Grimaud : Les Diablogues de Roland Dubillard

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Roland Dubillard est né à Paris en 1923. Après une licence de philosophie, il se consacre à l’écriture, notamment à l’écriture dramatique. En 1953, Jean Tardieu lui demande d’écrire, pour une émission de radio, de petits sketches humoristiques. Ces saynètes ont un grand succès, au point que l’auteur les publiera sous le nom de Diablogues. Ensemble de petites scènes courtes, dialoguées, les Diablogues reposent en grande partie sur des jeux avec le langage, teintés d’absurde et de dérision. Les textes tirés de ces sketches radiophoniques connaissent eux aussi un très grand succès : très souvent mis en scène, enrichis depuis de Nouveaux Diablogues, ils sont un exercice comique auquel se livrent de très nombreux duos de comédiens – parmi les plus récents, Jacques Gamblin et François Morel, ou encore Muriel Robin et Annie Grégorio. Roland Dubillard interprètera lui-même ses Diablogues en scène avec Claude Piéplu, en 1975, dans une mise en scène de Jeannette Hubert. C’est avec le même Claude Piéplu qu’il propose, en 1978, un extrait de son texte dans « Le petit théâtre du dimanche ».

Dans les Diablogues, se dessine un monde paradoxal, fait de poésie, d’humour corrosif et de naïveté. Ces scènes reposent avant tout sur l’échange entre les deux personnages, qui fonctionnent, comme tout duo comique, sur le contrepoint : l’un joue le rôle du naïf, celui qui questionne, complète, et l’autre celui du clown blanc, plus sérieux, et souvent plus bavard. Mais chez Dubillard, les personnages sont plutôt complémentaires : ils construisent l’histoire ensemble. Ce qui demeure fondamental dans les Diablogues, c’est en effet avant tout le langage. C’est à travers lui seul que se révèle un univers, qui ne nécessite, pour ainsi dire, ni costumes ni décors – les textes sont à l’origine faits pour être seulement entendus. Dans l’écriture de ces scènes, on ressent l’influence de Jean Tardieu, lui aussi grand manipulateur du langage (par exemple, dans la pièce Un mot pour un autre). Dubillard, dans les Diablogues, fait jouer et résonner les mots, invente de nouveaux termes, comme ce « fourmidable ». « Fourmidable » est, pour l’un des personnages, la performance de cette grande actrice, ce « Monstre sacré ». Mais il répugne pourtant, dit-il, à utiliser ce mot, parce qu’il n’est pas certain de ce qu’il signifie… mais pour lui, « Fourmidable », c’est « ce qui donne des fourmis… au Diable. » Cette saynète, Monstre sacré, se joue à la fois du monde du théâtre et de la langue. Le personnage dépeint est une inoubliable actrice, dont le moindre geste – y compris entrer en scène en marchant – accentue l’admiration sans limite des deux hommes. Toutefois, contre toute attente, ce n’est ni le charme, ni le talent de l’actrice qui fait ainsi l’admiration des comparses, mais bien la monstruosité de cette vieille femme laide. Le monstre sacré est bien aussi, comme le dit ironiquement Dubillard, un « sacré monstre ».
Anaïs Bonnier

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