La beauté tragi-comique de la déchéance

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Toulon Théâtre Liberté Vader de Franck Chartier
Vader en néerlandais veut dire père, mais tout aussi bien vieillesse. En deux représentations controversées au Liberté ce spectacle clivant s’est imposé, selon nous, par sa force et sa beauté.

Nous sommes dans une maison de retraite ou un asile psychiatrique. Une humanité en déchéance y traine ses ennuis, ses souvenirs, ses ressassements, ses douleurs, ses paniques et ses folies. Le texte est sporadique, sans signification précise. Les gestes tiennent davantage du tic plutôt que des  élans chorégraphiques narratifs. C’est poignant, pathétique, follement décalé, tendrement évocateur, cyniquement réaliste, un zeste comédie-musicale, une pincée de cabaret belge, une pointe d’expressionisme allemand, quelques gouttes de commedia dell’arte,  théâtralement cruel, lucide, ricanant, déploratif, sacrificiel, scatologique, inquiétant, paroxysmique, troublant, dérangeant. En un mot c’est  inclassable. Entre Platel et Copi, entre Chanal et Groupov, du corps-rage de Baal au Théâtre-danse de Liège. Il y a du belge la dessous.

La fin de vie comme esthétique.
Malgré les apparences le spectacle est plein de  joie et de tendresse. Mais attention la vraie joie, celle qui découle de la conscience de la condition humaine. « Nous naissons et mourrons dans les remugles de la merde » disait Celine.Nettoyer le corps d’un mourant n’est-ce pas le geste le plus humain et charitable et évangélique qui soit ? disait Castelluci. Pas la gaudriole, pas la fête à Neu-Neu. Car la pornographie c’est l’éclat de rire permanent des amuseurs télévisuels dans un monde d’inquiétude. L’indécente joie sur commande du mauvais théâtre de boulevard et le gloussement d’un public conditionné-qui-veut-rire-a-tout-prix ! Non ici c’est la  vérité sur scène, c’est l’image partagée de notre condition humaine. Les italiens ont un dicton bien senti pour ça : « Mal comune mezzo gaudio ! (un mal en commun c’est presque une jouissance).

Allons, faire un tour dans le parc, il nous reste quelques minutes.
Pourquoi ce spectacle est-il  fondamentalement beau ? D’abord parce qu’il renoue avec une des sources profondes du théâtre. La succession de saynètes évocatrices (fabliaux médiévaux, canevas du théâtre italien sans texte). Ensuite, parce qu’il  mélange les genres et les artistes (des professionnels et une dizaine d’amateurs rapidement intégrés) passant de la danse au théâtre, de la musique  au mime, du rire aux larmes. Et puis parce que dans  la soirée  alternent des moments de folie provocatrice et des instants de recueillement intimiste permettant au spectateur de respirer l’absolu. Et enfin parce qu’il pointe une question émotionnelle universelle. Qu’est-ce que le beau ? C’est ce qui touche immédiatement sans rhétorique ni didactisme. Cela est. La réplique finale des deux vieillards résume métaphoriquement cet horizon espérantiel de toute vie : « Allons faire un tour dans le parc, il nous reste quelques minutes ! ».

Jean-Francois Principiano

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