Halka de Stanislaw Moniuszko

0

Passion, inégalité et sacrifice.
Il n’y a pas que Chopin dans la musique classique polonaise. Son contemporain Moniuszko a composé une œuvre importante mais moins connue et qui mérite largement le détour. Opéravenir vous propose de découvrir son chef d’œuvre, l’opéra Halka, l’histoire d’une jeune paysanne victime  de sa condition sociale.

Halka de Stanislav Moniuszko  (1819-1872) est le premier grand opéra polonais. Il fut  d’abord créé  en deux actes, le 1er janvier 1848 à Vilna sur un livret de Wlodzimierz Wolski (1824-1882) puis triompha à Varsovie dans sa version définitive en quatre actes dix ans plus tard.

Rappel Historique
Au XVIII° siècle la Pologne  disparait, « mangée » par les russes à l’est et les prussiens et les autrichiens à l’ouest. Napoléon  en 1807 rétablit pour un temps le Grand-duché de Pologne, mais après sa défaite la Pologne disparaît à nouveau de la carte de l’Europe.

Comble d’horreur les Russes confient la perception des impôts aux communautés juives de Pologne ce qui explique (sans le justifier) le violent antisémitisme des polonais. Chopin par exemple écrivait a son agent Pleyel « S’il y a un seul juif dans la salle, dis leur que je ne jouerai pas ! » (Correspondance  de Chopin Tome 3 Richard Masse ed)

La culture polonaise, pendant toute cette période de  disparition nationale,  affirme et préserve son identité dans deux domaines : le catholicisme romain d’une part et la musique classique d’autre part.

Chopin à l’extérieur et Moniuszko à l’intérieur représentent donc une partie de l’âme polonaise et ses aspirations à l’indépendance. Admiré de Berlioz et Verdi, de Gounod et Tchaïkovski, Halka est un chef d’œuvre,  hélas méconnu des mélomanes français. Une belle version captée  à Poznań est proposée pour les amis d’Opéravenir.

Moniuszko un compositeur  à découvrir
Stanislaw Moniuszko est né à Ubiel (près de Minsk) le 5 mai 1819  dans la minorité polonaise d’Ukraine appartenant à l’empire des tzars. Il a d’abord étudié le piano avec sa mère. Quand, en 1827, la famille déménagea à Varsovie, Moniuszko, âgé de huit ans, poursuivit son apprentissage de la musique avec August Freyer organiste et maître du chœur professionnel de l’église locale de la Trinité.

À partir de 1837, il entreprit des études approfondies de composition à Berlin, auprès de Rungenhagen. Revenu en Pologne pour se marier en 1840, il accepte le poste d’organiste de la paroisse Saint-Jean de Vilna où il enseigne aussi le piano et, à l’occasion, dirige l’orchestre du théâtre local. Il se lie alors d’amitié avec l’écrivain Kraszewski et correspond avec Aleksander Fredro le créateur de la comédie polonaise, contacts qui stimulent l’intérêt de Moniuszko pour le théâtre et la  musique lyrique. C’est à cette époque, au milieu des années 1840, qu’il commence à composer intensément.

Le Berlioz polonais
On lui doit surtout des partitions destinées à la voix, une douzaine d’opéras sans compter d’autres pages destinées à la scène, de la musique vocale sacrée et profane ainsi que 360 mélodies. Dans le domaine instrumental, on  compte trois ouvertures et une « polonaise de concert » pour orchestre, quelques pièces pour piano ainsi que deux quatuors à cordes, datant respectivement de 1839 et 1840. Moniuszko s’est donc surtout consacré à l’opéra, remplissant en Pologne un rôle comparable à celui des Smetana, Glinka, Weber et Verdi dans leurs pays respectifs.

Ses œuvres lyriques,  se distinguent par une grande richesse mélodique dont l’inspiration trouve sa source dans les chansons populaires polonaises, biélorusses et même lituaniennes. Elles constituent une habile combinaison entre l’influence du premier romantisme allemand, de l’opéra italien et du théâtre polonais.

Ses nombreuses mélodies pour piano et chant, forme musicale alors en vogue en Pologne dont la situation économico-politique ne permettait que difficilement le développement des orchestres, ont également connu un beau succès.

En tant que pédagogue, Moniuszko rédigea un Traité d’harmonie et d’orchestration, édité à Varsovie en 1871. Moniuszko meurt précocement de la tuberculose, comme son contemporain Chopin, le 4 juin 1872 à Varsovie, auréolé de gloire.

Le grand auditorium de 1 800 places du Grand Théâtre de Varsovie porte aujourd’hui son nom.

Un drame social
La jeune paysanne Halka veut retrouver  l’amour de l’indifférent Janusz, père de son enfant mais  qui doit épouser Sofia, fille du  riche propriétaire Stolnik. Elle tente de se venger en voulant mettre le feu à l’église qui doit accueillir le mariage de son ancien amant. Elle se ravise et, finalement, se jette dans la rivière.

Acte 1 Dans la maison du noble Stolnik (basse) on célèbre les fiançailles de sa fille Sofia avec le jeune et noble Janusz (baryton)

Soudain au milieu de la fête, le jeune homme entend une voix lointaine. C’est celle de Halka (soprano) une jeune paysanne qu’il a séduite et abandonnée.

Halka paraît et lui demande des comptes sur sa conduite. Janusz tergiverse et promet une future rencontre.

Acte 2 Halka, dans les jardins de la maison de Stolnik attend Janusz. Mais c’est un jeune paysan, Jontek (ténor) qui vient lui déclarer son amour. Il la met en garde sur la trahison de Janusz, la suppliant de revenir au village. Lorsqu’arrive Janusz, elle  se jette à ses pieds. La foule fait irruption tandis que  Janusz éloigne la jeune paysanne avec de vaines promesses.

Acte 3 Sur la place  du village arrive le cortège nuptial pour les noces de Janusz et Sofia. Jontek essaye encore une fois de convaincre Halka d’oublier Janusz mais Halka proclame son amour et sa fidélité à son ancien séducteur.

Acte 4 sur la place de l’Eglise Tandis que la cérémonie a lieu, Halka tente de mettre le feu à l’église mais au dernier moment elle renonce en invoquant son fils mort de famine.

Les paysans l’entourent d’un chœur de lamentations déplorant la situation des femmes dans la communauté villageoise, soumises au poids des traditions patriarcales. Dans un long monologue espérant un avenir meilleur pour ses compagnes, Halka recommandant son âme à Dieu  se jette du haut des murs de la ville. Jontek annonce sa mort au milieu de la noce tandis qu’éclate une mazurka endiablée.

Le sens de l’œuvre
On le voit le livret  très théâtral de Wlodzimierz Wolski, décrit les différences sociales entre le milieu de la ville et celui des campagnes. Wolski scinde explicitement l’action entre une noblesse grisée d’indifférence et de conventions et les modestes victimes immuables des campagnes pauvres n’inspirant que de la pitié et du mépris.

Ainsi, l’action  est déjà toute tracée. Socialement ancrée dans le contexte du « Printemps des peuples », la Révolution européenne de 1848, Halka souligne la prise de conscience du double drame du XIX° siècle européen : les inégalités sociales d’une part et les inégalités entre les hommes et les femmes de l’autre. Moniuszko en dessine par sa musique robuste et rythmée les traits humanistes les plus attachants.

Si les références au servage et à l’arrogance des classes dominantes y sont évidentes, le personnage d’Halka est  pourtant l’antithèse de l’héroïne nationale romantique. Certes, tout comme Ivan Soussanine de Glinka, Halka est de condition paysanne. Néanmoins, contrairement au célèbre moujik, elle ne réalise aucune action glorieuse, révolutionnaire ni même patriotique. Elle se sacrifie par amour, un peu comme la Traviata de Verdi.

C’est d’ailleurs ce qui distingue Halka de la plupart des opéras « nationaux » de l’époque. Sa réussite tient davantage à l’édification du pathétique par la description de l’injustice  plutôt que par la révolte. Ainsi, sous le couvert d’un réalisme social quarante-huitard, Halka devint rapidement le porte-drapeau de l’Insurrection culturelle polonaise intériorisée. Sorte de soupir lyrique  d’une nation éminemment culturelle privée de la liberté comme l’écrivait Chopin dans sa correspondance avec George Sand.

Un succès grandissant
À l’époque de la composition d’Halka la Pologne est sous la tutelle de la Russie tzariste. Halka voit le jour dans une version en deux actes suite au « Soulèvement de Cracovie » de 1846 dont l’échec affecta le jeune Moniuszko. Immédiatement, la partition est réclamée par l’Opéra de Varsovie pour une création initialement prévue en 1847. Mais la programmation est différée jusqu’à nouvel ordre à cause de la répression Russe à Varsovie.

Dix ans plus tard le contexte historique change, la Russie se dote d’un tsar libéral Alexandre II. Un tel livret n’aurait certainement pas pu résister à la censure russe avant la tentative  libérale de ce jeune souverain idéaliste et cultivé. Il sera d’ailleurs victime de ses idéaux et finira assassiné en 1881.

Halka est donc créé à Vilna – ville du célèbre poète et dramaturge Juliusz Slowacki  – en version définitive en 1856. Deux ans plus tard, lorsque Moniuszko est informé de sa création à Varsovie, il décide de remanier  encore une fois son œuvre en plaçant la célèbre Mazurka à la fin et en demandant (sur la partition) que l’orchestre joue le final  debout dans la fosse (voir vidéo)  C’est sous cette forme qu’en 1858 Halka connaît un immense succès international.

Le style de Moniuszko
Musicalement, Halka regorge de mélodies et d’harmonies nouvelles d’inspiration à la fois populaires et savantes. Ce n’est pas pour rien que la partition est dédiée à Hector Berlioz que Monusckio admirait. Il écrivit d’ailleurs, lui aussi comme son illustre ainé un grand traité d’orchestration qui a fait autorité en Europe centrale jusqu’à celui de Rimsky-Korsakof.

Outre la magistrale ouverture sur les motifs du drame à venir, l’opéra débute avec une polonaise (acte I) et se clôture sur une mazurka (acte IV). Halka fait son entrée sur une mélodie populaire d’un chant folklorique de Cracovie « Jako od wichru krzew polamany » (I, 2).

Au  cœur du drame se situe  une danse du folklore de Mazurie où « la modalité badine avec la tonalité. »

Notons  l’élégante Doumka (chant méditatif) du ténor  Jontek (« Szumią jodły na gór szczycie », IV, 2). D’inspiration polonaise mais pleine d’italianité, elle est l’écho des plaintes de la cornemuse évoquée à travers le hautbois. La cornemuse était le symbole du réalisme naturaliste du folklore polonais. Bonus 2

En conclusion, Halka  tragédie romantique, met  en scène les tensions sociales de son temps. C’est l’un des plus beaux opéras du XIX° siècle.

La production  que nous vous proposons a été captée sur l’immense scène du Grand Théâtre de Varsovie en version originale  sous-titrée en  français.

Jean-François Principiano

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.