Comme tous les jeudis de cette période de confinement Opéravenir vous propose de découvrir une œuvre lyrique peu connue L’Ami Fritz de Pietro Mascagni (1891) ainsi que le roman qui l’a inspiré l’Ami Fritz d’Erckmann-Chatrian (1868).
Le chef d’œuvre intimiste de Mascagni
Si Pietro Mascagni est surtout connu pour l’opéra en un acte Cavalleria Rusticana, on a dit un peu trop rapidement qu’il n’avait rien écrit de valable après ce succès de jeunesse, et qu’il «était, comme Leoncavallo le compositeur d’une seule grande partition. » On a ainsi oublié son deuxième opéra, une partition importante qui a connu un grand succès à sa création mais qui est complétement différente du vérisme de Cavalleria Rusticana. C’est tout le contraire de la violence de son premier opéra.
Né à Livourne en 1863 et mort en 1945 à Rome, Mascagni a produit une œuvre à la charnière du XIX° et du début du XX° siècle. L’Ami Fritz, considéré comme son opéra le plus personnel, a été créé à Rome le 31 Octobre 1891 par Emma Calvé célèbre interprète du rôle de Carmen.
Erckmann-Chatrian un couple littéraire injustement oublié.
L’opéra est une adaptation du roman d’Erckmann-Chatrian. Émile Erckmann, né le 20 mai 1822 à Phalsbourg et mort le 14 mars 1899 à Lunéville, est un écrivain français. Il est plus connu sous le nom de plume commun d’« Erckmann-Chatrian » qu’il partageait avec son ami Alexandre Chatrian. Son œuvre exalte la vie simple et heureuse des deux provinces, l’Alsace et la Lorraine juste avant la Guerre de 1870 et leur annexion par l’Allemagne.
L’ami Fritz est ainsi une chronique sentimentale qui se déroule en Alsace, dans laquelle diverses communautés vivaient en bonne harmonie : anabaptistes, protestants, juifs, tziganes, catholiques. Le personnage de Fritz est l’incarnation de cette entente. Il ne se préoccupe que de bien vivre, en amitié généreuse avec ceux qu’il aime. Malgré son tempérament de célibataire endurci, il succombera aux charmes de la jeune et jolie Suzel. Dans cette œuvre l’amour couronne l’amitié et la tolérance.
L’Amico Fritz une œuvre humaniste
Nous sommes en Alsace en 1860. Le jour de son anniversaire, Fritz Kobus (ténor) un jeune propriétaire terrien au cœur généreux accepte de financer la dot de deux jeunes amoureux du village que son ami le rabbin David Sichel (baryton) souhaite marier. Pourtant, Fritz a le mariage en horreur. Deux autres amis, Hanezo et Federico font leur apparition. La Gouvernante Caterina invite ces messieurs à passer à table : David décide pourtant d’aller sans attendre avertir les futurs époux de leur bonne fortune, non sans avoir prédit à Fritz qu’il se marierait un jour, malgré ses actuelles réticences (« Ma questa è una pazzia »).
La fille du fermier, Suzel (soprano), est alors annoncée : elle offre au maître des lieux un bouquet de fleurs pour son anniversaire. Pour l’en remercier, Fritz la convie à partager leur repas (« Son pochi fiori, povere viole »). Soudain, un air de violon retentit, attendrissant l’ensemble des protagonistes (« Chi mai sarà ? Lo zingaro ! ») : C’est le dernier convive, le tzigane Beppe, (interprété par une mezzo) qui vient saluer son ami. Il chante une chanson en hommage à la générosité de Fritz (« Laceri, miseri, tanti bambini »). Alors que Suzel rentre chez elle, David promet de la marier sous peu et prédit que Fritz sera son époux. Fritz s’en défend et parie sa vigne qu’il ne se mariera jamais. (« Per voi, ghiottoni inutili »). Des orphelins de la ville défilent alors sous les fenêtres pour remercier Fritz, leur bienfaiteur.
Dans la cour de la ferme des Mésanges, Suzel cueille des cerises pour Fritz, le propriétaire du domaine, qui doit bientôt venir en visite (« Ah ! Le belle ciliege ! »). Ce faisant, elle chante une romance narrant l’amour de deux jeunes gens (« Bel cavaliere, che vai per la foresta »). Fritz paraît et se montre attendri par la voix de Suzel (« Fresche scintillano »). Le célèbre duo qui s’en suit, d’une grande délicatesse d’écriture harmonique, chante la douceur du mois d’Avril propice à l’éveil de l’amour.
Les amis de Fritz (Beppe, Fréderic et Hanezo) entrainent Fritz dans une promenade, laissant David seul avec Suzel (« Oh ! Chi è che giunge ? »).
Suzel offre de l’eau fraiche à David. Ce geste lui rappelle l’épisode du serviteur d’Abraham, Eléazar venu choisir une fiancée pour son fils Isaac. Se comparant au serviteur, il demande à Suzel quelle serait sa réponse si Fritz la choisissait pour épouse. Devant la réaction de la jeune fille, David déduit qu’elle aime Fritz et se montre confiant dans sa capacité à les marier bientôt (« Vediamo un po’ ! »).
Pour sonder les sentiments de Fritz il lui fait croire qu’il s’apprête à marier Suzel à un jeune homme du village. Fritz en est troublé et décide de fuir Suzel pour ne pas en tomber amoureux. La jeune Suzel fond en larmes dans les bras de David en constatant le départ de Fritz (« Quale strano turbamento »).
Au troisième acte, Fritz est seul et en proie à la mélancolie : Suzel lui manque, et il constate que l’amour s’est emparé de lui (« Tutto ho tentato, tutto »). Beppe, qui vient à sa rencontre, identifie immédiatement son mal et lui chante un air qu’il a lui-même composé pour se guérir d’un chagrin d’amour (« O pallida, che un giorno »).
Resté seul, Fritz médite sur la beauté de l’amour, fièvre fatale du genre humain (« O amore, o bella luce del cuore »). David paraît justement, pour lui demander d’approuver le mariage de Suzel : Fritz s’emporte et refuse de donner son consentement. David exulte secrètement en constatant cette réaction d’amour. Suzel demande à voir son maître : avant de quitter les lieux, David sèche ses larmes et lui promet le bonheur pour bientôt. Pourtant, Suzel reste désespérée (« Non mi resta che il pianto »). Elle explique à Fritz que son père a décidé de la marier contre son gré à un fiancé dont elle ignore l’identité et qu’elle refuse. Fritz promet de la protéger et lui révèle son amour (« Suzel ! Signor ! Come s’è fatta pallida ! »). David les surprend, criant victoire : la vigne, qui était l’enjeu du pari, est offerte en dot à Suzel. Déjà David promet de trouver des femmes à Hanezo et Federico (« Amici, ho vinto, ho vinto ! »).
L’œuvre s’achève par un hymne à l’amour vainqueur qui fait de la vie un paradis ! « L’amore imparadisa la vita ! »
Jean François Principiano