Falstaff de Verdi, un rire désinfectant

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Pour cette nouvelle rencontre lyrique, Opéravenir propose une œuvre joyeuse et truculente Falstaff de Giuseppe Verdi 1813-1901. Non pas le Jeune Verdi nationaliste, ni même le Verdi de la maturité de Traviata ou Rigoletto, ni celui du grand Opéra de Aïda ou Don Carlo. Il s’agit du plus grand Verdi celui des trois derniers chefs d’œuvre le Requiem, Otello et Falstaff.

Sempre piu alto 
Toujours plus haut,  c’est la devise de Verdi inscrite à l’entrée de son domaine de Santa Agata.

Après les triomphes remportés par Aida en 1871 et par le Requiem en 1873, Verdi était parvenu au sommet de sa gloire. On le considérait dans le monde entier comme le grand homme de l’Italie et toutes les capitales d’Europe se disputaient l’honneur de le recevoir pour lui décerner les plus hautes décorations. Cependant pendant près de dix ans Verdi va paraître se retirer dans sa thébaïde de Santa-Agata et abandonner définitivement la composition lyrique. Pour quelle raison ? On ne sait guère…Avait-il peur que son inspiration s’émoussant avec l’âge, ses œuvres nouvelles déçoivent ses admirateurs ? Craignait-il la comparaison avec Wagner dont les italiens commençaient à imposer le culte dans la péninsule ?

Parmi les plus passionnés des  adorateurs de Wagner se trouvait le jeune Arrigo Boito, journaliste, poète, librettiste (on lui devait le livret de la Gioconda de Ponchielli), ex garibaldien, acquis aux idées politiques avancées et, de plus compositeur d’un opéra Méphistophélès dont la création avait été l’objet de telles manifestations que la police avait dû en interrompre les représentations.

Boito avait pour Verdi une admiration pleine de respect, mais jugeait le style du vieux maestro démodé et dépassé. Verdi connaissait bien cette opinion qui était celle de tous les jeunes des milieux intellectuels d’Italie.

Tout séparait donc ces deux hommes et pourtant ils vont unir leurs talents et leurs personnalités pour composer ces deux sommets de l’Art lyrique italien que sont Otello et Falstaff. C’est Ricordi, l’éditeur le plus habile et aussi le plus fin des diplomates  qui va provoquer cette  rencontre incroyable et qui va réussir à faire sortir Verdi de sa retraite et lui faire accepter la collaboration d’un auteur  plus jeune que lui de trente ans.

Verdi et Boito se mettent d’accord sur un Iago inspiré de l’Othello de Shakespeare. Pourquoi le titre de Iago ? Peut-être pour ne pas créer de concurrence lyrique avec l’Otello de Rossini. Mais la composition avançant, le nom d’Otello  reprendra la première place car c’est bien « cet africain couleur de chocolat » comme l’appelait Verdi, qui est le personnage principal.

Le succès immense d’Otello scella définitivement l’amitié de Verdi et Boito.

Une œuvre novatrice
À l’occasion du cinquantième anniversaire  de son jubilé artistique, le public le supplie de composer une œuvre nouvelle et Boito lui propose un livret inspiré des  Joyeuses Commères de Windsor et aussi de l’Henri IV de Shakespeare.

Pendant quatre années Verdi va vivre dans la joie en donnant vie à cet énorme pancione,  à ce gros Falstaff.  Et le monde musical fut stupéfait de voir cet homme de 80 ans faire montre d’une telle jeunesse et allier aussi génialement la science à l’inspiration spontanée. Si Otello demeure le chef d’œuvre du drame lyrique italien, Falstaff est le sommet du genre de l’Opéra-Bouffe, où Verdi, sans renier en rien sa personnalité latine, s’adapte au style moderne de la déclamation lyrique accompagnée par une orchestration d’une lumineuse science et d’une richesse incomparable.

Une théâtralité irrésistible
Le premier acte est divisé en deux tableaux.
À l’auberge de la Jarretière à Windsor en Angleterre, Sir John Falstaff, obèse, bourru et jovial, est en train d’étancher sa soif à grande lampées en compagnie de Bardolfe et de Pistole. Entre le docteur Caius qui cherche querelle à Sir John et à ses deux domestiques. Caius accuse Bardolfe puis Pistole de l’avoir volé. Les deux larrons nient avec insolence. A la fin, les insultes pleuvent, cependant que Falstaff, très digne, arbitre le débat et déboute Caius de sa plainte. Bardolfe et Pistole reconduisent Caius jusqu’à la porte avec force grimaces.

Falstaff, réfléchissant au triste état de ses finances, décide de passer aux actes ;  il écrit deux lettres, l’une à Meg Page et l’autre à Alice  Ford deux belles commères de Windsor, dans l’espoir d’établir une liaison profitable avec les épouses des deux riches bourgeois de la ville.

Dans un Jardin  Alice Ford une lettre à la main annonce à son amie  Meg Page qu’elle vient de recevoir une lettre de Falstaff. Les deux femmes comparent leurs lettres et s’aperçoivent qu’elles sont en tous points semblables. Elles méditent leur vengeance. Elles envoient Dame Quickly pour inviter Falstaff. Pendant leur absence la jeune Nanette flirte avec le jeune Fenton. L’acte s’achève  dans  un ensemble brillant regroupant les commères, Ford le mari d’Alice et même Bardolfe et Pistole victimes des facéties de Falstaff.

L’Acte deux est divisé aussi en deux tableaux
À l’auberge de la Jarretière Dame Quickly vient apporter la réponse de sa maîtresse et flatte outrageusement Falstaff. Entre Bardolfe  accompagné d’un certain Mr Fontana qui n’est autre que Ford, le mari d’Alice déguisé.

Il  demande à  Sir John d’intercéder en sa faveur auprès d’Alice qu’il désire courtiser. Falstaff prend la bourse que lui propose Fontana et lui annonce qu’il est lui-même sur le point de séduire Alice  dans l’après-midi. Pendant que Falstaff  s’éclipse  pour se parer de mille atours, Ford, écumant de jalousie, chante son fameux soliloque sur l’infidélité des femmes.

Dans la maison de Ford  entre Falstaff ridiculement accoutré. Il commence à lutiner Alice. On annonce l’arrivée de Ford, le  mari d’Alice. Falstaff se cache derrière un paravent. Ford fouille la pièce avec ses hommes armés. Dès qu’ils sont sortis, les  commères cachent  vite Falstaff dans un gros panier ou il entre avec peine puis elles le recouvrent de linges sales. Alice appelle des serviteurs et leur demande de vider le contenu du  panier dans la Tamise qui coule sous les fenêtres.

L’acte trois nous ramène devant l’auberge de la Jarretière.  Falstaff déplore la méchanceté du monde puis sous l’effet du vin retrouve du courage. Dame Quickly apparaît et lui tend une lettre d’Alice lui fixant un nouveau rendez-vous à minuit. Très fier et content Falstaff quitte l’auberge pour se préparer à cette nouvelle rencontre prometteuse.

Les conspirateurs  apparaissent alors et dévoilent leur plan. Tous seront  déguisés. Nanette en une dryade, la fée reine des bois, Meg sera une nymphe et Quickly une mégère. Ford entraine le Docteur Caius à part et lui annonce qu’il lui destine sa fille Nanette. Mais Dame Quickly qui a tout entendu murmure Stai Fresco, Tu peux  compter sur moi !

Dans le Parc de Windsor à minuit.  Le jeune Fenton attend Nanette tout en chantant son amour. Alice arrive et oblige Fenton à revêtir une cape qui le rend méconnaissable. Falstaff rejoint Alice Ford, enveloppé dans un large manteau et portant sur la tête deux cornes de cerf. Il entreprend une cour malhabile On entend soudain des sons étranges. Alice feignant l’épouvante, s’enfuit en criant aux fantômes ! Falstaff s’aplatit face contre terre, car il est fatal de regarder un être surnaturel… Toute la troupe entre, déguisée  en personnages de l’au-delà. Tous font semblant de buter sur le corps de Falstaff puis donnent à ce mortel impur une solide bastonnade après laquelle il promet de mieux se conduire.

À la fin de la mascarade et dans l’imbroglio général Ford, reconnaissant l’honnêteté de sa femme finit par accepter l’union de sa fille avec le jeune Fenton. Tout se termine bien sauf pour Falstaff qui aura du moins la consolation de rire des malheurs de Ford bien que ces malheurs ne soient pas exactement ceux qu’il espérait. L’ouvrage s’achève par une fugue splendide pour voix et orchestre Tutto nel mondo e burla  Le monde entier  est une farce ! Falstaff pointe alors un doigt sur la foule des spectateurs en disant « Tutti Gabati ! » que l’on pourrait traduire cavalièrement « Tous floués ! »

Le sens de l’œuvre.
Bernstein disait de cet opéra « Si les situations sont comiques, les personnages, eux, ne le sont pas ». L’écriture musicale, d’inspiration mozartienne, s’accompagne d’audacieuses ouvertures sur la modernité. La partition  est traversée par des moments de pure « conversation en musique », si chère, plus tard, à Richard Strauss, Debussy ou Maurice Ravel.

Faux-semblants et complots, déguisements et manipulation s’enchaînent entre allégresse et mélancolie au cours d’une folle journée culminant avec une fugue finale, forme académique par excellence, utilisée avec brio dans un esprit burlesque.

La comédie douce-amère s’achève ainsi dans une sorte d’apothéose musicale où la vérité  de notre condition humaine éclate enfin : « Le monde entier est une farce, et l’homme est né bouffon ».

En cette période d’inquiétude dû à l’épidémie de coronavirus, par quelles voies retrouver le chemin d’une joyeuse réconciliation avec la vie ? Quel sens du jeu, du théâtre, du merveilleux, permet de fréquenter, d’apprivoiser, de jouer avec les puissances sombres du mal de vivre, du confinement-déconfinement et de la mort ?

Maintenant que nous allons être tous masqués pour notre bien, quelle distance, quelle proximité, doit-on entretenir avec les autres, avec soi-même – mais aussi avec le hasard et avec les rencontres – pour goûter ce que l’existence offre de chaleur, d’opportunités, de fécondités ?

C’est le sens de cette œuvre où le rire, la malice, le merveilleux, la tendresse retrouvée permettent mystérieusement de s’ouvrir à un monde vivant, élargi, renouvelé…

Le « vieux » Verdi comme dirait avec condescendance les experts, (il serait de nos jours obligatoirement  confiné) après bien des tragédies, trouve avec « Falstaff » l’occasion de chanter l’adorable fraîcheur des jeunes amants, la folie et les illusions des hommes, l’intelligence et la malice des femmes, la veulerie  de certains, le courage de beaucoup.

Falstaff  rencontra d’emblée un immense succès à travers toute l’Europe. Au cours du XXème siècle, l’ouvrage sera moins présent, essentiellement en raison de la difficulté de la partition qui nécessite une importante distribution de tout premier plan.

Jean François Principiano

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