Le 4 juin dernier, le député Jean-Jacques Urvoas a annoncé que le président de la République souhaitait que soit lancée la préparation d’un projet de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Notre région est particulièrement concernée quand on sait que le nombre de personnes parlant l’occitan avoisine le million dans l’espace couvert par cette langue. Une langue et non un patois comme on l’entend encore trop souvent…
Adoptée en 1992 sous l’égide du Conseil de l’Europe, cette charte vise à protéger et à promouvoir les langues régionales et minoritaires. Pour cela, elle définit une série d’engagements auxquels les États peuvent souscrire, dans des domaines aussi divers que l’éducation, la justice, l’administration, les médias, la culture, la vie économique et sociale et même la coopération transfrontalière.
La Charte, entrée en vigueur le 1er mars 1998, a été ratifiée par 25 États. Elle tend à favoriser « le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique ». La France l’a signée en 1999 en y adjoignant une déclaration interprétative et des précisions sur 39 engagements qu’elle envisageait de prendre. Une grande partie sont restés des vœux pieux. Après cette signature, le président Chirac avait saisi le Conseil constitutionnel afin de savoir si une modification de la Constitution était nécessaire pour ratifier la Charte. Le Conseil a jugé que la Charte comportait des clauses contraires à la Constitution. Selon la haute instance en reconnaissant des droits spécifiques à des groupes particuliers (les locuteurs de langues régionales ou minoritaires), la Charte rompait l’égalité devant la loi et mettait en cause le principe d’unicité du peuple français. Un sacré bon en arrière. Et ça n’est pas tout car, toujours selon le Conseil constitutionnel les clauses qui visent à encourager l’usage des langues régionales dans la vie publique sont » contraires à la règle constitutionnelle selon laquelle la langue de la République est le français. Cette décision du Conseil constitutionnel a interrompu le processus de ratification. Et il semblait que nous en soyons revenu à la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts (voir notre encadré)…
INDIVISIBLE
Pour Gérard Tautil, membre du Parti occitan et militant depuis 1975 » l’annonce d’une ratification de la Charte et d’une discussion au Parlement sont de bonnes nouvelles. Mais soyons prudents, car c’est à un véritable parcours à haut risque auquel nous allons une fois de plus assister. » Pour ce varois, fin connaisseur de la question, il faudra compter, une fois encore avec certaines réserves du Conseil constitutionnel qui s’inscrivent dans » la tradition de l’idéologie française dominante : « un Etat-pays-Nation, un seul peuple, une seule langue »… Au nom de l’égalité institutionnelle, le caractère universel de ce principe s’applique à tous les citoyens sans tenir compte des réalités linguistiques, culturelles et « régionales ». Et ce caractère centralisé de l’Etat se prolonge ici dans une perspective incontournable d’une citoyenneté de type XIXe siècle, difficilement amendable. »
Moyennant quoi Gérard Tautil qui est également rédacteur en chef de la revue occitane « Lo Cebier » préfère rester prudent… » La promesse de François Hollande de ratification, assortie des 39 articles signés (ou plus) de la charte va se trouver confrontée à nouveau au vote parlementaire et à celui du Sénat qui, pour ce dernier, est majoritairement contre. De plus, pour modifier la Constitution (article 1 ou 2), le passage obligé devant le Congrès sera nécessaire (3/5 pour faire passer toute modification). C’est un exercice également périlleux qui a jusqu’ici échoué. Mais c’est, à mes yeux, un processus préférable à celui d’un référendum face à une opinion publique dont l’enjeu et l’information démocratiques sont absents de tout débat, inexistants à ce jour. »
CLIVAGE
Pour Tautil tout n’est pas négatif dans la mesure notamment où » le clivage traditionnel droite/gauche sur cette question n’est pas fondamentalement respecté… Avec d’un côté Le Fur, Urvoas, Bayrou, le PCF, les Verts qui y sont favorables) et de l’autre un front conservateur ultranationaliste dans lequel on trouve la Ligue révolutionnaire, Mélenchon ou le FN….
On peut tout de même rappeler que François Alfonsi (Régions & Peuples Solidaires-Parti de la Nation Corse, ex-parlementaire européen ALE-Verts) a fait voter une motion dont il était le rapporteur qui a recueilli plus de 700 votes favorables au Parlement européen contre 25 qui ne l’étaient pas.
La route paraît encore longue… Et on serait tout juste étonnés de revoir fleurir, çà et là les panneaux comminatoires d’antan : » Il est interdit de parler patois » !
José Lenzini
VILLERS-COTTERETS AND SO…
Signée en 1539 par François Ier, l’ordonnance de Villers-Cotterêts rendait obligatoire la tenue des registres des baptêmes et, surtout, instaurait la langue française dans sa primauté et son exclusivité en vue d’une meilleure compréhension des documents relatifs à la vie publique. Le français devient alors la langue officielle du droit et de l’administration en lieu et place du latin… Ces décisions sont renforcées par la Révolution française qui passe à la guillotine les langues dites autochtones également nommées patois ou idiomes féodaux. Jusqu’à ce que l’instruction publique soit de nouveau abandonnée à l’Église qui réinstaure le latin, avec la bénédiction de Napoléon puis de la Restauration. À la chute du Second empire, la Troisième République instaure une instruction primaire obligatoire, laïque et gratuite pour tous avec le lois Ferry qui démocratisent et imposent le français sur tout le territoire hexagonal et dans les lointaines colonies françaises. Selon le législateur, il s’agit là d’élever le niveau culturel de la population par l’instruction via une langue commune… et internationale.
Depuis la seconde moitié du XXème siècle, les cultures régionales et la diversité sont discrètement considérées par l’État comme des richesses à préserver. Les gouvernements successifs ont adopté diverses politiques visant à empêcher la disparition des langues régionales. Avec des hauts et des bas. Des décisions qui ne sont pas forcément prises là où les attend. Ainsi, le régime de Vichy tente-t-il d’introduire à l’école primaire l’enseignement des « langues dialectales » mais elles sont abrogées à la Libération. En 1951, la loi Deixonne autorise l’enseignement facultatif des langues régionales de France. Parallèlement plusieurs lois sont promulguées pour protéger le français de l’anglais, notamment la Loi Toubon qui paradoxalement n’empêche plus la préservation des langues régionales ni la contagion du français par des termes anglo-saxons.