le monde onirique de cet artiste majeur. De tous les peintres dits de la Figuration narrative, Monory aura sans doute été le seul à être pleinement narratif. Parfois hyperréalistes, les scènes énigmatiques qu’il peint et qu’il juxtapose forment comme le journal de bord hanté d’un peintre qui chaque jour s’interroge sur la réalité du monde. Le bleu qui l’a rendu célèbre, qu’il soit monochrome, ou qu’il accueille d’autres couleurs du spectre, est la couleur de ce doute. Il agit comme un voile onirique et comme une mise à distance.

Bien installés sur les murs du bâtiment conçu par l’architecte catalan Josep Sert une cinquantaine de panneaux plus quelques petits formats nous introduisent dans sa vision de notre époque. Certaines inspirations  picturales sont liées à son amour du cinéma américain, d’autres subliment la violence et ses explosions urbaines. Un certain lyrisme se dégage de ce culte du monochrome et surtout de cette tentation narrative irrépressible.

Un artiste désengagé
Né à Paris en 1923 Jacques Monory entre à l’école des arts appliqués de Paris pour entreprendre des études de peintre décorateur. Il travaille comme illustrateur dans l’édition et découvre la photographie. Il expose à Paris à partir de 1955. Au début des années 1960, au moment où se développe le pop art aux États-Unis, il s’oppose à l’abstraction pour remettre l’histoire humaine au centre de ses tableaux. Il ne travaille pas d’après nature, mais s’en remet à la littérature, à sa mémoire, et aux prises de vue photographiques qu’il collectionne comme autant de modèles auxquels il se réfère pour composer ses sujets. Comme les pop-artistes, Il scrute la société de consommation à travers la photographie publicitaire qu’il recycle dans ses toiles. Le cinéma et la littérature (aventure, science-fiction et policière) sont au centre de son travail. Il peint des séries, développement d’une seule pensée, comme les 22 pièces de 1968 intitulées Meurtre. Ses toiles des années 70 affirment la supériorité de la vision subjective : la « figuration narrative » Elles se situent à l’opposé du paysage peint sur le motif et optent pour  le désengagement et la distanciation. Artiste chaleureux et discret, fuyant les éclats, Jacques Monory  est décédé le 17 octobre 2018.

Domestiquer l’angoisse
Prévues à l’origine, pour protéger, les  villes sont devenues des lieux de violence sacralisée ou l’angoisse des hommes tissent une vascularisation d’inquiétude. L’art peut-il domestiquer ce sentiment de solitude au milieu de la foule en le sublimant dans un méta langage pictural ? C’est  ce choix et cette démarche qui  nourrissent l’art de Monory. Certains critiques parisiens ont éreintés son œuvre  « peinture  narrative ringardisée ». On pourrait en dire tout autant de tout artiste pris dans le vortex du temps qui passe. J’ai plutôt le sentiment que Monory est un témoin et qu’à ce titre la geste de sa vie et de son art nous renvoient, comme un miroir déployé dans le bleu d’un azur espéré, les manifestations de nos angoisses domestiquées. C’est ce qui rend cette exposition essentielle.

Jacques Monory Fondation Maeght jusqu’au 20 novembre. La Fondation Maeght conserve dans ses collections trois peintures de Jacques Monory, Pompéi (1971), Dream Tiger n°4 (1972) et Tigre n°5 (2008).

Infos La Fondation Maeght +33 (0)4 93 32 81 63 / info@fondation-maeght.com

Jean François Principiano

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