Hector Berlioz L’enfance du Christ

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En cette fête de l’espérance qu’est Noël, je voulais trouver pour cette rencontre virtuelle d’Opéravenir, une œuvre universelle mais qui soit aussi profondément française. Écartant les grandes partitions allemandes de Bach ou les oratorios anglo-saxons, souhaitant m’éloigner un instant du charme vocal italien, j’ai opté pour  une musique qui  m’est chère à l’image de  notre nation, claire et  harmonieuse, sans emphase déclamatoire et surtout bien représentative de l’élégance du chant français. Voici donc l’Enfance du Christ d’Hector Berlioz (1803-1869).

Berlioz 1803-1869

Contrairement aux  autres grandes pages sacrées de Berlioz, le Requiem et le Te Deum, L’Enfance du Christ n’utilise pas un texte liturgique et se rapproche ainsi de la conception de l’oratorio tel qu’on l’entendait au XVIIIe siècle. Mis à part pour le personnage d’Hérode, les interventions de Marie et  Joseph sans oublier le chœur, sont surtout prétextes à des récitatifs, airs et ensembles emplis de sensibilité évangélique relayés par des  passages d’orchestre de toute beauté.  Berlioz considérait lui-même cette partition comme « une œuvre écrite à la manière des vieux missels français enluminés », une conception volontairement intimiste pour une œuvre à portée universelle.

Une trilogie sacrée

caricature de Berlioz

Sous-titrée « trilogie sacrée » l’oratorio avait, lors de sa création parisienne en 1854, reçu un succès qui avait étonné Berlioz, habitué jusque-là aux sarcasmes d’une critique parisienne, dénonçant sans pitié son « emphase romantique ». Il écrivait au lendemain de la première exécution à son ami Ferrand « voilà un succès spontané, très grand, et presque calomnieux pour mes compositions antérieures ».

Il écrivit le texte de cet oratorio d’après quelques fragments des évangiles notamment l’Évangile de Matthieu.

Première partie : Le roi Hérode médite sur la grandeur et la solitude des monarques. Sujet à une vision nocturne, il  consulte des devins juifs, qui lui déclarent qu’« un enfant vient de naître qui fera disparaître son trône et son pouvoir ». Pour se prémunir des maux qu’on lui annonce, il décide la mise à mort de tous les premiers-nés.

Berlioz  a  écrit sur la partition : « Après un silence dont la durée devra représenter la valeur d’environ 8 ou 9 mesures, on passera, sans autre interruption, à la Scène de la Crèche. »

Dans une étable, la Vierge Marie prend soin de l’Enfant Jésus. Les anges informent la Sainte Famille qu’un danger la menace et qu’elle doit quitter au plus tôt la Judée.

La fuite en Egypte de Giotto

Deuxième partie : La Fuite en Égypte.
Réunis devant l’étable, les bergers disent adieu à la Sainte Famille, dont la fuite commence. Cette scène est une réussite artistique incontestable par la tendresse qui en émane :

« Cher enfant, Dieu te bénisse! Dieu vous bénisse, heureux époux! Que jamais de l’injustice

Vous ne puissiez sentir les coups. Qu’un bon ange vous avertisse  des dangers planant sur vous. »

Troisième partie : L’Arrivée à Saïs.
Chassés brutalement par les Romains puis par les Égyptiens, les fugitifs épuisés sont recueillis par un père de famille ismaélite (descendant d’Abraham et d’Agar), qui leur offre l’hospitalité sous son toit. Pour divertir leurs hôtes, ses enfants exécutent un concert pour  flûtes et harpe. Le récitant, accompagné par un chœur à cappella, conclut l’œuvre après avoir annoncé la mission et la mort  de Jésus.

Une plaisanterie musicologique
Dans ses mémoires Berlioz a raconté comment lui furent suggérées les  premières pages de cette œuvre. Lors d’une soirée parisienne chez des amis, le compositeur écrivit un petit andantino pour orgue – immédiatement transformé en chœur à quatre voix – à la demande de son ami l’architecte Joseph-Louis Duc. Pour tromper la presse et le public, il le signa du nom de Pierre Ducré, «maître de musique de la Sainte Chapelle de Paris au XVIIe siècle». Complétée sans délai, La Fuite en Égypte date donc d’octobre 1850. L’«Adieu des bergers à la Sainte Famille » fut chanté pour la première fois le 12 novembre lors d’un concert de la Société philharmonique, jeune et éphémère association parisienne fondée au début de la même année et dont Berlioz assurait la direction musicale.

Pour parfaire l’illusion, le compositeur expliqua que cette « musique archaïque» avait été trouvée « dans une armoire murée, en faisant la récente restauration de la Sainte Chapelle». La presse le félicita pour cette découverte archéologique, laissant parfois entendre qu’elle n’était pas dupe d’une mystification dont l’auteur se réjouissait, ravi de la «petite farce » faite aux «bons gendarmes de la critique française », toujours prompte à l’éreinter.

L’enfance du Christ

Dès la fin de 1853, Berlioz envisagea de compléter sa «légende biblique» par L’Arrivée à Saïs, qu’il acheva en avril 1854. Composé en dernier lieu, Le Songe d’Hérode devint le premier volet du triptyque définitivement terminé le 25 juillet. Berlioz écrit au chef d’orchestre  Hans von Bülow: « L’Enfance du Christ formera un ensemble de seize morceaux durant en tout une heure et demie avec les entractes. C’est peu assommant, comme vous voyez, en comparaison des Saints assommoirs qui assomment pendant quatre heures ! »

Restait maintenant à faire exécuter cette œuvre. Berlioz pensa d’abord à l’Allemagne, qui avait favorablement accueilli La Fuite en Égypte. Le projet d’une première parisienne se précisa cependant. Il écrit dans ses mémoires avec son style inimitable «Je m’attendais à perdre quelque huit ou neuf cents francs à ce concert. Et j’ai eu aussi la faiblesse  de désirer faire entendre cela à quelques centaines de personnes à Paris dont le suffrage, si je l’obtenais, aurait prix pour moi, et à quelques douzaines de crapauds dont, en tout cas, cela ferait enfler le ventre.» Grâce à une efficace publicité, les répétitions suscitèrent l’enthousiasme et encouragèrent l’optimisme du compositeur, à qui l’on prédit un succès monstre.

Un premier succès public
Dans ses mémoires toujours, il raconte avec complaisance cet événement. Le 10 décembre1854, le concert, placé sous sa direction, se déroula à la salle Herz bondée pour l’occasion, pour une longue soirée où L’Enfance du Christ côtoyait un trio de Mendelssohn et le finale de la Symphonie no 104 de Haydn. Parmi de nombreuses personnalités du monde artistique, le public comptait Heine, Vigny, Verdi et Cosima Liszt.

Le compositeur fut très satisfait de ses interprètes, en particulier des époux Meillet, «excellent couple sacré», de Charles Amable Battaille et de Depassio qui donnait « toute sa rudesse  à la physionomie d’Hérode».

L’oratorio commençait une longue carrière au cours de laquelle il allait acquérir  la célébrité, tant en France qu’à l’étranger. Berlioz pouvait affirmer: « Pour le moment, je gagne onze cents francs, pas davantage, mais tous mes frais, sans exception, sont payés et un succès foudroyant est obtenu, et quel coup porté !… et quel retentissement en Allemagne!…»

La critique internationale ne ménagea pas ses louanges, reconnaissant autant de mérites au style intimiste de La Fuite en Égypte qu’au caractère plus violent du Songe d’Hérode. L’Arrivée à Saïs fut jugée plus géniale encore  du point de vue mystique. En effet ceux qui accueillirent généreusement les trois fugitifs étaient des Ismaélites  c’est-à-dire la branche sémitique arabe d’Abraham. Berlioz visionnaire de la réconciliation judéo-arabe ?… « Bannissez toute crainte, les enfants d’Ismaël sont frères de ceux d’Israël. »

Un retour à la simplicité
Berlioz abandonna les proportions gigantesques de ses ouvrages précédents pour en venir à la «miniature». « Il a fait petit, mais il a fait beau, et c’est dans les arts la véritable grandeur », résumait Verdi. En effet, la musicologie française de l’époque, très attachée à une sorte de vocalité latine, n’avait pas toujours apprécié la complexité de la polyphonie orchestrale berliozienne à l’égard de laquelle elle entretenait une hostilité qu’elle reporta plus tard sur Wagner. Il faut en musique toujours se méfier des musicologues pédants qui sont le plus souvent des compositeurs ratés ou aigris.

Mais pour ses pairs, l’archaïsme du langage tint lieu de nouveauté et l’on se réjouit d’un retour à la tradition dans l’esprit classique de l’imitation des maîtres.

Une musique hommage au passé.
Reliés par des récitatifs confiés à un chanteur-récitant, les différents épisodes offrent une palette de couleurs richement diversifiée. Essentiellement instrumentale, la marche nocturne initiale présente un vaste crescendo-decrescendo orchestral, signé sans ambiguïté par l’auteur du Grand Traité d’Instrumentation et d’Orchestration moderne, sa grande œuvre de théorie musicale.

L’air d’Hérode, introduit par un récitatif dramatique, développe un lyrisme qui rend parfaitement l’angoisse insupportable d’un roi devinant la menace qui pèse sur son pouvoir. L’incertitude modalité-tonalité exprime le doute du monarque avant que les devins juifs ne se livrent à des évolutions savantes sur un rythme asymétrique à 7/4, tandis que les ondulations des cordes soutiennent le chromatisme des bois. Le chant lugubre des devins suggère au roi l’épouvantable massacre des Saints Innocents. Hérode et le chœur se déchaînent alors dans un allegro-agitato enragé, dont la violence est encore amplifiée par la fanfare.

Le duo de Marie et Joseph, personnages doux et sensibles, peints comme des figurines de vitrail, crée un contraste saisissant par ses mélopées naïves. Le chœur des anges appelle à sauver Jésus dans des hosannas vocalisés.

La Fuite en Égypte, qui exprime la réserve et la discrétion de la Sainte Famille, montre un Berlioz inattendu: la fluidité mélodique donne matière à une polyphonie limpide, dépourvue de toute complexité orchestrale.

Berlioz introduit le troisième volet de son oratorio par la narration du récitant, sobrement soutenue par les cordes et les bois. Suit un nouveau duo de Marie et Joseph, dialogue avec le petit chœur masculin des habitants inhospitaliers de la ville de Saïs. La mélodie de Marie, complétée par les appels plaintifs de Joseph, se heurte au refus des ennemis de ces « vils Hébreux ». Un père de famille charitable  offre sa maison aux fugitifs, qui goûtent enfin le repos bienfaiteur, les grappes mûres et le lait destiné au divin enfant. C’est l’occasion d’un chœur fugué dans la tradition de  la musique religieuse polyphonique, complément lumineux de la palette des styles que Berlioz a déjà utilisé. Trois  jeunes Ismaélites donnent aux visiteurs un concert pour deux flûtes et harpe afin de réjouir les hôtes en employant « la science sacrée, le pouvoir des doux sons ». Moment d’une limpidité rare d’une musique de chambre typiquement française par son élégance et son harmonie.

L’heure du  futur sacrifice de Jésus est alors évoquée avec une poignante discrétion, sans emphase. L’œuvre s’achève par un chœur  à cappella éthéré, tout rempli du mystère de la fraternité, victorieuse de la haine jalouse d’Hérode. Une conclusion recueillie dont la sincérité étonne toujours  quand on sait l’athéisme et le sentiment d’orgueil de  Berlioz. Et devant l’intuition du divin…

Ô mon âme, pour toi que reste-t-il à faire,
Qu’à briser ton orgueil devant un tel mystère? …
Ô mon cœur, emplis-toi du grave et pur amour
Qui seul peut nous ouvrir le céleste séjour. Amen

Jean-François Principiano

L’oratorio complet avec sous-titres français

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