La Flûte enchantée de Mozart : Bonheur et Fraternité

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Si l’adjectif universel a un sens c’est bien avec cette œuvre qu’il faut l’entendre. A la fois divertissement, conte pour enfant et comédie, la dernière grande œuvre de Mozart nous indique le chemin à suivre pour sortir de la forêt obscure comme dirait Dante. Nous invitons nos amis d’Opéravenir à suivre les trois enfants magiques qui nous conduirons assurément vers la fraternité retrouvée et le bonheur partagé.

Un triste contexte
Selon ses biographes, la dernière année de la vie de Wolfgang Amadeus Mozart (Salzbourg 1756 – Vienne 1791) aurait été l’une des périodes les plus tristes de sa vie. Le compositeur devait faire face à de sérieuses difficultés financières : il avait juste de quoi nourrir sa famille et ne parvenait plus à retrouver les faveurs du public viennois qui lui préférait des opéras de Salieri.

Il décida néanmoins de composer avec son ami Emmanuel Schikaneder, directeur d’un théâtre des faubourgs de Vienne, une œuvre pleine de charme destinée à un large public amateur de divertissement à l’image du Singspiel, comédie allemande mi parlée, mi chantée. Intitulée la Flûte enchantée, elle fut inspirée par le conte Lulu Oder Die Zauberflöte extrait de l’anthologie Dschinnistan de Christopher Martin Wieland, elle-même tirée d’un catalogue de contes orientaux intitulé “Djinnistan” (Le pays des Djinns).

Les récits initiatiques abondent dans la tradition persane. Ils retracent la progression de l’être sur la voie spirituelle depuis l’obscurité, synonyme d’ignorance, jusqu’à la lumière source de connaissance. Une voie qui emprunte le chemin menant de l’amour charnel à l’amour véritablement humain, puis divin.

Œuvre initiatique
La Flûte enchantée fait donc partie des grandes œuvres initiatiques de l’Occident. Le voyage mystique de l’être, prêt à abandonner le vieil homme pour l’homme nouveau, en passant par une série d’épreuves qui grandissent celui qui les dépasse.

L’opéra est en fait l’œuvre de trois Frères Maçons : Wieland, Schikaneder et Mozart. Il représente aussi le renouveau de l’opéra allemand dont Mozart a toujours rêvé. Une œuvre populaire et intellectuelle à la fois, son testament spirituel : le livret peut en effet être lu comme une belle histoire pour enfant ou un « guide des égarés » pour adulte dont les clefs des rites maçonniques nous sont en partie dévoilées.

Un récit philosophique
L’œuvre raconte l’histoire du combat entre la Reine de la Nuit assistée de trois Dames et Sarastro grand prêtre de la lumière aidé par trois Garçons. Sarastro, le Zarathoustra de la tradition iranienne est surtout le gardien du disque solaire cher à Akhenaton.

À première vue, le triomphe de Sarastro sur la Reine de la Nuit apparaît comme la victoire des forces masculines lumineuses sur les forces féminines obscures. La vanité et les charmes trompeurs des femmes ne sont-ils pas dénoncés par les frères misogynes dans le livret de Schikaneder ? Mozart a dépeint ici le climat général qui prévalait dans les différents cercles à cette époque, y compris maçonniques. Cependant, que serait l’homme sans la femme ? Que serait Papageno, le chantre des joies de la vie terrestre, sans Papagena ? Que serait Tamino, en proie aux plus hautes aspirations, sans l’amour qui le transporte de joie vers Pamina ?

En fait, Mozart, en digne représentant de la philosophie des lumières du XVIII° siècle donne toute sa place à la femme. Il laisse non seulement Pamina participer aux épreuves initiatiques aux côtés de Tamino, mais en plus il lui confère le rôle de guide sur la voie de la connaissance. Mozart montre ainsi que le principe masculin actif ne peut se développer qu’au sein du principe féminin passif, le seul capable de laisser éclore toutes les potentialités contenues dans l’être. L’un n’est rien sans l’autre. Complémentarité totale.

Une musique irrésistible
L’ouverture comporte deux parties distinctes qui préfigurent la thématique des deux actes : le chaos tendant vers l’ordre, l’obscurité menant à la lumière.
La première partie débute par une ligne mélodique désordonnée décrivant le monde profane (les cinq accords d’un caractère non rituel dépeignent l’homme et la femme en général, c’est-à-dire l’être ordinaire).

La deuxième partie commence par une ligne mélodique ayant la rigueur d’une fugue pour marquer la sortie du monde profane (les trois accords répétés trois fois semblent annoncer l’ouverture des travaux de la loge pour le premier grade)

Dès l’ouverture, Mozart révèle que l’opéra annonce l’initiation au degré d’Apprenti.

Acte 1 : conte de la vie ordinaire
Perdu et poursuivi par un serpent gigantesque, le prince japonais Tamino (ténor) tombe et gît inconscient. Il est sauvé par trois Dames, au service de la Reine de la nuit, (soprano colorature) qui ont coupé le serpent en trois morceaux. Quand le prince revient à lui, il voit l’oiseleur Papageno (baryton) et le prend pour son sauveur. Papageno s’enorgueillit d’avoir tué le serpent, mais les trois Dames le condamnent au silence pour son mensonge.

Les trois Dames révèlent au prince à qui il doit en réalité la vie sauve et lui parlent de Pamina (soprano lyrique), la fille de la Reine de la Nuit. Elles lui montrent son portrait et Tamino tombe immédiatement amoureux de la jeune fille.

La Reine de la Nuit apparaît. Sarastro, le grand Prêtre d’Isis et Osiris lui a dérobé le disque solaire et aussi Pamina, sa fille. Elle ne supporte pas la puissance de Sarastro qu’elle décrit comme l’esprit du mal.

Assoiffée de vengeance, la Reine promet la main de Pamina à Tamino s’il la libère des griffes de l’horrible Sarastro.

Délivré de sa condamnation au silence par les trois Dames en échange de la promesse de ne plus mentir, Papageno accompagnera Tamino dans sa quête. Pour protéger les deux protagonistes au cours de leur voyage, elles donnent à Tamino une flûte magique et à Papageno un petit carillon (Glockenspiel). En outre, trois jeunes Garçons les mèneront jusqu’à Sarastro.

Papageno se retrouve face à face avec Monostatos, le gardien de Pamina. Ils s’effraient l’un l’autre et fuient dans les directions opposées. Papageno trouve Pamina qui s’est enfuie pour échapper aux avances lascives de Monostatos. Il lui révèle qu’un prince follement amoureux va venir la délivrer. Tous deux s’accordent pour chanter la beauté de l’amour. Aucune sentimentalité dans ces mots banals, mais un chant qui les élève tous deux vers l’harmonie universelle. C’est un des moments les plus beaux de la partition.

Pendant ce temps, les trois Garçons mènent Tamino aux trois Temples de la Sagesse, de la Raison et de la Nature. L’Orateur demande à Tamino : “Que cherches-tu dans ce sanctuaire ?”. Tamino déclare « l’Amour et la Vertu ». On notera qu’il ne dit pas « je cherche Pamina » mais qu’il répond « je cherche l’Amour » car l’Amour Universel dont il s’agit ici dépasse de loin l’amour humain.

L’Orateur loue la noble mission de Tamino, mais rejette les griefs portés contre Sarastro. Il n’est pas l’horrible personne décrite par la Reine de la Nuit, mais un grand Sage. Assoiffé de connaissance, Tamino commence à poser des questions et puis à jouer de la flûte enchantée. Ravis, les êtres alentour accourent. Tamino s’émerveille des pouvoirs de la flûte. Et pourtant, Pamina n’apparaît pas. Seul Papageno lui répond sur sa flûte de Pan.

Papageno et Pamina espèrent trouver Tamino avant le retour de Monostatos. Quand l’homme apparaît subitement avec ses esclaves, Papageno joue du carillon et ils dansent autour d’eux complétement envoutés par la musique. C’est aussi un des moments forts de la partition car Mozart veut démontrer la force universelle de la musique, source immortelle de paix et d’harmonie.

Sarastro entre et Pamina lui révèle la raison de sa fuite. Monostatos l’a poussée à s’enfuir. Ce dernier introduit Tamino. Au lieu de la récompense prévue, il est condamné à soixante-dix-sept coups de bâton. Pamina et Tamino s’embrassent.

Sarastro ordonne que Tamino et Papageno soient conduits au Temple de l’Initiation au son d’une marche triomphale.

Acte 2 Une Initiation théâtralisée
Un frère demande si Tamino et Papageno sont prêts à subir une série d’épreuves pour être initiés aux mystères, en commençant par le silence. Tamino n’a aucun doute, mais Papageno hésite. Il change d’avis à la perspective d’une récompense possible en la personne d’une jolie fille répondant au doux nom de Papagena.

De son côté, Pamina doit déjouer les avances de Monostatos. Frustré, Monostatos essaie de courtiser la mère pour obtenir les faveurs de la fille. La Reine de la Nuit donne un poignard à Pamina avec l’ordre de tuer Sarastro et de lui rapporter le disque solaire et son pouvoir.

Les trois Garçons invitent Tamino et Papageno à se régaler. Pamina entre pendant qu’ils mangent. Elle interprète le silence de Tamino qui respecte son vœu et de Papageno qui a la bouche pleine, comme la fin de leur amour. Désormais, la mort est sa seule consolation Désespérée, Pamina brandit le poignard de sa mère, mais les trois Garçons l’empêchent de se suicider.

Les prêtres remercient les Dieux Isis et Osiris de rendre Tamino digne d’être initié. Papageno est heureux d’apprendre qu’il ne rejoindra pas l’assemblée des élus. Tout ce qu’il désire, c’est du vin et une jolie femme. A chacun sa vérité comme dirait Pirandello.

Tamino est amené au pied d’une montagne où coule une chute d’eau et brûle un feu. Tandis qu’il se prépare pour les ultimes épreuves de l’eau et du feu, Pamina accourt pour les partager avec lui. C’est elle qui le guide, comme la Beatrice du Dante pendant les dernières épreuves dont ils ressortent tous deux triomphants.

Papageno est pour sa part toujours en quête de sa Papagena. Il souffle dans sa flûte de Pan et l’appelle par trois fois. N’obtenant pas de réponse, il s’apprête à se pendre. Il est sauvé par les trois Garçons qui lui suggèrent d’utiliser son carillon magique et une vieille femme apparaît. Dès que Papageno se rend à ses suppliques, le charme opère et l’adorable Papagena apparaît. S’en suit un charmant duo qui est un des « tubes » de l’opéra.

Les trois Dames, la Reine de la Nuit et Monostatos envahissent le jardin pour conquérir le royaume de Sarastro. Ils sont rejetés dans les tourments de la nuit éternelle par de violents éclairs. Le combat entre la lumière et les ténèbres devient cosmique sur des accents discordants, laissant place à une envolée musicale rayonnante, scandée par le chœur.

Revêtus des habits rituels, Tamino et Pamina marchent devant Sarastro dans le Temple du Soleil. La lumière a triomphé de l’obscurité et les frères célèbrent l’union de la Force, de la Beauté et de la Sagesse.

Le sens de l’œuvre
Le véritable sens de l’opéra va au-delà des oppositions apparentes mises en avant dans le livret. L’initiation maçonnique n’est qu’un prétexte symbolique qui permet à Mozart de délivrer son ultime message : notre vie a un sens, elle nous ouvre les portes de la connaissance du vrai. Nous sommes un fragment de l’univers d’où nous provenons et où nous retournerons. Tout est Un.

L’œuvre s’adresse à l’ensemble de l’humanité et par extension à la totalité du réel. Elle dévoile les contradictions intérieures de tout être, partagé entre les tentations du monde profane, les pulsions physiques, les aspirations à l’amour et les exigences du dépassement spirituel.

Papageno, Pamina, Tamino et Monostatos ne font qu’Un en réalité et tout l’opéra vise au rétablissement de l’harmonie au sein de cet être englobant, comme dirait Jaspers, qui nous ressemble tant.

Et quoi de plus approprié que la musique pour jouer ce rôle de vecteur-dévoilant !

Mozart nous rappelle qu’il ne tient qu’à nous d’intégrer les aspects physiques, psychiques et spirituels de l’être le long d’un axe vertical reliant la Terre et le Ciel, l’obscurité et la lumière.

Pourtant, malgré son contexte, cette œuvre est hors du temps. Grâce à la musique, Mozart s’adresse aux hommes et femmes de bonne volonté quelles que soient les époques, leurs origines et cultures (comme le montre les premières images du film de Bergman). Car la musique est un langage universel. À l’image de la flûte magique qui est au cœur du récit, la musique qui est au cœur des hommes doit « changer les passions. L’affligé sera tout joyeux, le solitaire tombera amoureux » la musique seule peut ainsi accroître « la joie et le bonheur des hommes » (acte 1, scène 8).

Pour s’engager sur ce chemin du bonheur à la recherche de la sérénité, nous avons choisi pour les amis d’Opéravenir, la version du Film de Bergman bien qu’elle soit chantée en suédois avec sous titres français.

Elle correspond exactement à l’esprit mozartien : simplicité, pureté, spiritualité. Les bonus qui suivent permettent d’en apprécier par ailleurs les grands moments musicaux dans des interprétations de grande qualité vocale. Place à la fraternité à travers la musique !

Jean-François Principiano

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