Hippolyte et Aricie de Rameau

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Pour sa 25eme rencontre virtuelle l’association varoise Opéravenir vous propose une présentation d’un chef d’œuvre de la musique française.

Hippolyte et Aricie, première tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau  (1683 – 1764) alors âgé de cinquante ans, fut créée le 1er octobre 1733 à l’Académie royale de musique, quelques mois après sa présentation en concert chez le fermier général Alexandre Le Riche de La Pouplinière, son protecteur et mécène, dont Rameau dirigeait l’orchestre privé.

Influence mythologique

Jean Philippe Rameau

Le livret a été écrit par  l’abbé Simon-Joseph Pellegrin, un jeune prêtre-poète né à Marseille en 1663, appelé le « curé de l’Opéra ». On disait de lui : « Le matin catholique et le soir idolâtre, Il dine de l’autel et soupe du théâtre ». Il s’inspira en partie de la Phèdre de Racine et de Plutarque, ainsi que de la Mythologie grecque.  La structure  est conforme au schéma des tragédies en musique composées par Lully et Quinault (personnages nombreux, dieux présents sur scène, divertissements choraux et dansés à chaque acte).

L’œuvre comporte, selon la tradition, un prologue et cinq actes. Dès 1733 et, plus encore, lors des reprises de 1742 et 1757, le compositeur, selon son habitude, a procédé à diverses modifications pour s’adapter aux chanteurs et interprètes.

Entre Plutarque et Racine
Prologue. Dans la forêt d’Erymanthe en Grèce.  Les habitants de la  forêt, les prêtresses de Diane célèbrent les pouvoirs de leur reine. Mais ceux-ci sont menacés par l’arrivée de l’Amour. La dispute des deux divinités, animée, est interrompue par Jupiter qui tranche en faveur de l’Amour. Celui-ci pourra, chaque année pendant une journée, étendre son empire dans le royaume de Diane. Cette dernière préfère se retirer et s’employer à protéger Hippolyte et Aricie des méfaits de son rival, plutôt que d’assister à sa victoire. Une fête célèbre le règne de l’Amour dans les forêts d’Erymanthe.

Acte I. Devant le temple de Diane. La princesse Aricie, dont le royaume a été décimé par le roi Thésée, se recueille dans le temple de Diane dont elle va devenir prêtresse. Tourmentée par son amour pour Hippolyte, le fils de Thésée, elle se trouble lorsque le prince paraît, d’autant qu’il avoue l’aimer aussi et la supplie de renoncer à ses vœux. Mais c’est Phèdre, seconde épouse de Thésée, qui peut seule décider du sort d’Aricie. Elle arrive suivie des prêtresses et débute les cérémonies. Les réticences d’Aricie et le soutien qu’elle reçoit d’Hippolyte éclairent la reine sur leur relation. Furieuse, elle menace de détruire les autels.

L’apparition  de Diane l’interrompt : la déesse entend protéger les amants. Phèdre jure de se venger, animée par la jalousie et le dépit : elle aussi aime Hippolyte. L’annonce de l’éloignement du roi, qui a suivi son ami Pirithoüs aux enfers et ne devrait jamais en revenir, apparaît comme une occasion inespérée de se déclarer. Encouragée par sa suivante Œnone, Phèdre se décide à révéler son amour incestueux.

Acte II. Aux enfers. Thésée est entraîné au plus profond des Enfers par Tisiphone : peu lui importe, il est prêt à sacrifier sa vie pour sauver celle de Pirithoüs. Pluton et sa cour infernale paraissent et confirment l’arrêt du sort : Pirithoüs mourra et Thésée restera captif aux enfers. Mais Neptune intervient en faveur de son fils et, par l’entremise de Mercure, obtient la grâce de Thésée. Les Parques l’avertissent toutefois : il ne quittera les enfers que pour trouver sa famille déchirée par des maux plus terribles encore.

Acte III Au palais de Thésée. Phèdre supplie Vénus de lui être favorable et de changer le cœur d’Hippolyte. Celui-ci paraît et s’étonne de trouver Phèdre disposée à partager le trône avec lui. L’évocation de son amour pour Aricie fait toutefois éclater la fureur de Phèdre : imprudemment, elle lui avoue les feux qui la consument et, honteuse, lui demande de la tuer. Thésée entre précipitamment : devant ce spectacle et les mots confus qu’il obtient de son épouse et de son fils, il se tourne vers Œnone. Soucieuse de protéger la reine, elle laisse entendre qu’Hippolyte envisageait d’attenter à la dignité de Phèdre. Pétrifié, Thésée doit assister aux festivités organisées pour son retour. Mais, resté à l’écart, il implore une nouvelle fois son père, la mort dans l’âme, et lui demande de tuer le criminel Hippolyte.

Acte IV Devant le temple de Diane. Banni de la cour, Hippolyte déplore l’injustice de son destin. Pour protéger Aricie de la fureur de Phèdre, il l’engage à le suivre comme épouse. Tous deux se jurent fidélité devant Diane, dont la toute-puissance est célébrée par des troupes de chasseurs. La fête est interrompue par l’arrivée du monstre envoyé par Neptune : surgissant des flots, il répond au vœu de Thésée et engloutit le malheureux Hippolyte. Phèdre, attirée par les gémissements du peuple, constate le fruit de son amour odieux.

Acte V. Dans un jardin près du Palais de Thésée. Avant de mettre fin à ses jours, Phèdre a révélé la terrible méprise dont Thésée était victime. Le roi, éploré, entend lui aussi mettre fin à ses jours. Mais Neptune l’en empêche et lui apprend que Diane a secouru son fils. Son châtiment sera de ne plus jamais le revoir. Aricie, qui avait perdu connaissance durant le combat entre Hippolyte et le monstre, revient à elle dans un lieu enchanteur. Après un moment de doute, elle retrouve son amant qui vient à elle guidé par Diane : la déesse les unit tandis qu’une fête grandiose célèbre leur amour au son du chant des oiseaux.

Jean Philippe Rameau
Né à Dijon, dans une famille nombreuse, Jean-Philippe Rameau est initié à la musique par son père organiste. Il devient lui-même organiste d’église et occupe des postes dans plusieurs villes, dont Clermont-Ferrand où il restera jusqu’en 1722. Il arrive alors à Paris et collabore à des spectacles de théâtre de Foire. Il se marie en 1726 avec une jeune musicienne dijonnaise et aura quatre enfants. Après son Traité de l’harmonie, il publie son Nouveau système de musique théorique, qui en fait un savant reconnu. Ses premières compositions autour de 1715 sont des grands Motets, pièces chorales pour les offices religieux, sur des psaumes de la Bible.

Rameau compose également des pièces pour clavecin publiées dans trois recueils successifs (1706, 1724, 1728). Le dernier recueil, appelé Nouvelles Suites, est le plus joué aujourd’hui.

En 1731, Alexandre de la Pouplinière engage Rameau. Ce riche fermier général (collecteur d’impôts pour le Roi) dispose de son propre orchestre, dont il le nomme directeur. Ce mécénat procure une situation stable au musicien, tout en lui permettant de composer et même de produire ses opéras. Rameau restera à son service pendant plus de vingt ans, jusqu’en 1753.

Un échec lors de la première.
Hippolyte et Aricie est créé à l’Académie royale de musique (Théâtre du Palais Royal) le 1er octobre 1733. L’œuvre est mal accueillie par une grande partie de l’auditoire.

Castil-Blaze raconte ainsi l’accueil réservé par le public « Le rideau fut à peine levé, qu’il se forma dans le parterre un bruit sourd, qui, croissant de plus en plus, annonça bientôt à Rameau la chute la moins équivoque. Un revers si peu mérité l’étonna sans l’abattre : Je me suis trompé, disait-il ; j’ai cru que mon goût réussirait ; je n’en ai point d’autre; je ne ferai plus d’opéras. Peu à peu les représentations d’Hippolyte et Aricie furent plus suivies et moins tumultueuses ; les applaudissements couvrirent les cris d’une cabale qui s’affaiblissait chaque jour et le succès le plus décidé couronnant les travaux de l’auteur, l’excita à de nouveaux efforts qui lui firent partager avec Lully les honneurs de la scène lyrique; et par la révolution la plus étonnante, lui méritèrent le titre de réformateur de la musique. » Le critique analyse ensuite les causes de l’échec sur le public. Ses paroles sont hélas toujours actuelles.

« …Que ne peut l’habitude sur nous ? Si depuis longtemps nous n’avions été éclairés que par la faible lueur d’un flambeau, nous fermerions les yeux à la lumière du soleil, et la crainte d’être éblouis pendant quelques moments, nous ferait préférer l’horreur des ténèbres à l’éclat du plus beau jour. La nature nous inspire en vain le bon goût, l’habitude en forme souvent un factice, pour lequel les préjugés fortifient notre attachement ; et Rameau faillit en être la victime. « On entendait pour la première fois des airs dont l’accompagnement augmentait l’expression, des accords surprenants, des intonations qu’on avait cru impraticables, des chœurs, des symphonies dont les parties différentes, quoique très nombreuses, se mêlaient de façon à ne former qu’un tout. Les mouvements étaient combinés avec un art inconnu jusqu’alors, appliqués aux différentes passions avec une justesse qui produisait les effets les plus merveilleux. Ce n’était plus au cœur seul que la musique parlait ; les sens étaient émus, et l’harmonie enlevait les spectateurs à eux-mêmes, sans leur laisser le temps de réfléchir sur la cause de ces prodiges ». Lully avait charmé, séduit ; Rameau étonnait, subjuguait, transportait.

La consécration des dernières années
Rameau, à plus de soixante-quinze ans, compose encore. Les Indes galantes, lui apportent le succès et l’adhésion du public. Cette fois le genre est différent puisqu’il s’agit d’un opéra-ballet, spectacle total où la musique tient la première place. Après Platée en 1745, Castor et Pollux suit et consacre Rameau, qui est désormais le compositeur favori de la cour royale. Il sera nommé Compositeur de la Chambre du roi, et, revers de la médaille, deviendra la cible des Encyclopédistes, dans la Querelle des Bouffons. Après Les Paladins  il  entame un nouvel opus, Abaris ou les Boréades qui ne sera créé que l’année de sa mort.

Toutefois pour Rameau, l’heure de la consécration a sonné : le 22 mai 1761, il est admis à l’Académie de Dijon et en mai 1764 le roi lui attribue des lettres de noblesse. Ce dernier voulait également lui décerner le cordon de Saint-Michel, mais le compositeur s’éteint le 12 septembre 1764 dans sa demeure parisienne. Ses funérailles à Saint-Eustache attirèrent une grande foule.

Avec Jean-Sébastien Bach, Rameau est considéré comme l’un des maîtres de la pensée tonale. Il a théorisé sa propre science musicale et l’a modélisée pour les générations futures. Il a également bousculé les principes d’orchestration, créé des formes plus efficaces, raffiné l’écriture mélodique. Toujours en première ligne dans les débats musicaux et esthétiques, il était à l’écoute de ses contemporains, sachant tirer parti de leurs influences mais demeurant indépendant.  Ce personnage un peu hors normes est l’un des grands destins de l’histoire de la musique. L’égal de ses « confrères » Vivaldi, Bach, Haendel ou Telemann…

Le sens de l’œuvre
Le livret de Simon-Joseph Pellegrin a une vertu incontestable : il propose ce qu’on attendait de lui, un support à machineries spectaculaires. On ne compte plus les décors admirables, les descentes de dieux, les monstres effroyables, les scènes de caractère avec leur lot d’accessoires.

Bref, un support idéal pour une musique qui veut avant tout de créer du climat, de la couleur, de l’effet. De ce point de vue, Rameau inaugure une particularité de la musique française qui se développera tout particulièrement à partir de la fin du XIXe, lorsque les Français opposeront au goût de la forme celui du climat, où la musique n’est pas soumise à la logique d’un discours, mais à celle d’une évocation. Debussy contre Verdi.

De la grande musique
En fait, l’œuvre  étonne  surtout par la qualité de l’écriture orchestrale qui atteint une ampleur inconnue dans les passages imitatifs et descriptifs (Tonnerre de Diane, Airs infernaux, Frémissements des flots, Scène de chasse avec les cors, et Déchainement de la mer.)

L’orchestre prend des couleurs riches et variées pour accompagner  la voix. Cordes et vents dans « Temple sacré », bassons concertants dans « Pour prix d’un projet téméraire ».

Pour le récitatif, Rameau se réclame ouvertement de Lully, mais la grande nouveauté des récitatifs accompagnés réside dans l’utilisation de l’orchestre.

Rameau utilise à plusieurs reprises le « duo  divergeant » dans lequel les personnages chantent simultanément mais expriment des  sentiments symétriquement opposés (Prologue Diane-Amour « Non je ne souffrirai pas » Acte II Thésée-Tsiphone « Contente-toi d’une victime » Acte III Phèdre-Hippolyte « Ma fureur va tout entreprendre ».

L’acte I se déroule dans un monde essentiellement féminin avec des voix hautes  (soprani et haute contre).

L’acte II en revanche, baigne dans un climat sombre, avec les sonorités instrumentales graves (registres graves des violons et des bassons), les voix d’hommes, dominées par les basses et interprétant jusqu’aux rôles des  Furies et des Parques ordinairement chantés par des femmes. Les deux trios des Parques sont d’ailleurs  parmi les plus belles pages de la partition. Le second trio parut si difficile aux chanteurs lors de la création que Rameau dut le retirer, mais il figure heureusement dans les enregistrements modernes.

L’acte III, se déroule entre les puissantes invocations de Phèdre à Vénus « Cruelle mère ! » et de Thésée à Neptune « Puissant maître des flots ! ». Dans cet acte III, le divertissement, avec les airs des matelots et le chœur des Trézéniens « Que ce rivage retentisse », fugué et d’une écriture polyphonique poussée, contraste de manière saisissante avec le drame de Thésée.

À l’inverse, à l’acte IV, la plainte du chœur « Hippolyte n’est plus » se mêle à celle de Phèdre un long  mouvement qui va de la constatation douloureuse à l’aveu «  Non sa mort est mon seul ouvrage ».

L’acte V expose l’heureux dénouement dans une ambiance pastorale (musette et ariette de type italien « Rossignols amoureux ».

On le voit la science et  la beauté de la musique l’emportent sur l’histoire mythologique. Jean Jacques Rousseau, le premier, a souligné cet écart entre la forme magnifique et le sujet « tristement hors champ social ». Le philosophe ajoute qu’à une époque où la majorité de la population française vit dans la précarité et l’inquiétude, cet art de cour semble suspendu au-dessus du problème social. Ces états d’âmes des dieux et des héros apparaissent « bien indifférents aux soucis des hommes dans la vraie vie » comme le souligneront plus tard  les critiques des encyclopédistes (Diderot notamment).

Pourtant Hippolyte et Aricie, malgré son anachronisme social,  reste un chef d’œuvre musical qui assura la gloire de Rameau et démentit la phrase de Rousseau « Les français n’auront jamais de musique ! ». Ce grand opéra à la française figure depuis  au palmarès des plus grandes réalisations lyriques de toute l’histoire de la musique.

La version que nous vous proposons  a été mise en ligne par l’Opéra Garnier  sur YouTube avec : Sarah Connolly Phèdre ; Anne-Catherine Gillet Aricie ; Andrea Hill Diane ; Jaël Azzaretti L’Amour / Une Prêtresse / Une Matelote ; Salomé Haller Oenone ; Marc Mauillon Tisiphone ; Topi Lehtipuu Hippolyte ; Stéphane Degout Thésée ; François Lis Pluton / Jupiter ;  Jérôme Varnier Neptune. Le Concert d’Astrée  direction Emmanuelle Haïm.

Jean-François Principiano

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