« Élections municipales : des enseignements pratiques pour une nécessaire évolution du statut et de la condition militaire »

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Yann Bizien

Les élections municipales de 2020 ont démontré que les récentes adaptations préalables du statut général des militaires et du Code électoral n’étaient finalement que provisoires et que des enseignements statutaires, juridiques et législatifs devaient être rapidement tirés.

Il s’agit désormais de sortir les militaires du rang ainsi que les sous-officiers et les officiers de leur enfermement dans la catégorie de citoyens de seconde zone, faite essentiellement de devoirs, avec des droits politiques en « trompe l’œil », encore trop limités, contraignants et inadaptés aux évolutions sociétales et aux nécessités de la vie démocratique.

Militaire en activité, je me suis engagé dans la compétition électorale municipale sur les deux tours des scrutins de mars et juin 2020. Au total, huit listes se sont affrontées sur ma commune de 12 000 habitants intégrée dans une intercommunalité d’environ 44 000 habitants.

Pour être candidat, je me suis appuyé sur les articles permissifs du statut général des militaires et du Code électoral. La Loi prévoit en effet que les militaires peuvent être candidats aux élections municipales. Elle leur autorise ce droit « sous conditions » depuis la fin des années 2000. Le problème est qu’il s’agit en réalité d’un demi droit. En contrepartie d’efforts personnels importants, et d’engagements, ce faux droit peut générer d’immenses déceptions post scrutin.

Pour « faire campagne », et pour sortir finalement en deuxième position de la bataille politique, avec près de 30% des suffrages, à seulement 214 voix de la victoire, j’ai bien sûr sacrifié beaucoup de temps, de « permissions », d’argent ainsi que ma vie de famille et ma carrière professionnelle.

Candidat et tête de liste, j’ai été, hélas, contraint de démissionner la mort dans l’âme et « contre ma volonté » dès le surlendemain de mon élection au suffrage universel. J’avais pourtant gagné deux mandats, le premier en qualité de leader de l’opposition municipale sur ma commune de Cuers, le second en qualité de conseiller communautaire, cela par le biais de ce qu’il y a de plus légitime, le suffrage des électeurs, à la sueur de mon front, à la confiance, au mérite et à la compétence.

Pourquoi ai-je été contraint de démissionner après avoir conduit toute une liste et vécu l’âpreté du combat politique ? Parce que sur le fond, les militaires élus sur des communes de plus de 9000 habitants et des intercommunalités de plus de 25 000 habitants doivent choisir entre démissionner des armées, pour pouvoir siéger, souvent sans aucune indemnité, ou démissionner du mandat de Conseiller pour cause d’incompatibilité avec leur statut.

Candidat légitimement « élu », chargé de famille, je n’avais plus d’autre choix que de démissionner après avoir sacrifié deux années de ma vie sur cet engagement. Ma démission a beaucoup déçu, et en premier lieu les électeurs qui m’avaient accordé leur confiance. Il m’a fallu leur expliquer patiemment les raisons « technocratiques » et « arbitraires » qui m’avaient conduit à adresser ma lettre de démission au Préfet du Var. Et ma démission m’a également déçu personnellement. Je pouvais en effet « assumer en même temps » mes responsabilités professionnelles et exercer les deux mandats que j’avais gagnés. Mais, en 2020, il me fallait encore travailler pour gagner ma vie, cotiser pour ma retraite et assumer mes responsabilités d’époux et de père de famille.

Pugnace, soucieux de justice républicaine et de progrès, j’ai estimé que cette injustice démocratique et ce préjudice personnel étaient suffisamment significatifs pour contester la dimension arbitraire de cette incompatibilité statutaire directement imputée par quelques technocrates à la démographie de nos communes et de nos intercommunalités.

J’ai donc déposé un recours devant le Tribunal administratif de Toulon en signalant l’incohérence et la fragilité du fondement juridique des règles et prétextes invoqués dans la Loi sur le statut général des militaires pour imposer ces seuils d’incompatibilité.

J’entends bien aujourd’hui contribuer à faire évoluer la Loi sur le statut général des militaires ainsi que le Code électoral. Je souhaite qu’un Député de la Nation s’engage à faire supprimer ces deux seuils démographiques « discrétionnaires » qui privent les militaires de toute possibilité de siéger après avoir « mené campagne » et après avoir été élu.

J’estime en effet que le fondement juridique de ces deux seuils d’incompatibilité peuvent-être valablement contestés devant le Tribunal administratif ou le Conseil d’Etat, voire la Convention européenne des Droits de l’Homme, et que les textes afférents doivent être adaptés et modifiés pour sortir les militaires Français d’une catégorie « archaïque » de citoyens.

Je mène donc aujourd’hui un autre combat, sur ce point de droit, pour traiter cette insécurité juridique et cette anomalie démocratique.

Je souhaite résoudre ce dilemme terriblement injuste et préjudiciable pour un « militaire » : avoir officiellement le droit d’être candidat à une élection municipale, déclarer officiellement sa candidature, constituer une équipe de campagne, organiser la logistique électorale, tenir des réunions publiques et de quartiers, s’investir totalement et financièrement dans une campagne, déposer une liste validée par les services de l’Etat, tracter toutes les boîtes aux lettres de la commune, prendre des risques dans le combat politique local souvent délétère, être élu dans l’opposition via le suffrage, pour finalement devoir démissionner, perdre tout le bénéfice d’une démarche à la fois personnelle et collective éprouvante et ne pas pouvoir siéger à cause d’une incompatibilité sans fondement juridique valable, juste, pertinent et solide.

Il est faux, en effet, d’avancer comme argument qu’au-dessus des deux seuils d’incompatibilité actuels, les villes et intercommunalités seraient « politisées » et que cela pourrait porter atteinte au principe de neutralité des armées. Car cette règle se heurte non seulement au réel vécu localement par tous les élus territoriaux, à savoir que la politique est partout, en particulier parce que même les Maires des communes de moins de 9000 habitants peuvent parrainer des candidats à la présidentielle, obéir à des consignes et des lignes politiques de Partis, se soumettre à des injonctions et à des opérations de chantage de leurs présidents d’intercommunalités afin d’obtenir des garanties de subventions pour leurs projets territoriaux.

Le fait que l’incompatibilité soit effective immédiatement après l’élection, qu’elle n’empêche pas la candidature, donc les sacrifices, faute de « vérification statutaire préliminaire », en relation avec le nombre d’habitants de la ville concernée, pose donc de multiples problèmes postérieurs au scrutin, tous constitutifs d’une grave injustice.

Mon exemple concret, fondé sur la réalité politique et électorale locale, est intéressant car il n’est pas seulement le reflet d’une situation personnelle mais celui, bien plus large, de la condition militaire dans notre pays, donc de l’intérêt général, et de la démocratie, qu’il est plus que temps de faire évoluer.

Il n’y a évidemment aucune jurisprudence spécifique et récente sur ce cas d’un militaire élu, du fait notamment des modifications apportées aux textes en vigueur peu avant les municipales de 2020.

Il apparaît donc indispensable d’en tirer toutes les leçons pour modifier la Loi sur le statut général des militaires et les articles associés dans le Code électoral (art L46 et L231).

Un droit est un droit. Il doit être entier, ou ne pas exister. Les militaires autorisés à être candidats doivent pouvoir siéger en cas d’élection dans les majorités et oppositions des 34 955 villes de France (dernier chiffre obtenu sur le WEB) ainsi que sur leurs intercommunalités, sans considérations démographiques.

Alors que les Partis et têtes de listes peinent partout à recruter des citoyens et à construire des listes de compétences, au détriment, souvent, de la démocratie, les militaires ne peuvent plus être considérés comme des citoyens de seconde zone n’ayant que des devoirs et des faux droits démocratiques, limités et contraignants, pouvant les amener aux pieds du mur d’injustices graves et réelles comme mon cas ci-dessus alors que ma candidature et ma liste avaient pourtant été validées par le Préfet du Var, cela sans aucune réserve de l’Institution militaire.

Il est par ailleurs parfaitement clair que les compétences des militaires, leur discipline, leur loyauté et leur qualités morales peuvent apporter une plus-value et de l’air frais à la démocratie locale.

Enfin, l’élection des militaires dans la majorité ou dans l’opposition d’un Conseil municipal ne les prive pas de leurs obligations professionnelles, toujours prioritaires, de leur disponibilité et de leur neutralité. En cas d’empêchement pour raisons de service ou opérationnelles, ils peuvent toujours se faire représenter par un élu du Conseil.

La classe politique française doit saisir tout l’intérêt politique, citoyen et tout l’enjeu démocratique de l’indispensable évolution de la condition militaire. J’attends donc qu’un Député puisse prendre conscience de cet enjeu, se saisir du « dossier », et porter les modifications nécessaires à la Loi devant le Parlement.

Yann Bizien
Candidat et tête de liste sur les municipales de 2020

1 COMMENT

  1. Je partage cet avis au moins en ce qui concerne le fait que les militaires sont des citoyens comme les autres et doivent pouvoir avoir les mêmes droits.
    QQ bémols toutefois; la vie militaire implique de fréquentes mutations…comment assumer alors un mandat dans sa durée, vous me direz que c’est le cas pour nombre de citoyens élus qui pour diverses raisons sont appelés soit pour des raisons professionnelles soit familiales sont amenés à quitter leur commune d’élection.
    par contre j’ai des difficultés a attendre les problématiques soulevées quand au temps passé pour faire campagne , les coûts induits….c’est le cas de tout citoyen qui postule à une élection.
    Que dire des milliers(millions ?) de bénévoles divers qui a longueur d’année donnent et offrent leur temps et souvent aussi de fait leur argent afin de s’engager dans diverses actions auprès des concitoyens
    tout engagement a de fait un coût bien remboursé par la satisfaction que l’on peut recevoir de pouvoir participer à la vie de la nation

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