La vérité sur la villa Noailles à Hyères

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À la recherche des anniversaires confus par François Carrassan

François Carrassan

Lors d’une réunion sur la vie culturelle hyéroise François Carrassan  adjoint à la culture nous a fait parvenir des « notes » sur cette prestigieuse villa, lieu de Festival, de rencontres et de  manifestations de haut niveau. En fait il s’agit bien plus  que de simples  notes, mais d’une  véritable étude d’histoire locale, d’art et de sociologie.

En effet la lecture de ce court texte stupéfiant d’originalité, de clarté, de lucidité et de vérité a de quoi étonner. Il faut dire que François Carrassan est une personnalité incontournable  de la vie intellectuelle hyéroise et de sa mémoire. Écrivain essayiste, philosophe, critique d’art  et surtout passeur de culture c’est un homme impliqué dans la réflexion active et engagée.

Dans ce texte que nous transcrivons dans son intégralité avec son accord, il analyse au scalpel l’aventure de cette villa, de sa pseudo grandeur à son déclin. De sa renaissance  à sa mythisation. Il s’interroge avec subtilité sur le sens de ses divers anniversaires, bousculant certaines idées convenues et dérangeant quelques instrumentalisations postérieures. Sa conclusion est édifiante. Un modèle du genre, un régal de lecture.  Jean-François Principiano

Que faire d’un tel centenaire ?
« Cent ans depuis quand ? Depuis l’Acquisition du terrain le 21 janvier 1923 ? Depuis la Première lettre connue de Noailles à Mallet-Stevens datée du 25 juin 1923 ? Depuis les Premiers plans descriptifs en janvier 1924 ? Depuis le Commencement du chantier en mai 1924 ? Depuis le Premier séjour des Noailles en novembre 1925 ?

Pourquoi pas l’occasion, au-delà des fantasmes et des clichés dont le lieu continue d’être l’objet, de dire le vrai, le vrai de son histoire et de ses acteurs ?

Le vrai d’un centenaire qui est en réalité double, au sens où il n’est que la réunion de deux cinquantenaires séparés.

Un cinquantenaire de 1923 à 1973, celui de la Villa Noailles propriété privée des Noailles, qui va de sa construction à son abandon.

Et un cinquantenaire de 1973 à 2023, celui de la Villa Noailles vendue à la Ville d’Hyères et devenue propriété publique, qui va de sa restauration à sa réutilisation.

Et ce n’est pas la même histoire.
La figure aléatoire des Noailles devrait-elle être à nouveau fêtée au cœur de ce centenaire ? Un gros ouvrage commandité en 2018 a déjà tenté de les immortaliser en « mécènes du XXème siècle ». Mais, dénué de sens critique, il en est ressorti une hagiographie à la gloire d’un couple riche et oisif, impatient de s’amuser, en lequel les auteurs s’émerveillent de voir d’innocents mécènes tous azimuts. Mais c’est un conte de fée pour la veillée des chaumières. Surtout que la Villa d’Hyères deviendrait vite le lieu de leur naufrage.

Un drôle de mécénat selon des hagiographes de service
Mais le plus drôle est que nos hagiographes de service, tout à leur idée fixe, laissent entendre que la vente de la Villa à la Ville en 1973, c’est encore du mécénat. Prétextant qu’elle fut vendue au prix des Domaines. Or c’est faux, selon l’acte de vente lui-même et le fait que le Conseil Municipal dut autoriser l’augmentation de ce prix. Mais ils insistent. Le sens de cette vente n’est pas dans la vente elle-même, car il faut comprendre qu’avec elle le vicomte lègue en réalité « un héritage spirituel ». Et ils osent même le coup du legs « aux générations futures ». « Spirituel » en plus, ce qui ne coûte pas cher. Drôles d’historiens ! Tout ça pour maquiller la vente d’une maison abandonnée. Avec pour finir une chute à l’effet comique garanti : « Et si le vicomte n’effectue certes pas un don, il est possible d’y voir un acte de transmission, si ce n’est un dernier acte de mécénat. » Du mécénat payant en quelque sorte.

Une transmission douteuse
En vérité la villa fut mise en vente au lendemain de la mort de la vicomtesse en 1970. France Soir titra : Le château de Marie-Laure est à vendre. Car, y lisait-on, le vicomte ne tient pas à conserver cette demeure. C’était « le royaume de sa femme ». Depuis les années d’après-guerre, quand les mœurs s’y relâchèrent, loin du temps si bref où l’avant-garde artistique y était accueillie, jusqu’au scandale de L’Âge d’Or. Et puis cela faisait 40 ans que le couple s’y était séparé. La maison fut donc vidée de ses meubles, objets et œuvres d’art, et vendue dans un état de délabrement avancé. Quelle transmission !

Le Monument au Chat
Une seule sculpture ne fut pas emportée : le Monument au chat d’Oscar Dominguez. Du fait certain qu’elle pesait 3 tonnes, mais aussi parce que son auteur, dans les années 1950, fut l’amant officiel de la vicomtesse avec laquelle ils formèrent un couple détonnant digne d’une performance surréaliste.

La ville en devint donc propriétaire et dut l’extraire de la Villa au moment du premier chantier de sa restauration, vers 1988. Elle fut ainsi coffrée et stockée dans une cour municipale dans l’attente d’un lieu à sa mesure. Chose (enfin) faite en 2020, où elle a été installée au cœur du jardin de La Banque le Musée des cultures et du paysage. Créée en 1953, on pourrait fêter ses 70 ans en 2023.

Une architecture défigurée
Mais alors pourquoi ne pas faire de la maison elle-même l’objet d’un tel centenaire ? La première maison construite d’un jeune architecte moderne et raffiné, jusque-là architecte-décorateur de cinéma, Rob Mallet-Stevens. Promis à un brillant avenir, il a été recommandé pour son goût et son imagination au vicomte.

Oui mais voilà, si le vicomte voulait un architecte, il ne voulait pas d’architecture. L’architecte, c’était pour l’image et le standing, et il serait à ses ordres. Le malentendu fut immédiat. Le vicomte fit ainsi démolir en plein chantier une tour qui figurait l’axe central à partir duquel les cubes de la façade devaient se développer. Mallet-Stevens, désemparé, lui écrivit : « Je vous en supplie n’y touchons pas ; j’ai fait des croquis pour m’imaginer la maison sans la tour et l’on obtient alors un ensemble sans relief, sans silhouette et sans expression. » Un jugement sans appel qui pourrait surprendre l’actuel directeur de la Villa émerveillé par « ce lieu magique, extraordinaire de beauté, dont Robert Mallet-Stevens a si bien su ciseler les façades. »

Mais rien n’y fit. Mallet-Stevens dut s’incliner. C’était sa première commande. Malgré quoi des éléments significatifs de son vocabulaire purent s’exprimer et quelques gestes remarquables être produits. Noter ici qu’au-delà du programme initial, les Noailles se sentant à l’étroit, la maison ne cessa de s’agrandir et s’étendit jusqu’en 1932 au gré du terrain, sans plan et sans Mallet-Stevens.

Si bien qu’à l’arrivée, la Villa Noailles reste le nom d’un ensemble hétéroclite, incohérent, sans la moindre unité architecturale. (Photo)

Rien à voir avec la Villa dont Paul Cavroix, à Croix, confierait la réalisation à Mallet-Stevens en 1929. Premier chef d’œuvre de l’architecte qui, laissé libre de son génie et de son geste, réalisa « une œuvre d’art totale ». On ne peut pas tout avoir.

La Ville de  Hyères sauve la Villa
Mais un autre moment de ce centenaire mériterait d’être retenu, par lequel s’ouvre son second cinquantenaire, quand la ville d’Hyères est devenue propriétaire de la Villa actant la chute de la maison historique des Noailles au bout de cinquante ans. Une autre histoire commence dont l’enjeu majeur va être la restauration de ladite maison vendue en piteux état.

Car, après un premier chantier partiel et sans lendemain (1988-1989), la Ville va prendre la décision de devenir le maître d’ouvrage de la restauration de l’ensemble du bâtiment menaçant ruine. Un geste politique radical en faveur d’un chantier qui va s’étendre de 1995 à 2003. J’ai été un acteur de cette restauration. Chargé par le maire d’alors, Léopold Ritondale, de mener toutes les actions utiles à sa réussite, avec le soutien officiel des institutions, et de les défendre devant le Conseil Municipal. Pour mémoire, cette mission a été remplie.

Les partenaires institutionnels mobilisés, un plan de financement public (Etat/Drac, Région, Département, Ville) a été validé et le chantier de la restauration est allé à son terme.

L’Association Villa Noailles
Un projet de réutilisation de la Villa restaurée a dû être défini. Pour le porter, l’Association « Villa Noailles » a été constituée avec Didier Grumbach, son premier président. Le Festival des Jeunes Stylistes (créé à Hyères en 1985) sera le moteur du projet qui reposera sur l’Alliance de l’Architecture, de la Photographie, du Design et des Arts de la Mode. Voté par le Conseil Municipal et approuvé par tous les partenaires.

Quant au directeur de la Villa, son choix a été arrêté au Palais Royal par François Barré alors Directeur de l’Architecture et du Patrimoine. Didier Grumbach m’accompagnait et a été témoin de mon intervention quand j’ai présenté le candidat de la ville, face à un concurrent. C’est ainsi que la candidature de Jean-Pierre Blanc a été retenue. C’était le 22 avril 1999.

Le projet allait pouvoir se réaliser et une nouvelle aventure se vivre à la Villa Noailles.

Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la Culture, est venu en 2003 applaudir cet exploit de la ville d’Hyères. Juste l’année du transfert bureaucratique de la Villa Noailles à la communauté d’agglomération TPM, quand la ville en perdrait la maîtrise.

Conclusion  vérité et lucidité pour une œuvre qui n’a jamais  existé
Aucune histoire n’a jamais coulé à la façon rêvée d’un fleuve tranquille. Celle de la Villa Noailles, avec ses hasards et ses ruptures, comme les autres. Son centenaire, en quête d’un objet culturellement crédible, pourrait être ainsi l’occasion d’un exercice de lucidité. Utile à l’intelligence de son action présente. En sachant qu’on ne peut entrer deux fois dans le même fleuve. Que la Villa de Charles et Marie-Laure a cessé d’exister pour toujours. Que sa restauration n’est pas une résurrection. Et qu’il est vain de faire croire qu’on y serait revenu à la case départ pour y perpétuer une « œuvre » qui, sauf abus de langage, n’a jamais existé. »

François Carrassan.

Sources :

  • Charles et Marie-Laure de Noailles, Mécènes du XXème siècle, Bernard Chauveau, 2018
  • France Soir, 13 février 1970
  • Laurence Benaïm, Marie-Laure de Noailles / Vicomtesse du bizarre, Grasset, 2001, pp. 465-476
  • Cécile Briolle, Rob Mallet-Stevens, Éditions Parenthèses, 1990, p. 41
  • François Carrassan, Une petite maison dans le midi, Éditions de L’Yeuse, 2003, pp. 7-13

crédit photos : villanoailles.com

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